Les papilles fébriles dans Lanaudière

Entre la Mauricie et les Laurentides, la région de Lanaudière est particulièrement bien pourvue en sites agrotouristiques et en artisans du terroir. Itinéraire gustatif d’un père et de sa fille gourmands.
Alors, c’est entendu, chérie ? Pas un mot à l’intérieur, d’accord ?
– Mais papa, ma plus grande passion, c’est de parler !
– Tiens ta langue cinq minutes et t’auras droit d’y mettre de la barbe à papa à l’érable…
Quand les moines d’Oka ont déménagé à Saint-Jean-de-Matha, en 2009, c’était notamment parce qu’ils en avaient plein leur capuchon du bruit, dans l’environnement immédiat de leur ancien monastère. Désormais établis dans une retraite sobre, dépouillée et contemporaine, ils jouissent d’un espace de réflexion et de prière sublimissime : une lumineuse chapelle de bois clair percée d’une immense baie vitrée donnant sur la montagne Coupée.
– Le monsieur, là : on dirait une statue !
– C’est un moine en train de prier, et moi je te prie de me suivre : allons t’acheter des gâteries.
Avant ou après un coup d’oeil sur cette chapelle, le magasin de l’abbaye Val Notre-Dame foisonne de produits du terroir lanaudois et d’ailleurs, aux côtés de bondieuseries et d’ouvrages religieux. Même si les anciens moines de la Trappe d’Oka ne fabriquent plus leur fromage, ils élaborent ou préparent des produits forestiers (aiguilles de mélèze, brocolis d’asclépiades, etc.) et autres bouchées chocolatées. Véritable petit marché des saveurs, l’endroit forme un arrêt obligé pour qui manque de temps pour visiter les producteurs locaux.
Fifille a choisi un sapin-chandelle en cire d’abeille et du caramel à l’érable, moi une gelée de porto diaboliquement savoureuse et… deux pots de barbe à papa à l’érable.
Abbaye Val Notre-Dame. 220, chemin de la Montagne-Coupée, Saint-Jean-de-Matha, abbayevalnotredame.ca
La vallée du lait avalé
Dimanche dernier, à la ferme Vallée verte, il faisait gris et surtout froid, alors on a fermé les volets des fenêtres de l’étable, à travers lesquelles on voit d’ordinaire les vaches, en train de se faire traire ou gratter le dos avec une brosse rotative, quand elles ne sont pas affalées sur des lits de sable (c’est bon pour leurs articulations !).
Qu’importe : quand on trempe ses lèvres dans le succulent lait d’antan de cette ferme modèle, on comprend qu’il provient de vaches heureuses. Les crottes de fromage, le cheddar arômatisé à l’oignon et le yogourt à la tire d’érable sont autant d’autres régals, et nous les avons ajoutés à notre glacière.
Un secret de cette fraîcheur goûteuse tient à la pasteurisation lente et à basse température, qui permet d’annihiler les bactéries tout en préservant le bon goût du lait cru. En prime, la ferme est située au fond d’une mignonne vallée en cul-de-sac et elle est voisine d’une pension pour chevaux racés.
Ferme Vallée verte. 180, rang Guillaume Tell, Saint-Jean-de-Matha, fermevalleeverte.com
Avoir la foi dans le canard
Déjà, l’un des chemins de traverse qui permettent de se rendre chez Canards Maurel-Coulombe — le rang Saint-Guillaume — mérite à lui seul d’être arpenté, tant il est représentatif d’un Québec rural dont on ne se lasse pas : tracé sinueux et vallonné, rivière ondoyant sous les arbres, érablières, maisons séculaires…
Puis, une fois arrivé au ravissant domaine, on se sent téléporté dans le pays d’origine du foie gras, qu’on fabrique ici de façon artisanale, sans brusquer les braves bêtes. « Nous les gavons de grains à la main, les uns après les autres, tandis qu’ils se font masser », assure la charmante copropriétaire, Yvanne Maurel, Toulousaine d’origine. Ce n’est pas tout : les 1900 canards de cette ferme sont élevés en liberté dans les sous-bois jouxtant la propriété.
Pas de farines animales, d’antibiotiques, de gras trans ou de nitrites ! Nos volailles sont élevées 60 jours avant d’être abattues. C’est trois fois plus que les poulets aux hormones, et ça rend la viande bien plus tendre.
Foie gras, rillettes, aiguillettes, magrets, confits et autres terrines sont vendus uniquement sur place, la réputation de la maison lui suffisant à écouler l’entièreté de sa production.
Nous sommes repartis avec un magret fourré au foie gras (miam !) et un bloc de foie gras cru qui en découdra bientôt avec la poêle surchauffée.
