Niger - Sahel, Sahara et saturation des sens

Pays des Touaregs, du lent et lisse fleuve Niger, des incroyables caravaniers du sel et des colossales dunes du Ténéré, le Niger compte parmi les derniers bastions du monde à avoir résisté au tourisme de masse. Autant de raisons d'y trimarder, entre enthousiasme et ébahissement, entre contemplation et enchantement.

Firgoune — «Ça suffit! Maintenant, il faut y aller.» La voix quasi chevrotante du maire d'Ayorou, petit village du nord-ouest nigérien, en dit long sur la crainte que suscite chez lui le troupeau d'hippopotames, pourtant assez éloigné. Bien qu'il n'en soit pas à sa première excursion sur le fleuve Niger, l'homme sait que le potelé mammifère peut courir à 20 km/h sous l'eau, qu'il est réputé pour son caractère sanguin et sa force herculéenne et qu'une jambe humaine pourrait lui servir de cure-dents. Pas question, dès lors, d'utiliser une embarcation à pagaies et la pinasse (grosse pirogue) dans laquelle nous prenons place est motorisée.

«Allez, mets les gaz! Si jamais le moteur cale... » Difficile d'imaginer que les paires d'yeux qui émergent, non loin du rivage, surmontent de susceptibles mastodontes de plusieurs tonnes, qui résident depuis des lustres dans ces fortes et opaques eaux tranquilles. Difficile aussi de se figurer que, malgré des siècles de cohabitation, les Songhaïs, peuple de pêcheurs et de piroguiers du fleuve Niger, ont toujours la pétoche rien qu'à l'idée de tomber sur un hippo caractériel.

«Là! Regardez! En voilà un qui bâille comme une huître!» Celui-là, pas de danger qu'il prenne pour cible notre pinasse: suffit de ne pas pénétrer indûment sa bulle d'intimité. Remarquez qu'au Niger, on peut facilement se laisser prendre au jeu. À Kouré, seul endroit d'Afrique de l'Ouest où évoluent des girafes en liberté, il est plus qu'aisé de s'approcher à quelques mètres à peine des graciles demoiselles au long cou carrelé.

Dans l'immense parc du W, encensé par l'UNESCO, les badauds de la faune sont si peu nombreux qu'on se sent presque habilité à serrer les coussinets d'un lion ou à caresser la trompe d'un éléphant, si tant est qu'on réussisse à les repérer à travers les 10 000 kilomètres carrés de cette réserve, à cheval sur ce fabuleux Nil sahélien qu'est le fleuve Niger.

Les parallèles avec la mère nourricière d'Égypte coulent d'ailleurs de source: mêmes eaux lentes, même teinte mordorée, même foisonnante végétation qui échancre l'aridité, et toujours cette vie qui bat sur les rives... Tiens, voilà des femmes touarègues venues pour la lessive. Un homme fait trempette: est-ce un Djerma, un Haoussa, un Peuhl ou un Gourmantché? Et ces pêcheurs, sont-ils de Boubon, d'Ayorou ou de Tillabéri?

«Ils sont de Firgoune, où nous arrivons. Ne laissez pas traîner vos doigts, nous accostons!»

De retour sur la terre ferme, je flâne, marabouté, dans le craquant village de banco, une terre crue ridée comme le derme d'un pachyderme. Les demeures, qui semblent avoir jailli du sol à la faveur des siècles, portent dans leur ombre des Songhaïs tous affublés de ravissants tissus, aussi finement teints qu'impeccables. À les voir ainsi nippés, rien ne laisse croire qu'ils habitent l'un des pays les plus paupérisés de la planète.

Au palmarès des 177 pays dont on a évalué l'indice de développement humain, le Niger s'est classé bon dernier, en 2006. Mais carence de développement n'implique pas pour autant dénuement: dès qu'on débarque dans ce pays tout sourire, on se sent immédiatement happé par l'affabilité, la spontanéité, l'ouverture et la curiosité des gens.

Ancienne colonie française à l'islam modéré et important carrefour de civilisations, le Niger forme un long trait d'union entre l'Afrique blanche et l'Afrique noire. Peuplé d'une douzaine de millions d'âmes, il intrigue par ses ethnies mythiques — les Touaregs sont plus nombreux ici que n'importe où ailleurs — ou aux moeurs étonnantes. Ainsi, chez les Bororos, les femmes choisissent leurs concubins lors d'une cérémonie rituelle, où ces messieurs roulent des prunelles et exposent avec ostentation leur dentition pour que mesdames succombent à la tentation.

