Les hauts et les bas de la fameuse liste

Côté pile, il y a les espèces sonnantes et trébuchantes que rapporte la désignation de l’UNESCO, soit les retombées économiques directes et indirectes d’un afflux touristique stimulé par le label. C’est la manne des deux millions de touristes au parc archéologique d’Angkor, au Cambodge, en 2013, et des quatre millions attendus cette année.
Côté face, il peut y avoir dégradation, causée par ce même achalandage, du site qu’on souhaite préserver, ou une perte d’intégrité de son environnement immédiat (lire : Luang Prabang : à visiter en voyageur avisé). Au Caire, qui n’a pas été étonné, voire déçu, par la proximité des hôtels et des pyramides ?
Conjuguer partage du patrimoine par le plus grand nombre, conservation, tourisme et développement durable n’est pas une mince affaire… Au siège de l’UNESCO, à Paris, on rappelle qu’en vertu de la Convention du patrimoine mondial, la gestion des sites figurant sur la fameuse liste relève exclusivement des États qui en ont demandé l’inscription.
Au moment de poser la candidature d’un bien, ceux-ci doivent démontrer leur capacité à le sauvegarder. Mais que se passe-t-il lorsqu’ils s’acquittent mal de cette tâche ? Les États conservant la pleine souveraineté sur leurs sites, le Comité du patrimoine mondial ne peut alors, au mieux, que formuler des recommandations afin qu’ils soient mieux conservés et fournir à cette fin une aide technique et financière ; au pire, il peut les retirer de la liste. C’est ce qui s’est passé pour la vallée de l’Elbe, à hauteur de Dresde, inscrite en raison de son paysage culturel, puis déclassée en 2009 lorsqu’un pont à quatre voies fut édifié, qui gâcha irrémédiablement un panorama des XVIIIe et XIXe siècles.
Préserver un site est une chose ; préserver son environnement, une autre. Et là aussi, rien n’est simple. Prendre un téléphérique pour atteindre l’acropole de… Pergame peut choquer, mais routes et parcs de stationnement seraient-ils préférables ?
Kishore Rao, directeur du Centre du patrimoine mondial, rappelle par ailleurs que, lorsque surviennent des développements affectant les caractéristiques historiques d’un site, le pays concerné est rappelé à l’ordre. « La mise en oeuvre des correctifs est alors suivie jusqu’à ce qu’ils aient été apportés en totalité », écrit-il dans un courriel. En 2011 fut notamment adoptée la Recommandation concernant le paysage urbain historique (une soft law internationale non contraignante), qui vise justement à encadrer le redéveloppement d’ensembles urbains historiques.
« Le redéveloppement doit donner la priorité à des interventions durables en matière de planification et d’aménagement, et cela en tenant compte de l’environnement bâti existant, du patrimoine intangible, de la diversité culturelle, de facteurs socioéconomiques et environnementaux, de même que des valeurs de la communauté locale », poursuit le directeur.
Revenons à Angkor. Avant son inscription, la capitale de l’ancien empire khmer était la cible de pilleurs qui en débitaient les sculptures pour les vendre sur le marché de l’art. Identifiée comme site en péril, elle fit l’objet d’un vaste chantier de sauvegarde qui dura 10 ans. Inscrit sur la liste en 1992, Angkor a vu sa fréquentation touristique monter en flèche. Ces dernières années, celle-ci s’accroît de 25 % annuellement, ce qui profite à la population locale, selon l’UNESCO. Juste en droits d’entrée, le site a récolté 51 millions $US en 2012, et aux dernières nouvelles un pourcentage des recettes y est réinvesti.
En contrepartie, on doit gérer l’érosion des pierres, l’expansion de Siem Reap, la ville voisine, et d’autres pressions que le tourisme fait subir à l’environnement (un besoin d’eau accru en pleine saison sèche, notamment). Mais il n’en demeure pas moins que, sans l’UNESCO, il ne subsisterait peut-être plus grand-chose aujourd’hui de l’une des plus vastes cités hindo-bouddhistes du monde.
« Le fait est que le tourisme apporte à la fois bonnes occasions et défis pour la gestion d’un site du Patrimoine mondial, écrit encore M. Rao. On s’efforce de saisir les premières et de faire face aux seconds dans l’intérêt de la conservation du site comme dans celui du développement durable des communautés. »
La petite histoire
Le monde a pris conscience de la nécessité de protéger les biens de l’humanité lors de la construction du haut barrage d’Assouan, en Égypte, dans les années 1960. Ce projet controversé du président Nasser soulevait alors les passions car, s’il allait réguler les crues du Nil, il présentait toutefois des « inconvénients » majeurs: déplacements de population et submersion de plusieurs monuments, dont les temples d’Abou Simbel, érigés sous Ramsès II. Orchestrée par l’UNESCO, une extraordinaire opération internationale de sauvetage mit hors de portée des eaux plusieurs trésors de Basse-Nubie et de Haute-Égypte. Dans la foulée, fut rédigée en 1972 la Convention du patrimoine mondial de l’UNESCO, un texte encadrant l’inscription des sites à « valeur universelle exceptionnelle » à la célèbre liste. Celle-ci compte aujourd’hui plus de 1000 biens culturels et naturels dans 161 pays, qui se sont engagés à les protéger en signant ladite convention.whc.unesco.org