Amsterdam, où le vélo est roi

En plus d’être l’une des plus belles villes de la planète, Amsterdam peut se targuer d’être la capitale mondiale de la bicyclette. Près de 60 % de sa population âgée de 12 ans et plus enfourche un vélo chaque jour, dans un milieu urbain entièrement aménagé pour ce moyen de transport. C’est ainsi qu’aux heures de pointe, ils sont des milliers à se lancer sur les 767 km de pistes cyclables que compte la capitale des Pays-Bas et à offrir aux touristes une impressionnante démonstration d’habileté et d’agilité.
Avançant en parfaite coordination, ils donnent l’impression d’imiter les bancs de poissons, où chaque individu réussit à maintenir une distance sécuritaire avec ses voisins, tout en filant à pleine vitesse.
Mais les Amstellodamois ne se contentent pas de pédaler le dos bien droit et d’être élégants en toutes situations, portant des vêtements ajustés qui ont été conçus pour tomber parfaitement lorsqu’ils sont en mouvement. Ils en rajoutent une couche en jouant aux acrobates. Des amoureux se promènent côte à côte en discutant, puis s’embrassent soudainement, sans même ralentir ; un père traverse la vieille ville avec un premier garçon assis sur le guidon et le second, téméraire, debout sur le porte-bagages à l’arrière, les mains placées sur les épaules du paternel ; un bricoleur tient sa poignée d’une main et une planche de bois de l’autre ; une jeune professionnelle parle au téléphone tout en négociant une courbe ; un étudiant déguste un café en se dirigeant vers l’université. Le tout, sans le moindre casque à l’horizon.
Vous vous demanderez sûrement comment ils font pour maîtriser à ce point l’art de se déplacer en deux-roues. Les locaux vous expliqueront, en souriant, qu’ils ont appris à pédaler avant même de marcher, que ça fait partie de leur ADN. Ce qui vous donnera encore plus envie de sauter à votre tour sur une selle pour intégrer le trafic et ainsi découvrir Amsterdam à hauteur de bécane.
Une autre façon de penser la ville
La première chose qui frappe le cycliste nord-américain, habitué de devoir se battre, au risque de sa vie, pour faire sa place entre les voitures agressives et en surnombre, est que le vélo est roi à Amsterdam. La bicyclette a toujours priorité dans la circulation. Les automobilistes s’arrêtent aux intersections pour les laisser passer, vérifient leurs angles morts avant de tourner, sont patients et respectueux, probablement parce qu’ils sont minoritaires et se déplacent régulièrement, eux aussi, en deux-roues. Les infrastructures sont également de grande qualité.
Des pistes cyclables bien marquées et protégées, des feux de circulation spécialement adaptés, plus de 225 000 supports dans toute la ville et des limites de vitesse à 30 km/h dans les quartiers. Disparaît alors peu à peu ce sentiment de peur qui habite en tout temps le cycliste québécois, qui doit rester constamment aux aguets, repérer et anticiper les nombreux dangers qui se présentent sur sa route, pour arriver sain et sauf à destination. Il ne reste que les touristes à bien surveiller, surtout lorsqu’ils s’agglutinent sans avertissement sur les pistes cyclables du centre de la ville, pour prendre un égoportrait ou une photo de groupe.

Mais, contrairement à ce qu’on pourrait penser, cet amour inconditionnel de la bicyclette est relativement récent aux Pays-Bas. Entre 1950 et 1970, le nombre d’automobiles au pays explosa, passant d’environ cent mille à plus de deux millions et demi. La voiture dominait alors largement les rues d’Amsterdam. La mairie y avait même prévu d’asphalter tous les canaux de la ville pour permettre aux véhicules motorisés de mieux circuler. Mais cette forte augmentation de déplacements à quatre roues fit en sorte que les routes du pays devinrent de plus en plus dangereuses, si bien qu’en la seule année 1971, près de 3000 personnes — dont 450 enfants — y perdirent la vie. Ces événements dramatiques déclenchèrent une importante prise de conscience qui poussa la population à exiger de profonds changements dans la manière de concevoir les transports urbains.
Après des décennies à prioriser l'automobile, Amsterdam s’est alors métamorphosée en une ville où la majorité des déplacements se fait désormais en pédalant, ce qui a grandement amélioré la sécurité, mais aussi la forme physique de ses habitants. Les bienfaits environnementaux y sont également énormes : l’air y est moins vicié et la pollution sonore y a été grandement diminuée. Mais la conséquence la plus radicale de ce revirement de situation s’est peut-être effectuée dans les consciences.
De pédaler quotidiennement aux côtés de milliers de ses concitoyens insuffle une puissante impression d’appartenir à une collectivité à visage humain, où chacun doit considérer les actions et les mouvements des autres pour le bien-être de la multitude. L’individualisme de la voiture disparaît alors au profit de la fraternité qu’engendre le vélo. Pas surprenant que les Pays-Bas soient ainsi devenus l’un des pays les plus tolérants et égalitaires du monde. Comme si les Amstellodamois avaient suivi une formation en accéléré pour développer l’empathie et le respect. Deux valeurs qui font souvent défaut à bord des voitures, où l’autre devient un obstacle à surmonter ou à dépasser pour atteindre le plus rapidement possible sa destination.
La cité des peintres
Il serait extrêmement dommage de visiter Amsterdam sans profiter de ses magnifiques musées. Le Van Gogh Museum abrite la plus grande collection au monde du célèbre peintre rouquin, avec plus de 200 tableaux et 500 esquisses. Il propose, sur trois étages, une rétrospective chronologique de la vie et de l’œuvre du génie. Il est ainsi possible d’apprécier l’évolution de celui qui se consacra à la peinture sur le tard et qui réussit à construire une des œuvres les plus importantes de l’histoire de la peinture, en à peine une décennie. De ses sombres premières peintures dépeignant les pauvres paysans de son pays, jusqu’à l’explosion de couleurs qui caractérisent ses toiles peintes en Provence, c’est tout un univers, vivant et ensorcelant, qui s’y déploie.
L’immense Rijksmuseum expose quant à lui pas moins de 8000 pièces. Les peintres du XVIIe siècle y sont particulièrement bien représentés. Les chefs-d’œuvre des Hals, Vermeer, Steen ainsi que pas moins d’une vingtaine de toiles de Rembrandt, dont sa monumentale La ronde de nuit, s’y côtoient et plongent le visiteur dans l’âge d’or artistique et économique d’Amsterdam et des Pays-Bas.
Après vous être rempli les yeux et le cœur de tant de beauté, vous pourriez reprendre votre vélo, emprunter la piste cyclable qui traverse littéralement le bâtiment du Rijksmuseum et vous rendre jusqu’à la vieille ville à temps pour y observer la fin de journée. Vous pourriez alors admirer les doux rayons du couchant auréoler les différentes façades des maisons de briques si caractéristiques d’Amsterdam, ou encore contempler leurs reflets flotter dans les nombreux canaux qui se transforment, à cette heure de la journée, en des centaines de miroirs liquides.
Seules les péniches, qui s’y promènent tranquillement, feront brièvement onduler leurs fragiles surfaces.
Puis, une fois le soleil couché, vous apercevrez de petites lumières blanches apparaître sur les nombreux ponts qui enjambent les cours d’eau. Elles ajouteront une touche de poésie à ce véritable musée à ciel ouvert que constitue cette « Venise du Nord ». Vous vous direz alors peut-être que cette ville est à ce point unique et magique, que vous n’avez même pas eu besoin de faire une escale dans un coffee shop pour triper à fond.