Polynésie française - Des nouvelles du paradis

«Bora Bora, c'est fini!», lance tout de go un acteur de l'industrie touristique locale qui requiert l'anonymat. Fini? Ah bon! Et dire qu'il s'en trouve encore pour décréter qu'il s'agit là des plus belles syllabes de la langue française (en tahitien, on dit plutôt Pora Pora). Rares en effet sont les toponymes chargés d'un pouvoir d'évocation aussi puissant. Oh, il y a bien Tombouctou, mais on l'associe davantage au diable vert qu'au paradis.
Papeete, Tahiti — Bora Bora, c'est le mythe d'un Lost en smoking. Pour le commun des mortels, c'est surtout une inaccessible étoile tropicale. Mise au monde dans les années 60 par la jet-set, l'île donna le coup d'envoi au développement touristique de la Polynésie française. En 1977 fut d'ailleurs construit le deuxième hôtel de l'île, le Sofitel Marara, aujourd'hui le chic Sofitel Bora Bora Beach Resort, pour loger Mia Farrow et l'équipe de tournage du film The Hurricane.BOB, de son petit nom de code aéroportuaire, est la star de l'archipel de la Société. Son atout premier est son relief tourmenté, sa végétation spontanée, son vert lagon aux reflets changeants, bref son patrimoine naturel unique au monde. Plus de la moitié des 211 893 touristes qui ont séjourné dans l'une des îles polynésiennes en 2004 l'ont aussi visitée. Même qu'une nouvelle tendance veut que certains voyageurs, ne pouvant lui résister, mélangent plusieurs types d'hébergement au cours de leur séjour, histoire de pouvoir se la payer. «Ils vont loger dans des pensions de famille et s'offrent une folie de trois nuits dans un hôtel de luxe à Bora Bora», note Heikura Vaxelaire, de Tahiti Tourisme.
Comme pour le reste du pays d'outre-mer, statut conféré à l'ex-territoire d'outre-mer en 2004, l'île vit essentiellement du tourisme. Elle compte 7000 habitants, fait 38 kilomètres carrés et collectionne les hôtels classés comme d'autres les nids de poule. Et pour cause: n'est-ce pas son hôtellerie spectaculaire — invitée à grands renforts d'incitatifs fiscaux — qui fait son renom? Quoique 17 hôtels, y compris un Four Seasons en construction, c'est peut-être un peu trop, note mon anonyme.
De ces 17 établissements, 13 offrent à leur clientèle des farés fichés dans le lagon, car vivre à fleur d'eau bleue, comme-dans-la-brochure, fait partie de la part de rêve que vend la destination.
Sauf que 500 bungalows à talons hauts ne compromettent-ils pas l'image paradisiaque du motu et de ses trois cocotiers? Et la surfréquentation du lagon qui en résulte ne menace-t-elle pas ses coraux et tout le milieu aquatique?
Conséquences
Au Sofitel Motu Bora Bora, l'une des propriétés les plus exclusives de ces parages avec 20 farés sur pilotis, Jocelyne Cyrille, responsable de l'exploitation, s'inquiète quelque peu de tous ces empiètements.
«Forcément, cela aura des conséquences sur la vie dans le lagon, dit-elle. Pour ériger ces nouveaux hôtels, on a dû creuser et enlever du sable, qu'on a remis ailleurs et qui est peut-être reparti au gré des courants sur certains motus ou d'autres constructions. Un jour ou l'autre, ça risque de causer des problèmes. Le lagon, c'est la beauté de Bora Bora, et ce serait dommage de le gâcher.»
Inauguré au cours du premier semestre de 2006, l'Intercontinental Resort & Thalasso Spa fait preuve d'une conscience environnementale qui est tout à son honneur.
De fait, l'hôtel utilise de l'eau de mer puisée hors lagon à 800 mètres de profondeur pour alimenter le système de climatisation de ses installations dont... 80 villas sur pilotis. Cette initiative, fort louable, met par ailleurs en relief les problèmes d'approvisionnement en eau qui sévissent dans l'île.
«Sur Bora Bora, explique Mme Cyrille, les eaux usées sont recyclées et revendues soit aux hôteliers, soit aux particuliers pour l'arrosage, par exemple. En passant, rien ne va dans le lagon: la canalisation de cet hôtel est reliée à celle du Sofitel, en face. Mais l'île n'a pas de rivières ni de sources, qu'une nappe phréatique qui ne suffit pas toujours aux besoins de la population. En période de sécheresse, celle-ci subit donc des coupures d'eau de 22h à 5h pour subvenir aux besoins des hôtels.»
Devant l'augmentation des infrastructures hôtelières, une politique de tarification de l'eau fut adoptée en 1990 afin de minimiser le gaspillage de la ressource.
