Vivre la passion des stades d’Europe

Véritables cathédrales modernes pour des milliers de partisans, les légendaires stades de soccer d’Europe sont des lieux uniques et chargés d’histoire. Depuis des générations, les victoires y sont célébrées, les défaites encaissées, les humiliations subies, les championnats gravés dans la pierre pour l’éternité. L’honneur des villes y est constamment mis en jeu, tout comme celui des amateurs dont la ferveur peut mener à des déchaînements émotifs d’une rare intensité.
Ce sont également des microcosmes accessibles aux visiteurs, qui y découvrent des univers riches et fascinants, tout en y vivant des moments mémorables. À l’aube de la finale de la Ligue des champions qui couronnera à Madrid la meilleure équipe d’Europe le 1er juin prochain, voici un aperçu de trois stades, parmi les plus importants du continent, qui brillent de tous leurs éclats dans la riche mythologie du football.
Il a beau être le plus grand stade d’Europe avec ses presque 100 000 sièges, le Camp Nou de Barcelone s’affiche avant tout en catalan. Véritable château fort de l’identité et de la culture catalanes, la résidence du Barça a, depuis son inauguration en 1957, représenté beaucoup plus qu’un simple terrain sportif pour ses partisans, les blaugranas. Il a longtemps été le seul espace de liberté auquel s’accrochaient les Catalans durant le long règne du dictateur Franco (1939-1975). Le seul lieu où ils pouvaient s’exprimer dans leur langue et être fiers de qui ils étaient. Ce n’est donc pas une surprise que ce soit entre ses murs qu’éclata la première manifestation nationaliste catalane peu après la mort du caudillo. Dans une explosion de joie et d’affirmation, des centaines de personnes y agitèrent la senyera, le drapeau rouge et jaune de la Catalogne, ce qui ne s’était pas vu depuis la fin de la guerre civile espagnole.

Cette association entre politique et sport se perpétue encore aujourd’hui pour cette équipe dont le slogan « Més que un club » (« plus qu’un club »), veut tout dire. Ainsi, depuis quelques années, à exactement 17 min 14 s de chaque match, des milliers de gens scandent « Independència ! » en agitant l’estelada, le drapeau indépendantiste. À cet instant précis, pour rappeler la défaite de 1714 aux mains des Espagnols et la fin de la souveraineté historique catalane. Depuis le référendum du 1er octobre 2017, des gens arborent également aux quatre coins du stade des chandails jaunes pour soutenir les prisonniers politiques catalans.