Contrée deux fois grande comme la France, aux trois quarts désertique et à 90 % rurale, le Niger a aussi défrayé la manchette, en 2005, en traversant une grave crise alimentaire... tout en étant l'hôte des Jeux de la francophonie. Dépendant énergétique du tumultueux Nigeria voisin, le pays a beau receler quantité d'or et d'uranium, il voit le gros des profits de ses ressources enfourné par les sociétés françaises et canadiennes qui les exploitent, dans tous les sens du terme. Et si dans son sous-sol gît bel et bien du pétrole, les concessionnaires étrangers temporisent l'installation du premier derrick, pour toutes sortes de raisons qui n'ont rien à voir avec les intérêts du Niger, lequel n'a plus qu'à continuer à «broyer de l'or noir», pour reprendre l'expression du Marabout, un journal panafricain.

En attendant, le Niger vivote, enclavé entre le Mali, l'Algérie, la Libye, le Tchad, le Nigeria, le Bénin et le Burkina Faso. Et en cette époque où même le Zimbabwe et le Liberia s'ouvrent au tourisme, il entend bien inscrire son nom en lettres grasses sur le planisphère voyage. Quasi inconnu au bataillon touristique nord-américain — il reçoit à peine 60 000 visiteurs annuels, essentiellement européens —, son ministère du Tourisme a récemment adopté un plan décennal dans lequel il compte jouer à fond la carte culturelle tout en déployant ses attraits sur deux axes: Niamey et le fleuve Niger, de même que la région d'Agadez, porte d'entrée du désert.

Les sentinelles de l'Aïr

J'avais oublié à quel point le silence du désert pouvait être si assourdissant. Debout face au crépuscule, j'essaie de percevoir un son, un bruit, un bruissement: rien. Ou plutôt si, j'ai les oreilles qui bourdonnent, comme si des particules de néant me tambourinaient les tympans. Le tumulte urbain est loin, peu ou prou d'obstacles prêtent le flanc à la réverbération, et l'impression d'immensité, d'isolement et d'effacement face au monde n'en est que plus probante.

La nuit venue, couché à «l'hôtel des mille étoiles» comme on dit là-bas, une pensée filante traverse mon firmament intérieur: au fond, je pourrais être sur le point de pioncer dans n'importe quel désert, sous n'importe quelle belle étoile. Mais ce n'est justement pas le cas: le marchand de sable que j'attends me bordera dans les draps dunaires de l'Aïr, au seuil du Ténéré, la région du Sahara qui fait saliver tous les méharistes de la planète.

Avec ses ergs qui atteignent jusqu'à 300 mètres de hauteur, son infinité de croissants de dunes et ses pigments ocre blond, or et houblon, le Ténéré demeure l'un des plus fantasmatiques déserts de la planète sable. Encore de nos jours, les taghlamt (caravanes du sel) le traversent en reliant le massif de l'Aïr aux salines de Bilma, aux confins du Tchad: 40 jours aller-retour et 600 lourds kilomètres à porter sur leurs vaisseaux du désert, que ces derniers caravaniers d'Afrique parcourent sous le souffle torride de l'harmattan.

Fascinés par cette équipée des Touaregs et par tous les ergs, des étrangers se joignent désormais à une taghlamt pour 4, 7, 15 jours ou plus, grâce aux forfaitistes qui essaiment à Agadez, ville caravanière de moins en moins mythique et de plus en plus touristique, toutes proportions gardées. À raison.

À l'époque où il a débarqué à Agadez, le cinéaste Bernardo Bertolucci a tout de suite craqué. Pas pour la maison de l'explorateur Heinrich Barth, dont le principal intérêt demeure le gardien, touchant vieillard aux phalanges émaciées; pas pour les ruelles tortueuses des vieux quartiers aux demeures ornées de motifs haoussa; ni même pour la mosquée-hérisson de terre crue, qui déploie ses épines depuis 1515. En fait, c'est la surprenante maison du Boulanger qui a fait tomber à la renverse le cinéaste: ce chef-d'oeuvre d'art agadézien, dont l'intérieur est admirablement sculpté de rondes-bosses, a même servi de cadre à une scène finale d'Un thé au Sahara.

Aujourd'hui, s'il voulait de nouveau tourner au Niger, Bertolucci pourrait donner une suite au Parc jurassique: le pays recèle certains des sites fossilifères les plus riches du globe. À Tawachi (environ 100 kilomètres d'Agadez), les restes du Jobaria tiguidensis (une sorte de brontosaure de 135 millions d'années) gisent en surface, près d'autres spécimens qui se décalcifient sous le pilon du soleil, faute de baume pécuniaire pour les protéger.

