Maurice, l'île arc-en-ciel

Déclin du jour sur cannes à sucre.
Photo: Déclin du jour sur cannes à sucre.

Même si elle est bien loin, celle qu'a vue Baudelaire, et bien qu'elle se soit fort développée, celle qu'a connue Le Clézio, l'île Maurice demeure toujours digne d'être investie. Modèle de cohabitation tranquille entre les religions, le relief y est splendide, le lagon y est bellissime et les Québécois y sont... exotiques. Bienvenue dans l'île dont vous pouvez être le héros.

Du sommet du Pouce, étrange montagne dominant la capitale, Port-Louis, j'entends des chants religieux, en contrebas, dans le village de Moka. «Ça vient d'un temple hindou: c'est dimanche, ils prient toute la journée», explique Vickram Augun, guide à temps partiel et Mauricien à temps plein.

En redescendant, je tombe sur une famille de Sino-Mauriciens catholiques pratiquant... la danse en ligne, sur un plateau de verdure près du sommet. Puis, un peu plus tard, un chant lancinant monte comme une prière dans l'air venteux de la plaine: c'est au tour des lascars (musulmans mauriciens) de se manifester. Ne manque plus que quelques Madras (tamouls), une poignée de Popaas (Franco-Mauriciens), un chouïa de créoles (Noirs et Métis) et deux ou trois Îlois (des déportés de l'archipel des Chagos) pour que le tableau mauricien soit presque complet.

Maurice n'est pas une île, c'est un archipel pluriel de cultures importées. Visitée par les Phéniciens il y a 4000 ans, fréquentée par des marins arabes plus récemment, l'ancienne Isle de France ne compte aucun autochtone. En fait, tous ceux qui y vivent descendent de ceux qui y sont arrivés de gré ou de force, à partir du XVIe siècle, après que les premiers colons, les Hollandais, s'y sont établis. La seule créature endémique de cette isla incognita était le dodo, «l'équivalent aviaire du cochon ou de la chèvre», un gros oiseau placide rapidement exterminé...

De nos jours, tous les Mauriciens cohabitent dans une (relative) harmonie, malgré une (assez grande) promiscuité. Sans doute le climat ambiant y est-il pour quelque chose: contrairement à d'autres points chauds du globe, où le feu de l'animosité couve, l'île Maurice mijote lentement au bain-marie de la tolérance, entre Équateur et tropiques.

Certes, les Rastamouls, les Sinoriciens et les Maurisulmans se font plutôt rares. Mais même si les mariages interraciaux ne sont pas légion et qu'il arrive que se fasse sentir quelque tension, ce bel échantillonnage de cultures évolue dans le respect mutuel. Quand les tamouls se transpercent les joues et la langue lors du Thaipoosam Cavadee ou quand les Chinois célèbrent leur Nouvel An au printemps, c'est toute l'île qui est conviée. Et quand vient le temps du Maha Shivaratree hindou, la plus grande fête de Maurice, jusqu'à 500 000 personnes se ruent au Ganga Talao, ce lac sacré connecté par voie souterraine au Gange...

Le plus beau, c'est que cette affabilité ne se vit pas qu'entre Mauriciens, peu s'en faut; en fait, ce peuple particulièrement doux et facile d'approche invite immanquablement à la rencontre. En particulier pour un Québécois.

Un Québécois coi

- «Vous venez du Québec?

- Oui mais... Comment le savez-vous? J'ai à peine dit bonjour!

- J'écoute beaucoup TV5... Vous connaissez

Catherine?»

Nom d'un bosquet de bagasse! Aurais-je l'accent si tranché et la voix si aiguë? Quoi qu'il en soit, venant d'un Mauricien, ce commentaire fait bien plus plaisir à entendre que le «j'adore votre accent!» français, souvent empreint de paternalisme néocolonialiste. Quatre fois sur cinq, montrer patte blanche fleurdelisée vaut d'ailleurs un regain d'intérêt de la part de l'interlocuteur mauricien, comme si le Québec était un pays de Cocagne.

- «Y a-t-il du boulot pour un instructeur de plongée, chez vous?

- Euh... si j'étais vous, je resterais ici.»

Du douanier au bagagiste, du barman à l'homme de la rue, l'accent québécois séduit: à l'île Maurice, on se sent presque exotique d'être Français d'Amérique. Il faut dire que parmi les 800 000 visiteurs qui atterrissent chaque année dans ce petit pays de 1,2 million d'âmes, ils se font rares, ceux qui viennent de la Belle Province. En fait, l'essentiel des touristes provient d'Europe, surtout de l'Hexagone et de la perfide Albion, les deux contrées antagonistes qui ont le plus laissé leur marque ici.