Dans ce contexte, les affichettes de Sofitel qui donnent le choix aux hôtes de faire changer ou non leurs serviettes et literie au quotidien prennent une importance capitale. «Heureusement, les gens se sentent de plus en plus concernés par les questions environnementales», note la responsable.
Sensibilisation
Selon Maina Sage, ministre du Tourisme et de l'Environnement de Polynésie française nommée en décembre dernier et rencontrée à Papeete, il faut sensibiliser davantage les Polynésiens à ces questions. «La planète a besoin d'être préservée, dit-elle. Il y a un éveil mondial à ce chapitre: certains pays sont plus avant-gardistes, d'autres sont en retard. C'est notre cas.»
«En environnement comme en tourisme, ajoute-t-elle, il faut savoir être autocritique. Aujourd'hui, en Polynésie, les plus gros pollueurs sont les pouvoirs publics. On ne pourra exiger d'un particulier qu'il ne jette pas ses déchets dans la nature si nous, l'État, le faisons. Concrètement, ça veut dire quoi? Que les communes devraient toutes, par exemple, bénéficier du système de tri et de traitement des déchets mis en place plutôt que de continuer à avoir des décharges sauvages.» Tiens donc, la lucidité de Charles Lapointe aurait-elle trouvé écho jusqu'en Océanie?
Chose certaine, le jumelage des ministères du Tourisme et de l'Environnement ne peut être que bénéfique à la destination. «Il permet au secteur touristique de se rappeler que si on peut le développer, c'est qu'on a un environnement exceptionnel et que, si on ne prend pas soin de cet environnement, on tue la première ressource économique du pays», dit la ministre.
Quant à savoir si le développement économique de Bora Bora se fait au détriment de son environnement, Maina Sage est d'avis qu'il faut d'abord mener une réflexion avec la commune pour poser un diagnostic de la situation. «La chance qu'on a, c'est que le maire de la commune [Gaston Tong Sang] est aussi le président du pays. Il ne faut surtout pas tuer la poule aux oeufs d'or», conclut-elle.
Bora Bora, la «Perle du Pacifique», est donc loin d'avoir dit son dernier mot.
En vrac
- La Polynésie française, c'est Bora Bora mais aussi 117 autres îles. Ainsi, Tahiti Tourisme braque ses projecteurs sur Raiatea et Huahine, dans l'archipel de la Société, ou encore sur Rangiroa, dans celui des Tuamotu. «Chacune de ces îles offre sa spécificité, des paysages magnifiques, un tourisme vert, précise Mme Vaxelaire, et propose aux visiteurs des découvertes qui sont plus près du quotidien des habitants, comme la culture de la perle, de la vanille et du monoï.» D'ailleurs, selon mon anonyme, Huahine serait la prochaine Bora Bora...
- Fini, les hordes de touristes! Saviez-vous qu'Hawaii accueille plus de visiteurs en 10 jours que Tahiti en un an et qu'on trouve plus de chambres dans un palace de Las Vegas que dans toutes les îles de la Polynésie réunies?
- Fini, du moins officiellement, la pratique du shark feeding et, du coup, la pêche aux requins pour leurs ailerons. Depuis 2006, en effet, à l'issue d'une dispute entre les pêcheurs et les prestataires de cette activité populaire auprès des touristes, il est interdit d'attirer dans le lagon, au moyen de nourriture, des requins à pointes noires pour les observer. Habitués à être nourris, les requins en perdaient leurs réflexes de chasse. Désormais, cette excursion n'est autorisée qu'à l'extérieur du lagon, dans un rayon d'un kilomètre des passes, donc en plongée-bouteille. L'excursion Repas des raies dans le lagon, elle, est maintenue.
- Fini, le coco pressé, vive le pandanus tissé! Construction de nouvelles structures, rafraîchissement de la décoration, modernisation des équipements et offre de nouveaux services tel Le Spa at Sofitel... C'est tout un lifting que le groupe Accor a fait subir à ses quatre propriétés Sofitel implantées au pays. Sur Bora Bora, les 64 bungalows du Sofitel Bora Bora Beach Resort, seul quatre-étoiles de l'île, sont idéalement situés à la baie Matira. (Nuitée à partir de 211 euros.) En face, le Sofitel Motu Bora Bora, un cinq-étoiles comptant 30 bungalows et une villa, est situé sur un motu privé, à deux minutes en navette de l'île principale et adossé à une montagne où viennent se reproduire des aigrettes. Et le soir venu, au restaurant panoramique Manu Tuki, on peut déguster champagne et fine cuisine en contemplant le profil du mont Otemanu, icône de l'île. (Nuitée à partir de 394 euros.) Ah, le paradis!
- Renseignements: wwwsofitel.com, www.tahiti-tourisme.pf, www.airtahitinui-usa.com.
Carolyne Parent était l'invitée de Sofitel, de Tahiti Tourisme et d'Air Tahiti Nui.
Collaboratrice du Devoir