L'épopée des bâtisseurs à cheveux longs
À quelques kilomètres de Balazuc, au pied des falaises de calcaire creusées par la rivière Ardèche, le village du Viel Audon semblait voué à la disparition totale lorsqu'une bande de jeunes «néoruraux» s'y établit quelque part au début des années 1970. But avoué de l'aventure: reconstruire le village déserté au XIXe siècle par ses habitants attirés sur les plateaux par l'élevage du ver à soie et le travail dans les maladreries.
Les «babas cools» n'ont pas retapé que le Viel Audon en Ardèche, ils ont aussi rebâti une foule de vieilles fermes et des villages entiers sur les hauts plateaux, plus au nord. Puis, l'épopée des bâtisseurs à cheveux longs a pris de l'ampleur et joué un rôle crucial de déclencheur dans la renaissance de toute la région — signalons que quelques rares contre-cultureux d'ici ont alors participé à cette improbable reconquête du territoire ardéchois.Les néoruraux ont rapidement migré vers le sud et donné le coup d'envoi à la reconstruction, par exemple, du petit village médiéval de Naves, près de Les Vans; nous avons passé là une nuit sous les élégantes voûtes de pierre de la maison d'hôtes La Seigneurie de Naves.
Comme nous l'expliquent les propriétaires de l'endroit, Fanou et Jean-Paul, le village ressuscite durant les années 70 sous l'impulsion de quelques «babas cools» bâtisseurs qui ont donné l'exemple à des «étrangers» amoureux du pays qui ont continué le travail. Aujourd'hui, plusieurs des maisons de Naves ont été retapées par des New-Yorkais, des Belges et des Néerlandais et l'on peut observer le même phénomène dans plusieurs villages du coin.
En périphérie, ce nouvel attrait pour les vieilles pierres des anciens hameaux abandonnés a permis la renaissance d'une foule de métiers, comme la taille de pierre, la maçonnerie et l'ébénisterie. On dit que les néoruraux des années 70 seraient aussi largement responsables du maintien de l'élevage de chèvres et de la fabrication artisanale du fromage qui fait aujourd'hui la fierté de toute l'Ardèche.
Construire des femmes et des hommes
Aujourd'hui, le Viel Audon est un «village coopératif» où se tiennent chaque année, de février à juin, des chantiers jeunesse (www.levielaudon.org) accueillant des stagiaires venus de toute l'Europe et du monde entier pour apprendre la solidarité, tout en travaillant avec des artisans à des projets bien précis «qui privilégient l'utilité sociale plutôt que le profit».
Plus de 10 000 jeunes bénévoles sont passés ici en un peu plus de 35 ans; ils ont reconstruit de grandes parties du village, découvert et pratiqué un métier, se sont occupés du gîte ouvert au public ou encore du jardin ou du troupeau de chèvres qui fait vivre la communauté. Au Viel Audon, «on continue de bâtir des murs en construisant des femmes et des hommes»...
Dès le départ, on a développé là une expertise en entreprises alternatives et solidaires faisant la place tout autant au financement éthique et aux méthodes ancestrales éprouvées qu'au développement durable et aux principes coopératifs. Le Réseau d'échanges et de pratiques alternatives et solidaires (REPAS) fait écho aux activités du Viel Audon et publie aussi dans la collection «Pratiques utopiques» une série de témoignanges vécus sur des expériences d'économie sociale (http://reseaurepas.free.fr).
Que vous traîniez ou non un passé de baba cool, une visite au Viel Audon, entre les falaises blanches découpées par l'Ardèche, vous tirera probablement une petite larme en constatant que, finalement, tout n'est pas pourri au royaume d'aujourd'hui.