Indépendante depuis 1968, la République de Maurice (qui comprend aussi Rodrigues et quelques îles) a vécu près de 200 ans sous la houlette anglaise, mais elle a à peu près tout conservé des Français, qui ont dominé l'île de 1715 à 1810. «Après leur victoire, les Anglais ont fait comme en Inde et ont gardé ce que leurs prédécesseurs avaient laissé de mieux: la médecine, les écoles, les cathos, la santé, l'éducation et l'État civil, explique Philippe Hitié, directeur du voyagiste Summertimes. Pourquoi auraient-ils réinventé la roue et changé quoi que ce soit à ce qui fonctionnait déjà?»

Résultat: Maurice conviendrait parfaitement à Dora l'exploratrice, de nos jours. La langue de Shakespeare est l'officielle et celle de Le Clézio est l'officieuse, bien que tout le monde parle créole, le ciment social de cet étrange édifice même pas bringuebalant. Car ici, le français et l'anglais, c'est souvent bonnet blanc, white cap, et l'affichage s'affirme sur un pied-de-nez d'égalité. De quoi perdre son latin.

Atours d'une Babel culturelle

On a beau se sentir à l'aise en pays mauricien, on ne se farcit pas 18 heures de vol uniquement pour aller faire guili guili avec de gentils îliens francophones ou pour admirer des maquettes de bateaux (un artisanat très développé ici). Alors, quid des autres attraits dignes d'intérêt de l'île Maurice?

À bien des égards, l'endroit apparaîtra comme du déjà-vu à quiconque a un tant soit peu bourlingué dans les Antilles. Les champs de canne à sucre? À perte de vue, mais pas plus qu'à Marie-Galante. La végétation? Pas mal, mais rien de plus qu'à la Grenade ou à la Dominique, bien plus sauvages. L'architecture créole? Jolie, mais c'est aussi le cas de celle de bien des villes coloniales antillaises. Et les plages? Splendides, mais pas davantage que celles de Cuba, des Bahamas ou des Turks & Caicos. Sans compter que l'île Maurice est extrêmement développée et qu'il n'y a plus «que trois véritables grandes plages publiques, tout le reste étant rattaché à un hôtel ou à un complexe de villégiature», indique la guide Parween Salamut.

Cela étant, le jardin botanique de Pamplemousses est un des plus ravissants du globe, le musée de L'Aventure du sucre est sans doute le plus complet du genre et Maurice se prête à quelques expériences hors du commun, comme marcher avec des lionceaux en liberté ou plonger avec son mini-sous-marin, une expérience unique au monde, quoique quelconque pour un plongeur.

Du reste, l'épatante gastronomie mauricienne permet d'être surpris à chaque repas pendant une semaine, et si l'île Maurice n'a ni zouk, ni soca, ni biguine, elle donne lieu à de chouettes incursions dans les méandres du séga, ce «blues de la canne à sucre», et permet de s'éclater au son des derniers succès de Bollywood, très présents ici compte tenu de la population majoritairement indienne.

L'île Maurice mérite aussi de figurer au tableau de chasse de quiconque collectionne les plus beaux reliefs insulaires du globe. Même si elle n'arrive pas à la cheville de La Réunion, elle compte plusieurs sommets aussi renversants que tarabiscotés, comme le chamboulant Pieter Both et son rocher en équilibre, comme un immense point sur le i de son faîte; la montagne du Chat et de la Souris, aux à-pics vertigineux; ce véritable Cervin mauricien qu'est le Petit Piton de la Rivière noire; enfin, le colossal Morne Brabant, tout sauf morne.

Curieusement, le plein air ne s'est pas très développé, à l'île Maurice. Dans le parc de Rivière noire, la plus grande zone verte de l'île, on commence à peine à baliser des sentiers, bien qu'on note quelques parcours d'arbre en arbre et du canyoning. Si les vrais mordus d'aventure et les férus d'expéditions devraient aller voir à La Réunion s'ils y sont, les familles avec jeunes enfants trouveront leur compte en accédant aisément à certains des sites naturels les plus éminents de l'île, comme la cascade Saint-Denis ou les terres de couleur de Chamarel, voire en pratiquant le vélo de montagne en compagnie de cerfs dans le décor resplendissant du Domaine de l'Étoile.

