Voyage en ski dans l’histoire (2/5) – Les combats de l’arrière-pays

Daniel Bélanger et Louis Fradette, qui militent tous les deux pour la protection des montagnes de la réserve faunique de Matane.
Photo: Caroline Montpetit Le Devoir Daniel Bélanger et Louis Fradette, qui militent tous les deux pour la protection des montagnes de la réserve faunique de Matane.

C’est à partir de Gaspé, que Cartier a foulé lors de son premier voyage, que l’équipe de la Traversée de la Gaspésie a décidé, pour son 15e anniversaire et pour le 375e anniversaire de Montréal, de lancer son périple en ski à travers le Québec. Comme Cartier découvrant le Canada, les skieurs voyageront de Gaspé à Montréal. Nous les suivons aujourd’hui dans l’histoire de l’arrière-pays matanais, à l’ombre des monts Chic-Chocs. Deuxième de cinq articles.

Pour les aventuriers français qui sillonnaient le fleuve au XVIe siècle, l’emplacement de Matane se faisait remarquer par les hautes montagnes qui se dessinaient dans son arrière-pays.

Les explorateurs s’approvisionnaient en eau potable dans la rivière Matane, grouillante de saumon et de truite, qui prend sa source dans l’imposant mont Blanc.

Dans les hauteurs de la chaîne de montagnes nichent des espèces rares : des couples de l’aigle royal et de la grive de Bicknell, sans parler des hardes de caribous de montagnes, une espèce rarissime, qui circulent entre la réserve faunique de Matane et son voisin, le parc de la Gaspésie.

Dans l’ombre de ces sommets enneigés, une série de petits villages sont nés, entre autres à la faveur de la crise économique qui affamait les villes en 1929. Certains de ces villages sont morts et ont été fermés dans l’entreprise de relogement enclenchée par le Bureau d’aménagement de l’est du Québec (BAEQ), dans les années 1970. D’autres ont résisté et survivent toujours aujourd’hui. Mais ils doivent toujours se battre pour garder les services nécessaires à la population.

Avec ses 200 habitants, le village de Saint-Jean-de-Cherbourg, à l’entrée de la réserve faunique de Matane, est de ceux-là.

Daniel Bélanger, qui est né au village de Saint-Jean-de-Cherbourg et vit aujourd’hui à Matane, se souvient d’une époque où son village débordait de vie, avant la campagne de fermeture menée par le BAEQ.

« À l’époque, les rangs n’étaient pas ouverts. Mais ma mère était enseignante. Alors, on se rendait à l’école en motoneige, et on restait là toute la semaine. Les enfants du rang se rendaient à l’école à pied », se souvient-il. À l’époque, ses parents ont un restaurant très fréquenté et les commerces sont florissants.

Fermeture de villages

 

Sous les pressions du gouvernement du Québec, plusieurs villages, comme Saint-Nil ou Saint-Thomas-de-Cherbourg, ont fermé leurs portes dans les années 1970. Les moulins à scie que l’on trouvait sur les rangs disparaissent les uns après les autres. Des résidants de village sont relogés dans des quartiers de Matane. Et plusieurs ne survivent pas à cette transplantation, loin de la nature et de leur jardin.

D’autres se sont réunis dans le cadre de ce qu’on appelle l’Opération Dignité, et ont lutté pour rester ouverts.

Mais il demeure difficile de garder des écoles ouvertes dans les villages hors des centres urbains comme Matane.

 

Depuis 2008, l’école de Saint-Jean-de-Cherbourg est fermée, et les enfants doivent aller à l’école à Saint-Adelme ou à Matane. Des villages commencent à envisager des fusions volontaires qui leur permettraient d’unir leurs services.

« Le seuil minimum pour garder une école est de six enfants, explique Sandra Théberge, directrice des services éducatifs pour la commission scolaire des Monts-et-Marées. Chaque année, il y a des écoles pour lesquelles on se demande si on va donner le niveau de maternelle, le premier ou le deuxième cycle du primaire, ou le secondaire. »

Revenir chez soi

 

Jocelyn Bergeron, le maire de Saint-Jean-de-Cherbourg, dont les parents étaient partis vivre à Montréal sous la pression du BAEQ, a décidé de regagner son coin de pays.

« Ici, c’est la liberté, dit-il. Je sors de ma maison et j’ai tout derrière : des fruits sauvages, la pêche, la chasse. »

Pourtant, le potentiel sauvage magnifique de la réserve faunique de Matane n’est pas à l’abri des dangers.

Depuis huit ans, le comité pour la protection des monts Chic-Chocs se bat pour faire cesser les coupes à blanc menées par les compagnies forestières sur les sommets des montagnes.

« On n’est pas contre la coupe forestière, mais on voudrait qu’ils se concentrent dans certaines zones, comme dans les vallées », explique Louis Fradette.

Enfant, Louis Fradette venait chasser l’orignal avec son grand-père sur le territoire. Il aimerait bien léguer le territoire, intact, à ses petits-enfants.

« Comme les vallées ont déjà été coupées, les compagnies vont chercher du bois toujours plus loin, sur les montagnes, dans des endroits difficiles d’accès. C’est aussi dangereux pour l’érosion. »

« C’est le gouvernement qui donne des permis à ces compagnies pour qu’elles fassent de la coupe », dit-il. C’est donc au gouvernement de s’assurer que ces coupes cessent en haute montagne.

En 2013, le conseil régional des élus du Bas-Saint-Laurent avait recommandé la création de 200 kilomètres carrés d’aire protégée dans la réserve faunique, où la coupe de bois serait interdite ainsi que l’exploitation minière, pétrolière et éolienne. Or, la réserve faunique de Matane est quadrillée de « claims » miniers et pétroliers.

« On voudrait miser sur le développement récréotouristique », dit M. Fradette.

Pascal Bérubé, député de Matane-Matapédia, qui a été ministre du Tourisme sous le gouvernement péquiste, appuie le projet, ainsi que la municipalité de Matane. Mais le gouvernement libéral, désormais au pouvoir, n’a pas donné suite au dossier.

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