Nourrir Rudolf à Reykjavik

L’Hallgrímskirkja, l’iconique église-fusée.
Photo: Ragnar Th. Sigurdsson L’Hallgrímskirkja, l’iconique église-fusée.

Rudolf avait voulu étouffer l’affaire, museler le troupeau, mais elle s’était tout de même ébruitée dans certains cercles. Le cercle polaire arctique d’abord. Puis les autres, sous le 66e parallèle nord. Tant et si bien que la nouvelle était finalement parvenue à nos oreilles : Rudolf avait donné sa démission au père Noël !

« Père Noël, j’ai envie de me réinventer, tellement ! Faque je me tire en Islande, takk fyrir, bonsoir, et joyeux Noël à toi itou », lui aurait-il dit en substance. On brame qu’il a fiché le camp avant même que le père Noël ait pu dire « ho ! ho ! ho ! ».

 
Photo: Jonathan Nackstrand Agence France-Presse Rudolf a choisi l’Islande parce que dans sa Finlande natale on se régale de viande de renne...

Ne reculant devant rien, soit quatre jours de pluie et vingt heures de nuit au quotidien, nous sommes partie à la recherche du célèbre renne. Nous l’avons dépisté à Reykjavik, où il nous a accordé cette entrevue exclusive.

D’abord, merci d’avoir accepté de nous parler, Rudolf. Alors, pourquoi avez-vous choisi l’Islande plutôt que votre Finlande natale, plus hospitalière que cette île laquée de lave, pour couler des jours heureux ?

Vous voulez rire ? Ma patrie m’ayant donné la sale réputation d’être un soûlon, je n’allais quand même pas y revenir ! Et puis, comme on s’y régale de viande de renne, c’est plus sûr pour moi ici, où on mange du macareux, délicieux chez 3 Frakkar ; de la baleine et de la soupe de homard, excellentes chez Saegreifinn ; et le fameux kaestur hákarl. Ça, c’est un mets traditionnel, du requin fermenté, un euphémisme pour « putréfié », que les touristes se contentent de publier sur Instagram ou alors qu’ils consomment avec un pince-nez chez Laekjarbrekka.

Photo: Carolyne Parent

Je vois, mais qu’est-ce qui vous plaît dans la plus septentrionale des capitales ? L’avez-vous visitée ?

Bien sûr ! Notoriété aidant, j’ai négocié serré avec le zoo. On me nourrit en public pour attirer les touristes, mais en contrepartie, je suis libre de sortir la nuit. Je m’élance alors au-dessus de Laugardalur, la vallée des Sources chaudes, je survole l’Hallgrímskirkja, l’iconique église-fusée, et hop ! à moi Reykjavik — en passant, vous saviez que ça signifie « la baie des Fumées » ? À moi la ville qui sent l’océan, qui a le goût du beau et qui est à croquer avec ses maisons pratiquement toutes du même modèle mignon. Joliment colorées, elles luisent presque dans la nuit. Ça me parle !

Parlant de lumière, le manque de soleil ne vous affecte-t-il pas ?

Je m’accommode bien de la noirceur, mes naseaux m’éclairent. Mais c’est une autre histoire pour les êtres humains : bonjour la skammdegisthunglyndi, la « déprime des jours courts ». Voilà pourquoi les piscines thermales sont vitales pour les Islandais : elles leur permettent de se remonter le moral en socialisant. Il y en a sept en ville, mais le bassin le plus spectaculaire de tous, et je vous le recommande chaudement, c’est le Lagon bleu, à Grindavík. Attenant à une centrale géothermique aux cheminées fumantes, il a été créé dans le champ de lave attenant lorsqu’on a réalisé que l’eau puisée à 2000 mètres sous terre était riche en minéraux bénéfiques pour la peau, dont la silice. Ce sont eux qui la colorent d’un bleu laiteux.

Photo: WOW Air Des aurores boréales islandaises.

Et ça se passe comment, un temps des Fêtes reykjavikois ?

À l’échelle d’une ville de 128 000 habitants ! Un beau sapin apparaît début décembre sur la place Austurvöllur, puis toute la ville est illuminée en blanc, c’est très classe ! À partir du 12 décembre, les 13 lutins de Noël se manifestent à tour de rôle. En lieu et place du père Noël, ils envahissent des façades d’immeubles, dont l’hôtel de ville, par des animations projetées en boucle. À la maison, les enfants mettent un soulier sur un rebord de fenêtre pour qu’ils y laissent un petit cadeau.