Désormais l’une des équipes les plus titrées de l’histoire, le Barça de Lionel Messi, Suárez et Piqué pratique un système basé sur la passe et la possession du ballon, qui offre un jeu particulièrement agréable à regarder. L’ambiance au Camp Nou est électrique, autant politique que sportive, et l’immensité de la foule est impressionnante. Le déplacement serait justifié ne serait-ce que pour admirer les prouesses du roi Messi, qui est considéré comme l’un, sinon le plus grand joueur de tous les temps.
Si vous visitez Barcelone l’été, sachez que le Barça fait relâche de la fin mai à la mi-août. Même si l’idéal est d’assister à une partie, il vous sera tout de même possible de parcourir le musée et le stade, où vous en apprendrez beaucoup sur l’histoire glorieuse et mouvementée de l’institution fondée en 1899.
La maison du roi
À un peu plus de 600 kilomètres du Camp Nou se dresse le stade Santiago Bernabéu, foyer des ennemis jurés du club barcelonais : le Real Madrid. Ces deux formations sont les plus populaires et les plus riches du monde. Elles engagent les meilleurs joueurs de la planète et s’affrontent à armes à peu près égales. C’est la crème de la crème du sport. Mais les philosophies des deux clubs ne pourraient pas être plus opposées.
Arborant fièrement la couronne royale au-dessus de son logo, le Real a été, depuis sa fondation en 1902, l’équipe chérie du roi d’Espagne, des colonels, de Franco et des puissants dirigeants de la capitale espagnole. Des régimes qui ont souvent écrasé par la force les cultures régionales, surtout basque et catalane. Ce choc des titans, qui a saveur de symbole culturel, politique et historique, a lieu à quelques reprises par année et est suivi par pas moins de 500 millions de personnes de par le monde. Ces clásicos représentent ni plus ni moins l’apothéose de la plus grande rivalité sportive de notre époque. L’intensité y est à son apogée.
Sous la gouverne du légendaire Zidane, le Real a été couronné meilleure équipe d’Europe lors des trois dernières années. Les 81 044 passionnés rassemblés à chaque match au Santiago Bernabéu ont ainsi eu beaucoup d’occasions de fêter. Ce superbe stade blanc, à la forme rectangulaire, a été conçu pour permettre à chaque spectateur d’avoir un bon point de vue sur le terrain. La foule y est plus compacte et sonore qu’à Barcelone, menée par les milliers de merengues, ces aficionados les plus intenses et fidèles du Real, tout de blanc vêtus, qui sont entassés dans une estrade située derrière l’un des filets. Ils y encouragent les leurs durant toute la partie, à coups de slogans et de chants particulièrement bruyants, qui sont repris par le reste des spectateurs présents.
Tout comme le Camp Nou, le stade comporte un musée qui retrace les exploits du club le plus titré d’Europe, qu’il est possible de visiter toute l’année.
Un restant de régime fasciste
Situé à sept kilomètres du Colisée, le Stadio Olimpico de Rome s’insère dans un vaste complexe sportif dont la construction fut amorcée dès 1932 par un Mussolini au sommet de sa puissance. Avec cet ambitieux projet, le duce désirait redonner à la capitale italienne des allures impériales. L’imposante bâtisse a évolué au fil des années, jusqu’à atteindre sa forme ovale actuelle en 1953. De gigantesques événements internationaux s’y sont déroulés, comme les cérémonies d’ouverture et de fermeture des Jeux olympiques de 1960, ainsi que la grande finale de la Coupe du monde de football de 1990.

Le Stadio Olimpico a la particularité d’être le domicile de deux des plus importants clubs de foot de la ligue italienne : l’AS Roma ainsi que la SS Lazio. Ces deux rivaux comptent sur d’ardents partisans, qui se sont affrontés à de nombreuses reprises par le passé, autant dans le stade qu’à l’extérieur de celui-ci. La tension atteint son comble lors des derbies capitolinos qui opposent les colocataires, alors que chaque camp doit s’installer à une extrémité du bâtiment pour éviter les combats. La distance ne les empêche pas de s’insulter allègrement à l’aide de banderoles désobligeantes, de chansons offensantes ou de slogans sarcastiques.
C’est qu’historiquement, chacune des équipes représente un secteur précis de Rome ainsi que sa population. La Lazio, de bleu drapée, prend ses racines dans la bourgeoisie de la périphérie, plus à droite sur l’échiquier politique, alors que la Roma, aux uniformes rouge et orange, se veut le club des classes populaires, entassées dans le centre de la ville.
Le deuxième stade d’Italie, avec ses 72 698 places, offre au visiteur une expérience unique, où il est plongé dans la passion des tifosi pour le ballon rond. Une passion qui pousse certains spectateurs à se lever soudainement et à engueuler pendant de longues minutes l’arbitre ou un joueur en particulier, comme s’ils avaient une conversation privée. Ou encore à sauter dans les bras d’un parfait inconnu pour partager une soudaine joie qu’il doit à tout prix exprimer. Une passion qui fait passer, parfois en quelques secondes, les dizaines de milliers de spectateurs des larmes aux cris de joie et qui incarne à elle seule toute la magie et la grandeur de ce sport qui sait faire vibrer intensément les êtres humains de tous les âges et de tous les continents.