
Bamako, capitale du Mali, s’offre tel un wok géant, grésillant de vie et de couleurs. Trois millions et demi d’âmes vibrent au pied de ses trois mystiques collines auxquelles on attribue les vertus de Pouvoir, de Savoir, et d’Espoir. C’est sur celle-ci, dans le village de Lassa — mot en langue bambara signifiant « détecter, repérer » —, qu’est établie depuis les années 1990 une fratrie rastafari panafricaine.
Refuge épargné du bouillonnement urbain, perché à 500 mètres d’altitude, l’espace surréel aurait été défriché par des chasseurs de girafe à l’ère impériale de Soundjata Keïta.
En mai, tout rasta se remémore le souvenir de son maître à penser, Bob Marley. Aspiré de la surface terrestre le 11 mai 1981, à 36 ans, son legs idéologique pour la libération des peuples africains résiste au temps.
L'année 1979 verra la sortie de l’album Survival, avec sa fameuse pochette mosaïque de drapeaux africains, sur lequel figurent les hymnes Africa Unite et Zimbabwe. Pour l’association bamakoise Farrawo, dirigée par le reggaeman malien Roots Phéno, honorer sa mémoire s’avère vital. « On a souhaité rendre hommage à Bob Marley ici à Lassa parce qu’il illustre que le reggae, c’est plus que de la musique, c’est un message ! Un appel à l’amour, à la paix et à l’unité. » Une trilogie d’autant plus viscérale dans la situation d’état d’urgence toujours en cours au Mali.
Une bouffée d’air
Du 11 au 13 mai 2018, la première édition du Festival international de Lassa a réuni une douzaine d’artistes chantant l’harmonie universelle.
La cité de Lassa conserve un lien sacré avec la Jamaïque, l’île natale des Marley. Cedella Marley Booker, mère de la légende, y pose le pied en 1996. Une visite qui contribua à démarginaliser la communauté rasta sous le règne d’Alpha Oumar Konaré et aux yeux des Bamakois, dont plusieurs encore n’osent s’y aventurer, craignant son aura de mystère et le pouvoir de ses soi-disant « féticheurs ». Puis, en 2002, la journaliste française Hélène Lee, bible du reggae, affiliée à Libération, révèle à l’Occident l’existence du lieu.
Lassa s’apparente à ce paradis terrestre, ce Zion tant recherché des rastas. Le temps y coule paisiblement, loin de l’agitation des autres quartiers, dont celui des affaires, ACI 2000, accessible en seulement 15 minutes en voiture. Paradoxe entre deux solitudes. Depuis quelques années, des familles s’y installent peu à peu, fort modestement, bénéficiant à défaut de structures d’une vue exceptionnelle sur le fleuve Niger.
Rythmer l’art
Backpackers et amis du Mali viennent le week-end y respirer un peu d’oxygène, dans un cadre verdoyant au parfum de bougainvilliers. Le temps de se régaler des délices que sont les brochettes concoctées au LAC de Lassa — le Laboratoire d’Agri.Culture — par Carole, expatriée française, et son équipe. En osmose avec mère Nature, un jardin maraîcher biologique résiste miraculeusement aux assauts des 40 degrés ambiants. Sur place, une foule d’œuvres d’art fabriquées à base de métal recyclé sont exposées, offertes aux passants. Une kora, harpe ancestrale, patiente sur une chaise tressée en paille, inébranlable. Et le sourire de la paix rallie chacun des visiteurs, dans un cadre bucolique où le vin et la bière fraîche coulent à flots.
Lorsque vous viendrez, vous réaliserez que ce n’est pas ce que vous aurez vu à la télévision. Il y a certes des problèmes au nord du Mali, mais c’est à deux heures d’avion de Bamako.
Le quartier général du Festival se niche dans le centre artistique de Ras Ballasky, maître du bogolan et Grand Frère de Lassa qui veille à l’harmonie. Le bogolan, tissu massif à base de coton filé agrémenté de formes diverses, est le « fruit de la terre », traduction littéraire du bambara. Grâce à son génie et à son imaginaire, Ballasky conçoit des tuniques et des robes pour femmes qui trouvent un marché jusqu’en France. Non loin, sur une route caillouteuse, une boutique intrigante ; celle du « cornologue » Becdy. Une déclinaison d’objets usuels — accessoires à cheveux, porte-cartes, bracelets et breloques — à l’effigie de la feuille sacrée de la ganja.
« La cornologie, c’est le langage de la corne sous trois formes : artisanale, musicale et mystique. Un cornologue communique avec la corne. Nous vivons dans une société où chacun doit être ce qu’il est, sans déranger les autres », soutient l’artiste-philosophe, pour qui les bijoux à base de corne lui remémorent ceux des femmes africaines d’antan.
Sur la rive droite du Niger, en longeant l’avenue de l’Unité-Africaine, une halte obligée s’impose à Cité UNICEF. En quittant le goudron, au bout d’une ruelle anonyme comme il y en a tant à Bamako, s’élève une forteresse du reggae n’appartenant à nul autre que Tiken Jah Fakoly. L’édifice colossal de quatre étages réserve une expérience privilégiée à tout fana du mouvement. Un complexe abritant un studio d’enregistrement, deux salles de spectacle, une station radio, un restaurant-bar avec terrasse, dans une ambiance on ne peut plus décontractée. Du mercredi au vendredi, des concerts live résonnent dans cette « Ambassade du rastafari », comme se plaît à la définir son illustre propriétaire. « L’objectif premier de Radio-Libre consiste à donner la possibilité aux jeunes de se familiariser au live. Puisque les albums ne se vendent plus, les artistes doivent bien vivre de quelque chose… » évoque-t-il.
Tiken Jah Fakoly n’a qu’une recommandation à l’endroit des voyageurs hésitant encore à venir au Mali, à la simple vue de voir le pays apparaître « zone rouge » sur Internet : venez voir, surpassez vos craintes ! « L’Afrique a toujours été considéré comme un [continent] effrayant aux yeux du monde. Lorsque vous viendrez, vous réaliserez que ce n’est pas ce que vous aurez vu à la télévision. Il y a certes des problèmes au nord du Mali, mais c’est à deux heures d’avion de Bamako ! » souligne placidement l’homme établi à Bamako depuis 2002.