Elles sont d'ailleurs nombreuses, les familles qui fréquentent l'île Maurice, encore et toujours: plusieurs établissements affichent même des taux de retour de 40 %. Il faut dire que l'île est cerclée dans sa quasi-totalité par une longue barrière de corail, qui freine la course des vagues tout en formant un lagon aux eaux calmes, idéales pour laisser patauger toute la smala. Évidemment, l'océan Indien y est d'une luminescence qui laisse croire qu'il est branché en permanence sur des néons turquoise, et on ne compte plus les sites de plongée sous-marine dignes d'être investis.

Également fort courue par les mielleux lunatiques (i.e. les couples en lune de miel), l'île Maurice jouit d'une offre hôtelière qui figure parmi les plus prestigieuses au monde. Encore récemment, la firme Leading Quality Assurance, une référence en la matière, confirmait la pôle position de l'île en ce qui a trait à l'éminence des établissements et la qualité de leur service.

Il est d'autant plus agréable de séjourner ici que le climat demeure assez constant toute l'année, avec des hivers austraux doux et plus frais, ce qui permet aux nordiques de passer de confortables vacances d'été. «Durant l'hiver mauricien, nous n'avons qu'un petit soleil qui ne réchauffe pas la chair!», résume Karl Mootoosamy, directeur de l'Office de tourisme de l'île Maurice, qui la présente comme une «destination bien-être».

Et, à dire vrai, on ne peut que lui donner raison.

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En vrac

- Entre autres transporteurs, Corsair dessert l'île Maurice deux fois par semaine au départ de Paris, elle-même reliée à Montréal jusqu'au 2 novembre. À noter qu'on transite alors par Orly et que les correspondances sont longues: de 10 heures (vol du jeudi) à 13 heures (vol du samedi) d'attente à Paris à l'aller, près de 6 heures au retour. En outre, le vol du jeudi fait escale à Moncton (N.-B.), vers Paris. Renseignements: www.corsairfly.com.

- Nouveau venu dans le club des voyagistes québécois qui offrent l'île Maurice, Vacances Tours Mont-Royal y propose plusieurs forfaits jusqu'en novembre avant de reprendre au printemps prochain. Dans tous les cas, les forfaits comprennent une nuit à Paris en quatre étoiles au retour, mais on peut tailler sur mesure son programme. Renseignements: www.vacancestmr.com.

- Les meilleures périodes pour voyager à l'île Maurice sont d'avril à juin ainsi qu'en septembre et octobre. La saison des cyclones va de décembre à mars.

- Destination coûteuse, l'île Maurice peut devenir relativement abordable en choisissant de loger chez l'habitant. Pour qui choisit plutôt d'y aller en grande, voici quelques adresses dignes de mention:

- Le Touessrok, Trou D'Eau Douce (www.lhw.com/letouessrok): cadre superbe, chambres modernes et impeccables, restauration splendide et surtout service extrêmement attentionné: pas moyen de faire un pas sans tomber sur un des innombrables membres du personnel, toujours aux aguets pour vous faciliter la vie. Seul hic: l'exposition aux alizés de la côte Est de l'océan Indien, qui amènent souvent les pluies durant l'hiver austral.

- Le Véranda, Grand-Baie (www.veranda-resorts.com): bon rapport qualité-prix pour ce trois-étoiles qui les mérite, au coeur d'une zone touristique à la trépidante vie nocturne. Mais la plage est quasi inexistante.

- Le Victoria, Pointe aux Piments (www.levictoria-hotel.com): un quatre-étoiles aux chambres spacieuses et modernes, totalement rénovées en 2006. Plage et bouffe superbes.

- Beau Rivage, Belle Mare (www.naiaderesorts.com): ravissante architecture néocoloniale d'inspiration indienne, suites thématiques extra, très jolie plage.

- Le Paradis, Morne Brabant (www.beachcomber-hotels.com): un cinq-étoiles plus avec cinq kilomètres de plages idylliques au pied du monumental bloc de basalte du morne. L'aménagement du site et les chambres sont hors pair, et certaines suites, de même que la villa présidentielle, sont époustouflantes. Quant à la restauration, elle est irréprochable.

- Renseignements: www.ot-maurice.com; www.ile-maurice.com.

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Collaborateur du Devoir

L'auteur était l'invité de Vacances Tours Mont-Royal et de Corsair.

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