Canards Maurel-Coulombe. 1061, rang du Sacré-Coeur, Saint-Jean-de-Matha, domainemaurelcoulombe.com
Donner du piquant à la lecture
Dès que nous avons franchi la porte, elle nous a mis le grappin dessus. Gentiment, mais sûrement, Louise Mathieu-Mills accueille chaque visiteur pour leur expliquer qu’elle a fait du bonhomme de pain d’épices le porte-étendard de son combat contre l’analphabétisme et le décrochage. « En Matawinie, 37 % des jeunes abandonnent l’école avant de finir leur 4e secondaire, alors je fais de la prévention », dit cette docteure en sciences de l’éducation.
Fondée par celle-ci et uniquement financée à l’origine par des dons privés, la coopérative de solidarité La Maison du pain d’épices comprend une vaste cuisine vitrée où on assiste en direct à la fabrication de pains d’épices, une salle où se tiennent des ateliers culinaires pour les jeunes ainsi qu’une jolie bibliothèque fort bien garnie en livres pour enfants et adolescents, notamment.
Les ateliers culinaires permettent aux jeunes de s’éveiller à la lecture et d’en maintenir l’intérêt « par des jeux de mots, de lettres et de chiffres, et parfois en visitant en imagination un autre pays ».
Nous avons salué bien bas la directrice d’une si noble cause, non sans emporter quelques sachets de bonhommes de pain d’épices, et après avoir laissé une obole…
La Maison du pain d’épices. 2181, route Louis-Cyr, Saint-Jean-de-Matha, paindepice.org
Sur la terre des bisons
Au sommet d’une colline retirée d’un coin perdu de Rawdon, un étonnant cheptel de bisons évolue dans un grand champ jouxtant une belle demeure fermière de 1898. À la fois centre d’interprétation (fermé pour l’hiver), site d’élevage, boucherie et boutique, La Terre des bisons a pignon sur route de terre depuis 1994.
Goûteuse à souhait, tendre et faible en gras, la viande de bison préparée ici est vieillie 21 jours avant d’être transformée en saucisses, en bavettes et en terrines.
Depuis quelques années, un troupeau de wapitis — qui fournit une autre excellente viande, encore plus maigre — est également élevé dans cette ferme de 400 acres, où toutes ces grosses bêtes se délient allègrement les pattes.
Les visiteurs de passage peuvent faire de même pour les lorgner de près en empruntant un sentier de 1,2 km (5,75 $). Nous avons décliné l’offre et sommes plutôt repartis avec un pavé de steak Boston, un tartin et des saucisses tomates et basilic, tous à base de bison.
La Terre des bisons. 6855, chemin Parkinson, Rawdon, terredesbisons.com
Quand Angèle veille au grain
En entrant dans la boutique des Volailles d’Angèle, qui loge dans une coquette demeure ancestrale, un drôle d’écran attire l’attention : on y voit des poulets filmés en direct du poulailler, sorte de téléréalité qui dévoile les conditions d’élevage de ces volailles nourries au grain.
« Pas de farines animales, d’antibiotiques, de gras trans ou de nitrites ! » lance la préposée, avant d’ajouter que ses protégées sont élevées pendant 60 jours avant d’être abattues. « C’est trois fois plus que les poulets aux hormones, et ça rend la viande bien plus tendre. »
L’été et l’automne, des dindons se nourrissent pour leur part d’herbe fraîche, directement dans le pâturage voisin, tandis que des canards de Barbarie consomment un cocktail de grains de maïs, de soja et d’orge, sans jamais être gavés.
Nous repartons avec un poulet entier, un cipaye volailles et cerf, une tourtière à l’ancienne et des burgers de canard.
– Une dinde congelée pour Noël, avec ça ?
– Non merci, on repassera avant les Fêtes !
Volailles d’Angèle. 36, rang Rivière Sud, Saint-Esprit, volaillesdangele.com
S’y rendre

À noter qu’un pont est fermé sur la route 337, près de Sainte-Béatrix. Dans un sens comme dans l’autre, on peut cependant faire une boucle via l’autoroute 40, l’autoroute 31 et la route 131 jusqu’à Saint-Jean-de-Matha, puis revenir par la 337 vers Rawdon et Saint-Esprit.
Compter environ trois heures et demie de route aller-retour de Montréal, sans les arrêts.
Plusieurs artisans cités ici seront présents au marché de Noël de Joliette, dès le premier week-end de décembre.
Pour en savoir plus : noeljoliette.com, lanaudiere.ca, goutezlanaudiere.ca