La nuit dernière, un de ces lutins espiègles, Giljagaur, le « voleur de lait », a accroché une pâtisserie à la poignée de porte de ma chambre, au CenterHotel Thingholt !

C’est ce qu’on appelle avoir l’esprit des Fêtes ! Il y a aussi une patinoire réfrigérée, place Ingólfstorg, et un marché de Noël à Hafnarfjördur, dans la proche banlieue. À la maison, on concocte des laufabraud, des galettes feuilletées et sucrées. Mais ce qu’il y a de plus beau, c’est le fait que le Noël islandais ne rime pas avec consommation. La tradition du jolabokaflod le démontre bien.

Qu’est-ce que c’est ?

Littéralement, c’est le « déluge de livres pour Noël ». Aux bébelles, on préfère offrir des bouquins. Il n’est pas rare qu’on en reçoive quatre, cinq ! En fait, l’Islande est l’un des pays où l’on en publie le plus par habitant au monde [le deuxième en 2015 selon l’International Publishers Association].

Une raison de plus pour l’aimer ! Mais dites-moi, Rudolf, le 24 au soir, n’aurez-vous pas un petit pincement au coeur lorsque le père Noël descendra du ciel avec des jouets par milliers, mais sans vous pour les distribuer ?

(Soupir) Oh, mais j’ai donné…

Vraiment ?

Je vais vous dire, il y a bien une chose qui me manque, un truc vachement trad, qui vient d’ailleurs de chez vous.

Quoi donc ?

(Se pourléchant les babines) Le caribou. Vous n’en auriez pas une flasque dans votre sac à dos, par hasard ?

Carolyne Parent était en partie l’invitée de WOW Air.

Bons plans

On s’y rend à bon prix avec WOW Air. Grâce à sa politique d’escale, on pourrait même s’arrêter à Reykjavik à l’aller ou au retour d’un séjour à Milan ou, pourquoi pas, à New Delhi !

On loge chez CenterHotel Thingholt, un hôtel chaleureux du centre-ville. Ses atouts : un petit-déjeuner copieux inclus, un spa réconfortant et sa proximité de l’arrêt du bus qui nous emmène en excursion comme à l’aéroport.

On achète une City Card. C’est plus avantageux que de payer les droits d’entrée des musées et autres attractions à la pièce.

On explore Grandi, le vieux port en pleine mutation. S’y trouvent le studio satellite de l’artiste Ólafur Eliasson, qui a signé la façade lumineuse de la spectaculaire salle de concert Harpa (Grandagardur 20) ; Grandi Mathöll, un ancien entrepôt qui abrite des kiosques alimentaires façon PapirØen, à Copenhague ; et de nouveaux musées, dont le Musée maritime.

On va voir les aurores boréales. Au Lagon bleu, on zyeute The Retreat. Inauguré en avril, cet hôtel hyperdesign est assorti d’un spa qui intègre des monticules de pierre volcanique à sa structure. En y louant une des loges avec douche pour quatre heures, on profite, en sus d’une formidable leçon d’aménagement intérieur, d’un accès privé au lagon et du rituel de soins aux boues minérales, qu’on se prodigue soi-même.

On met du soleil proche-oriental dans son assiette chez Sümac. Óx, le microresto de nouvelle cuisine islandaise dans ce resto, est la table du chef-proprio Thrainn Vigfússon, qui s’éclate en préparant un festin en 10 services pour 10 convives.

Combien ça coûte?

Selon Visit Reykjavik, à l’été 2017, les touristes ont dépensé en moyenne 35 152 couronnes islandaises (381 $) par jour pour se loger, se nourrir, etc. À titre indicatif, dans un restaurant standard, les plats principaux (agneau, omble chevalier) tournent autour de 4500 ISK (48 $).

« Quand une famille islandaise veut aller au resto, confie Sussette Terrazas-Foelsche, guide chez Reykjavik Excursions, elle va chez… IKEA. Deux adultes et un enfant y mangent un repas complet pour 4000 ISK (43 $), c’est une aubaine ! »

Cela dit, le coût de la vie élevé n’empêche pas les touristes d’affluer dans la capitale. Ils étaient 460 000 à y séjourner en 2007 ; un million en 2013 ; et 2,4 millions en 2017.


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