Les choses pourraient cependant changer bientôt, si l'UNESCO inscrit ce site sur sa Liste du patrimoine mondial. La candidature est plus que justifiée: en plus des fossiles, la région compte moult traces préhistoriques, une kyrielle d'objets du néolitihique et du paléolithique, de surprenantes gravures rupestres ainsi que d'étonnants troncs d'arbres silicifiés.

En attendant que ces sites figurent au florilège de l'humanité, 2007 devrait voir naître la construction d'un musée paléontologique à Tadibène, on espère bientôt aménager et protéger le site fossilifère de Tawachi et on tente de faire revenir le Paris-Dakar à Agadez en 2008, pour le meilleur et pour le pire. Autant de projets porteurs d'espoir et de devises, pour un pays qui a besoin autant de l'un que de l'autre.

Reste à souhaiter qu'en développant cette industrie naissante, on ait la sagesse d'éviter les écueils du tourisme de masse, et que ceux qui arpenteront le Niger le feront toujours «de façon intelligente et non comme un colis se contentant de voyager sans savoir et sans comprendre», comme le disait le plus éminent vénérable des sables, Théodore Monod.

En vrac

- Royal Air Maroc relie Montréal à Niamey via Casablanca, mais avec de pénibles délais de correspondance (14 heures à l'aller, 7 heures au retour, avec départ à 3 h du matin... ) Air France propose la même desserte, via Paris et avec moins de trois heures d'attente à l'aller, tandis que Point Afrique nolise des vols sur Agadez, au départ de Paris et Marseille (www.point-afrique.com). Aucun vol ne relie Niamey à Agadez, et la route entre les deux villes (12 heures de trajet), souvent innommable, est en cours de réparation.

- Si Niamey n'est pas la plus palpitante des capitales du globe, elle mérite une journée pour la grande mosquée et le musée National, concentré de Niger où on peut admirer un Jobaria tiguidensis debout et le SuperCroco, un crocodile géant qui se calait les molaires avec des dinos entiers. Le Village artisanal Wadata vaut également le coup d'oeil pour sa boutique 100 % équitable. Pour un avant-goût: Dix mille villages, 4282, rue Saint-Denis, Montréal, www.dixmillevillages.com.

- La qualité du parc hôtelier nigérien est globalement inégale et les établissements, parfois vieillots ou quelconques, facturent une note souvent trop salée pour la prestation rendue. À Niamey, on peut néanmoins se rabattre sur le Gaweye (www.hotelgaweye.net), le Grand Hôtel (très couru pour l'apéro au crépuscule, www.grandhotelniger.com), le Sahel (moins chic mais bien situé, en surplomb du fleuve, www.hotelsahel.com) et l'Univers (bon rapport qualité-prix, univers_tourisme@yahoo.fr). À Agadez, le choix est plus étoffé: l'Étoile du Ténéré (très bien, www.etoiledutenere.com), Chez Tess (superbe, www.tessagadez.com), l'Auberge d'Azel (magnifique, www.agadez-tourisme.com) et surtout la Pension Tellit, vraiment jolie (vittoriotellitpilier@yahoo.fr). Enfin, au parc du W, le relais de La Tapoa est tout à fait convenable.

- Parmi les agences réceptives fiables, citons Niger Découverte (nigerdecouverte@yahoo.fr), à Niamey, et Agadez Expéditions (www.agadez-tourisme.com), à Agadez.

- Octobre à mars s'avère la meilleure période pour voyager au Niger. Avant janvier, le parc du W est à proscrire, vu la trop dense végétation.

- Les guichets automatiques sont inexistants, même à Niamey, et les avances de fonds sur carte de crédit (qui est presque toujours refusée) coûtent 25 $... La banque BIA change cependant sans frais les devises en liquide.

-Le Petit Futé édite l'un des seuls guides en français sur le pays, tandis que la maison Bradt fait de même, en anglais. Les Routard, Lonely Planet et Rough Guides accordent tous un chapitre sur le Niger dans leur édition sur l'Afrique de l'Ouest. À se procurer sur place: Bonjour le Sahara du Niger, par P.-M. Decoudras et J.-M. Durou (préface de Théodore Monod).

- Un visa (83 $) et un certificat de vaccination contre la fièvre jaune sont obligatoires. Une protection antipaludéenne est aussi recommandée et des cas de méningite sont parfois recensés. 613 232-4291, www.ambanigeracanada.ca.

- Renseignements: www.niger-tourisme.com, www.agadez-niger.com.

L'auteur était l'invité du ministère du Tourisme et de l'Artisanat du Niger, de Royal Air Maroc et de Tours Escapade.

Collaborateur du Devoir

À voir en vidéo