Royan, béton charmé

Vue sur la baie depuis une chambre d’hôtel de Royan
Photo: French Cobber Vue sur la baie depuis une chambre d’hôtel de Royan

Rasée en 1945, reconstruite selon de nouveaux principes architecturaux durant les années 1950, la cité balnéaire charentaise n’est plus la « splendeur de l’entre-deux-guerres ». Elle séduit pourtant avec une identité urbanistique qu’elle assume enfin.

Royan détruite, Royan brisée… Mais Royan reconstruite ! Quasiment rasée durant la Seconde Guerre mondiale par les bombardements alliés, la cité atlantique renaquit de ses cendres dans les années 1950. Selon la légende, le ministre de la Reconstruction du gouvernement provisoire du général de Gaulle, Raoul Dautry, aurait reçu l’architecte Claude Ferret en juillet 1945 et lui aurait asséné, martial : « Vous avez trois ans pour reconstruire cette ville. Si dans trois ans vous n’avez pas terminé, on vous fera fusiller. »

Il faudra en fait plus d’une décennie — et quelques manifestations d’habitants excédés par la lenteur des travaux — pour boucler le chantier, mais Royan ressuscita. Et Claude Ferret ne fut pas passé par les armes…

Aujourd’hui, la ville balnéaire a conscience de la richesse de cette identité urbanistique si particulière. Pour nous aider à la décrypter, une spécialiste de la ville de Royan nous accompagne dans notre déambulation. « Le choix, après la guerre, c’était de ne pas refaire quelque chose à l’identique, explique Charlotte de Charette, animatrice du patrimoine et de l’architecture. On est parti sur une ville moderne, avec une architecture qui correspondait à l’époque. »

Située sur la rive nord de l’estuaire de la Gironde, Royan a depuis toujours une vocation touristique. Avant sa destruction, « la splendeur de l’entre-deux-guerres » est la station balnéaire la plus courue de l’Atlantique. Les spectacles joués à Paris descendent y prendre l’air, trois casinos y prospèrent et on ne compte plus les salles de bal, les cafés, les restaurants… Un bateau effectue même la liaison avec Bordeaux, bien avant l’essor d’Arcachon. Royan compte alors 20 000 habitants durant l’année et 95 000 l’été.

Après la guerre, on fait du passé table rase. De nouvelles zones sont créées, des bâtiments emblématiques sont construits autour des grands axes. Signe des temps, beaucoup d’espaces sont réservés à l’automobile. « C’est l’État qui pilote la reconstruction, explique Charlotte de Charette. À l’époque, les habitants sont enthousiastes. Ils viennent voir sur les maquettes exposées à quoi va ressembler leur ville. Ils adhèrent à cette modernité… » Plongée dans cette nouvelle ère en quatre étapes.

Le front de mer

 

Dans les années 1950, les maisons particulières face à l’Atlantique font montre d’une grande modernité. Le désamour viendra plus tard, dans les années 1970. On assimile la physionomie de la ville d’alors aux grands ensembles des banlieues qui commencent à se dégrader et à se paupériser. Résultat, « les cartes postales ne montrent plus que la plage », remarque Mme de Charette.

Dans les années 1980, on détruira le casino, puis le portique assurant la liaison entre le palais des congrès et deux barres du front de mer. « C’était un balcon sur l’estuaire de la Gironde. On l’a détruit car il bloquait la vue sur la mer », disait-on alors.

La cathédrale et le temple

 

Notre-Dame, conçue par l’architecte Guillaume Gillet, est le bâtiment emblématique de cette nouvelle Royan, tout en béton brut de décoffrage. Elle est visible dans toute la ville, et c’est un paradoxe puisque la cité est protestante. « Royan est une ville très horizontale, explique Charlotte de Charette. Le maire de l’époque aurait dit : “Redressez-la avec la silhouette de l’église.” »

Mais la cathédrale est aussi une prouesse technique : aucune de ses structures ne fait plus de 10 centimètres d’épaisseur. C’est un voile de béton plié en forme de V. Classée monument historique en 1988, elle est actuellement en cours de restauration, à cause de la corrosion dont est victime l’acier.

