Mont Kenya - L'attitude face à l'altitude

Photo : Gary Lawrence
Photo: Photo : Gary Lawrence

Quand j'ai raconté à mes potes avec qui j'avais fait l'ascension du mont Kenya, j'ai eu droit à des yeux ronds comme des billes.

- C'est pas vrai... Tu es parti en expédition avec trois Danoises? Et des infirmières, en plus?

- Coupez court à vos fantasmes: elles avaient la carrure d'un jeune pachyderme, la grâce d'un hippopotame, et elles semblaient former un joli petit ménage à trois, si vous voyez ce que je veux dire.

Sur le coup, j'étais rassuré d'effectuer ce périple avec trois professionnelles de la santé: si jamais ça tournait mal, j'aurais ma propre équipe de secours à portée de main. Elles n'ont d'ailleurs pas manqué de me souligner l'importance de leur rôle dès le début, ces Danoises un brin briochées.

«Tu sais, m'a dit Karen sur un ton moralisateur, nous t'avons bien observé dans la camionnette: entre Nairobi et le mont Kenya, tu n'as presque pas bu d'eau. Et il est très important de bien s'hydrater avant de s'attaquer à cette balade... Tu n'as pas entendu parler du mal aigu des montagnes?»

Ben non, Karen, je tombe des nues et je n'étais pas au courant de ce qu'on appelle en anglais «acute mountain sickness», tu penses bien. Mais j'imagine que tes commentaires te sont revenus en travers de la gorge lorsque tu t'efforçais de retenir ta matière grise à l'intérieur de ta boîte crânienne, quand on t'a redescendue en catastrophe vers la base de la montagne.

On ne rigole pas avec le mal aigu des montagnes, une conséquence directe de la baisse de pression atmosphérique et de la raréfaction de l'oxygène qui en résulte. Outre les maux de tête, les étourdissements, les nausées, la perte d'appétit, l'insomnie on l'irritabilité, on peut perdre connaissance et se mettre à enfler, signe possible d'une hipoxie aiguë (diminution de l'apport d'oxygène aux tissus). Dans les cas extrêmes, les plus mal en point risquent l'oedème pulmonaire ou cérébral, aux conséquences potentiellement létales.

Quand les premiers symptômes apparaissent en montée vers un haut sommet, il est donc impératif de ralentir le pas. S'ils persistent, vaut mieux prendre du repos pendant au moins 24h, le temps que le corps s'adapte. S'ils s'aggravent, il faut redescendre d'urgence, ne serait-ce que de 500 m.

Le plus étonnant, c'est que même si on est en pleine forme, on peut mal encaisser les hauteurs. Pour un athlète, c'est d'autant plus frustrant que les porteurs kényans grimpent sans broncher, chargés comme des mules et la clope au bec. «Ils supportent mieux le manque d'oxygène parce que leurs poumons sont atrophiés par la fumée de cigarette», assure Anjali, proprio de l'agence Travel Wild, à Nairobi.

Une chose est sûre, c'est qu'habiter un village situé à 2000 m d'altitude et grimper régulièrement à 5000 m ne peut pas nuire. Mais pour le commun des grimpeurs mortels, l'acclimatation à l'altitude répond à des règles que la raison ne connaît pas.

Ainsi, le premier soir de l'ascension du mont Kenya, l'une des Danoises nous a fait une convaincante imitation de boyau d'arrosage, en débecquetant son repas avec force jets. Le lendemain, c'était au tour de Karen de s'illustrer par une surprenante interprétation du bibendum. Vers 21h, la pauvre était tellement enflée qu'elle est repartie sur une civière de fortune. Mais les brancards ont lâché, et elle a dû tituber pendant 6 heures sur un sentier glacé par la pluie gelée, à -5 degrés.

Pourtant, elle était en «top forme», la brave infirmière. Elle s'était déjà tapé 4700 m au Népal et elle s'était entraînée des mois durant, avant de venir au Kenya. Pour ma part, trivial marcheur à la forme plus que moyenne, j'ai finalement été le seul du groupe à me retrouver devant le faîte accompli. Du haut des 5000 m du pic Lenana, j'ai tout de même eu une petite pensée pour Karen: tout compte fait, c'est elle qui avait raison; maintenant, j'avais vraiment soif.

***

Collaborateur du Devoir

À voir en vidéo