Lumière sur Manchester

Photo: Carolyne Parent
Ancien site des fortifications romaines et coeur industriel de la ville, Castlefield Heritage Park est le quartier le plus attrayant de Manchester.
Photo: Carolyne Parent Photo: Carolyne Parent Ancien site des fortifications romaines et coeur industriel de la ville, Castlefield Heritage Park est le quartier le plus attrayant de Manchester.

Cette année, Liverpool sera la capitale culturelle de l'Europe. Grand bien lui fasse! Car dans le nord-ouest de l'Angleterre, c'est plutôt Manchester, sa voisine, qui épate. Chronique d'une renaissance bien menée.

Manchester — Qu'on se comprenne bien: Livervool est une ville agréable, bien différente de la cité abonnée aux crises économiques et sociales que les Beatles, ses célèbres enfants, ont connue. À preuve: bon an, mal an, environ dix millions de touristes y séjournent, dont 500 000 attirés spécifiquement par le Cavern Club et autres lieux liés aux Fab Four.

Cette année, la désignation de «capitale» lui en vaudra 1,7 million de plus tout en triplant l'apport de visiteurs d'outre-mer, estime Martin King, directeur du tourisme du Mersey Partnership, un organisme qui fait la promotion de l'agglomération de Liverpool.

Pour accueillir cette belle visite, la ville se refait une beauté. «Il nous faut changer les perceptions, dit Neil Peterson, chef de Liverpool Welcome. Les visiteurs seront d'ailleurs surpris par sa transformation.» Nouveau centre des congrès, nouveaux hôtels, nouveau stade de foot, construction d'un terminal pour les bateaux de croisière, régénération de 42 acres du centre-ville grâce à Liverpool One, un projet immobilier à la fois résidentiel et commercial: en octobre dernier, les chantiers de construction s'y comptaient treize à la douzaine et les investissements se chiffraient à cinq milliards de livres (10,1 milliards de dollars).

Du côté de la culture, la ville, qui fit fortune au XVIIIe siècle grâce au commerce des esclaves, mise sur son riche passé maritime. Ainsi, les cinq entrepôts de l'Albert Dock, abandonnés dans les années 70, ont été convertis en un complexe récréatif qui comprend Tate Liverpool, le musée The Beatles Story ainsi que le nouveau International Slavery Museum, à même le Merseyside Maritime Museum. Ce dernier présente aussi des artéfacts du Titanic. Non loin de là s'élève d'ailleurs l'ancien immeuble de la White Star Line, armateur du tristement célèbre transatlantique.

N'empêche, et n'en déplaise à la «capitale», charme, sophistication et harmonie du paysage urbain logent plutôt à une soixantaine de kilomètres à l'est de Liverpool. À Manchester.

Dans l'Angleterre de Dickens

Centre-ville compact et vivant, profusion d'édifices historiques bellement restaurés, quartiers chinois et indien ajoutant une note cosmopolite... Manchester est plus qu'une ville agréable: c'est une métropole en pleine renaissance qui, en quelques décennies, est passée de lugubre à lumineuse.

Oui, elle revient de loin, la Cottonopolis! Fin XVIIIe siècle, les filatures de coton champignonnent à Manchester, berceau de la révolution industrielle. Tant et si bien qu'on la surnomme «la cité des hautes cheminées». Avènement de la machinerie à vapeur et de la fileuse mécanique, proximité du port de Liverpool où arrivent les cargaisons de matière première en provenance du sud des États-Unis, réseau de canaux pour les acheminer jusqu'aux usines, main-d'oeuvre à bon marché: tout concourt à l'enrichissement des barons du coton.

«Dans les années 1800, les paysans affluent dans la cité, qui compte alors presque le double de la population actuelle [480 000], dit la guide Diedre Burns. Et il s'y passe ce qui se passe maintenant en Chine: c'est le règne de la production à grande échelle dans des usines qui emploient une population pauvre, dont des enfants.»

Usines, engins à vapeur... Ne manque plus qu'une voie ferrée pour que la révolution soit complète. La première ligne de trains pour passagers au monde naîtra donc sous l'impulsion d'hommes d'affaires locaux vers 1830 et reliera Manchester à Liverpool. Cette première gare est d'ailleurs un des cinq bâtiments qui constituent aujourd'hui le Museum of Science and Industry de Manchester.

Dans ce beau musée, on apprend notamment qu'en 1870, tout un système d'exportation du produit fini était en place dans de grands entrepôts où se faisaient la mise en balles et l'expédition du textile. Ces immeubles majestueux, de brique rouge ou de calcaire doré, s'alignent pour la plupart sur les rues Whitworth, Princess et Portland et témoignent de la prospérité de l'époque. Sur cette dernière rue, le Watts Warehouse, le plus flamboyant de tous, est devenu l'hôtel Britannia. Les ventes de l'étoffe, elles, se déroulaient au Royal Exchange qui, à la même période, contrôlait 80 % du marché mondial du coton. Aujourd'hui, au coeur de sa coquille néoclassique, trône un théâtre qui ressemble étrangement à un module spatial.

Parallèlement, on crée des places, des parcs, des jardins, et on érige quantité d'institutions publiques comme la John Ryland Library, construite avec l'argent d'un milliardaire du coton, l'hôtel de ville néogothique et le Free Tree Hall, où loge maintenant l'hôtel Radisson Edwardian. Tous ces édifices imposants contribuent eux aussi au charme de Manchester.