Cette horizontalité de Royan, le temple protestant, oeuvre des architectes Bauhain, Baraton et Hebrard, en témoigne. Ce trio a beaucoup construit dans la ville. Avec cet édifice, il propose une architecture balnéaire où on peut profiter de l’intérieur comme de l’extérieur. Il s’agit d’une construction à la brésilienne inspirée d’Oscar Niemeyer, qu’on retrouve dans les formes courbes, la couleur, la liaison entre le dedans et le dehors.

Le boulevard Aristide-Briand et le marché

 

Les couleurs de Royan correspondent à ce qu’on recherchait dans les années 1950 : jaune, vert, rouge et bleu. Le boulevard Aristide-Briand, qui part du marché pour rejoindre le front de mer, fait figure de colonne vertébrale de la reconstruction. Un étage y est réservé aux commerces et les deux suivants aux habitations. Les porches comprennent des bas-reliefs style Art déco. Les toits sont en tuile plutôt qu’en terrasse. Sans doute un écho au régionalisme saintongeais.

Nous voilà au marché. Un symbole de ce qu’on faisait de mieux dans ces années 1950. C’est une construction due à Louis Simon et André Morisseau, conçue comme un amphithéâtre. On y découvre une calotte sphérique ondulée en béton, une structure autoportante. Ce bâtiment a souvent servi de modèle à l’étranger (église de Saint-Louis dans le Missouri, cirque de Bucarest, océanorium de Valence…).

Les villas Art déco

 

Si les visiteurs sont « allergiques » au style architectural de cette reconstruction urbaine, ils pourront toujours se consoler en allant se promener autour de la grande conche, où se trouvent des villas Art déco, heureusement épargnées par la pluie de bombes qui détruisit la plus grande partie de la ville. Ainsi, la villa « sans nom » ou encore celle des « Camélias » offrent-elles un bel exemple de ce mouvement.

Mais aujourd’hui, plus d’un demi-siècle plus tard, comment pérenniser cette nouvelle Royan ? La problématique n’avait pas échappé à l’un des maires de la ville, l’amiral Hubert Meyer (1959-1965). Ainsi écrivait-il : « Quand viendra la période de l’entretien de notre ville, le ravalement de nos constructions pimpantes mais quelque peu fragiles, le renouvellement de nos attractions touristiques […], il pourra advenir que l’équilibre économique soit rompu. Ce grave écueil ne saurait être évité que pour autant que Royan sera maintenu en continuelle expansion, tant en superficie qu’en qualité, ce qui exigera de tous ceux qui sont dévoués à la ville un constant effort d’imagination, un dynamisme inlassable et de nombreux sacrifices. » À Royan, l’innovation architecturale a encore de beaux jours devant elle.

En vrac

Dormir. L’hôtel Arc en ciel est un établissement à la décoration colorée proposant des chambres conviviales, un solide petit-déjeuner et une terrasse arborée. 6, place du Maréchal-Foch, ☎  05 46 22 65 34. Le Trident Thyrsé est un petit hôtel face à la mer qui propose 15 chambres au mobilier vintage et un parking gratuit. 66, boulevard Frédéric-Garnier, ☎  05 46 05 12 83.

Manger. Le Petit Bouchon : cuisine française de saison, originale, dans une salle à la déco sixties. Belle terrasse. Excellents cocktails. 8, quai Amiral Meyer, ☎  05 46 22 08 82.

À faire dans les environs. Croisières dans l’estuaire de la Gironde et à destination du phare de Cordouan. Visites autour de Royan : Mornac-sur-Seudre, zoo de la Palmyre, Talmont, abbaye aux Dames (Saintes).

À lire. Royan années 1950. Guide architectural, Antoine-Marie Préaut, éditions Bonne Anse.


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