Mais voilà qu'après des décennies de prospérité, l'industrie du coton se met à décliner. «Dans les années 1960 apparaissent de nouveaux joueurs, tels l'Inde, le Pakistan, le Bangladesh, capables de produire la matière à meilleur compte», explique Mme Burns. Les usines ferment les unes après les autres, les entrepôts se vident, le chômage est endémique, bref, c'est la débâcle. Pendant de nombreuses années, Manchester filera, littéralement, un mauvais coton.

La créativité à l'oeuvre

C'est un premier projet de redéveloppement qui, dans les années 1980, donnera le coup d'envoi à la renaissance spectaculaire de la ville. Ancien coeur du Manchester industriel avec ses canaux et son chemin de fer, Castlefield est transformé en un vaste parc patrimonial urbain, le premier d'Angleterre. Les studios de télévision Granada s'y implantent, de même que le Museum of Science and Industry. Les anciens entrepôts et usines ressuscitent en habitations, des cafés s'installent dans les parages et, aujourd'hui, ce sont des péniches de plaisance qui sillonnent les canaux. Castlefield Heritage Park est assurément un des quartiers les plus attrayants de la métropole.

«En fait, la majeure partie du redéveloppement mis en oeuvre par la suite doit beaucoup à l'investissement de la ville dans des projets de grande envergure, dit Andrew Stokes, chef de la direction de Marketing Manchester. Prenons par exemple notre candidature aux Jeux olympiques de 1996: ce fut le catalyseur qui a mené à la construction de la MEN Arena [le plus grand amphithéâtre d'Europe; Céline Dion s'y produira en mai]. Après une deuxième tentative en 2000, qui fut également un échec, la persévérance de Manchester a finalement été récompensée: la ville a été l'hôte des Jeux du Commonwealth en 2002, un événement qui a encouragé de grands travaux de construction et donné à la ville un nouvel enthousiasme.» Après l'attentat à la bombe de l'IRA dont elle fut victime en 1996, elle en avait bien besoin...

En 2002 naît donc le musée Urbis, une étonnante structure de verre qui présente des expositions interactives sur le thème de la vie urbaine à travers le monde. À Trafford Wharf, à un jet de pierre du centre-ville, c'est le bellement austère Imperial War Museum North, signé Daniel Libeskind, qui voit le jour juste en face du nouveau complexe récréatif Lowry, sur les Salford Quays. En 2006, la Beetham Tower, un monolithe de verre de 48 étages, devenait à juste titre la nouvelle icône de la ville.

«Nos anciennes filatures, nos anciens entrepôts ne demandaient qu'à renaître», dit M. Stokes. Et les urbanistes et architectes qu'à s'exprimer. Mission accomplie Et comment!

En vrac

- Air Transat offre des vols directs Montréal-Manchester de mai à octobre. Jusqu'au 26 mars 2008, le transporteur vole également sur Manchester à partir de Toronto. www.transat.com.

- Se loger à Manchester: au Radisson Edwardian (www.radissonedwardian.com), à l'hôtel Midland, un autre édifice historique où un certain M. Rolls s'associa à un certain M. Royce en 1904 (www.qhotels.co.uk), ou au Hilton, qui occupe 23 étages de la Beetham Tower (www.hilton.co.uk/manchesterdeansgate).

- Envie d'un fish'n'chips postmoderne? Direction Room (81 King Street), un ancien club privé où s'époumonait Winston Churchill, maintenant un resto chic. www.roomrestaurants.com.

- Pour prendre un verre, suivez les fils de pubs! Pour trinquer plus dans le coup, cap sur Obsidian (18-24 Princess Street, www.obsidianmanchester.co.uk) ou sur Cloud 23, au dernier étage du Hilton.

- Le saviez-vous? C'est à Rochdale, une des dix municipalités formant le Grand Manchester, qu'est né le premier mouvement coopératif. Au XIXe siècle, les ouvriers des filatures étaient payés principalement avec des jetons échangeables contre des denrées dans les magasins... des patrons. Or ces denrées étaient bien souvent altérées. En guise de riposte, les Rochdale Pioneers mirent sur pied un premier magasin coopératif en 1844. www.rochdalepioneersmuseum.coop.

- Avis aux partisans du Manchester United: le stade Old Trafford vous ouvre ses portes le temps d'une visite guidée de ses coulisses. www.manutd.com.

- Se loger à Liverpool: dans la suite John, la suite Paul ou l'une des 108 autres chambres du nouvel Hard Days Night Hotel. Situé en plein Beatles Quarter, l'hôtel est relié au Cavern Club par un passage souterrain. www.harddaysnighthotel.com.

- Mythique caverne: les Beatles ont joué 274 fois dans les entrailles souterraines du 10 Mathews Street entre 1961 et 1963. «À l'époque, il y avait des sessions le midi, raconte le guide, et on pouvait dire qui y était allé à la forte odeur de désinfectant que dégageaient les vêtements des spectateurs!» Fermé en 1974, le club fut reconstruit dix ans plus tard à l'identique — les briques du cellier original, devenues instables, devaient être traitées — un étage plus bas. www.cavernclub.org.

- Renseignements: www.visitmanchester.com, www.urbis.org.uk, www.iwm.org.uk/north, www.marketingmanchester.com, www.liverpool08.com.

Collaboratrice du Devoir

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