Département français d'outre-mer - La Réunion des éléments

Photo Gary Lawrence
Photo: Photo Gary Lawrence

Il en a coulé de l'eau sur les radiers depuis les pérégrinations de Roger Vailland. Cinquante ans plus tard, La Réunion a bien perdu quelques pans de sa virginité. Mais les contraires continuent de s'y attirer et, ultimement, de s'y fondre dans le plus harmonieux hyménée.

«Le monde originel, comme dans la cosmogonie d'Aristote. Les mélanges, les conflits les plus simples des quatre éléments: le feu, la terre, l'eau et l'air, et rien d'autre, ou à peu près. » - Roger Vailland, 1952

Sont-ils au fait, ces braves Réunionnais, qu'ils vivent à l'embouchure d'un fleuve de feu toujours prêt à sortir de son lit ? Ignorent-ils donc que si la gueule du monstre s'ouvre, une grande langue ignée pourrait les emporter ? À voir la nonchalance dans laquelle ils s'enrubannent et l'empressement qu'ils manifestent pour contempler le moindre filet de bave rouge qui s'échappe de leur volcan, on pourrait le croire.

La vérité, c'est que malgré sa taille titanesque et son degré élevé d'activité, le piton de la Fournaise brille par sa relative innocuité, ses soubresauts n'étant pas explosifs mais effusifs. En clair, ses cratères s'épanchent sans heurt, régulièrement et calmement, de leur trop-plein incandescent.

À sa décharge, il faut aussi souligner que tout ce que cette bellissime montagne de feu a réussi à prendre à l'homme, ce sont de maigres acres de boisé et quelques rares tronçons de route. Même l'église Notre-Dame-des-Laves a su éviter les braises liquides, lors des éruptions de 1977, comme si les coulées avaient été détournées par une providentielle intervention divine.

Pourtant, les seules lois auxquelles est soumise La Réunion sont celles de l'harmonie universelle. Et en vertu de ces règles impératives, tous les éléments primitifs s'y conjuguent au plus-que-parfait de l'inconditionnel.

Le feu sacré

En débarquant à La Réunion, il faut parfois un brin d'imagination pour se convaincre qu'on se trouve bien dans l'archipel des Mascareignes, à 700 kilomètres au large de Madagascar et au beau milieu de l'océan Indien. Avec sa côte Ouest allègrement harnachée, quelques villes côtedazurisées et de newyorkesques embouteillages généralisés, l'île n'est pas sans surprendre, voire choquer par son degré élevé de développement, par endroits.

Une fois essuyé le choc de la modernité, on peut cependant remonter les chemins de l'éternité jusqu'au premier livre du journal de la Création. Paradigme génésiaque, verte énigme élégiaque, La Réunion a beau flotter sur un lac de magma mortel au toucher, elle demeure éminemment porteuse de vitalité. Ainsi, pendant que les Maldives et d'autres archipels à fleur d'eau sont menacés de périr noyés par le feu de l'effet de serre, la chaleur de sa Fournaise permet à La Réunion d'élargir son territoire sans mener aucune autre guerre que celle qui oppose l'eau au feu.

Perpétuel work in progress et emploi à temps partiel pour cartographes, l'île sublime continue de croître : encore en 1986, en pleine célébration de ses 40 ans à titre de département français, ses laves faisaient irruption dans la mer pour s'offrir une trentaine d'acres comme cadeau d'anniversaire...

L'eau de vie

L'ancienne île Bourbon sait aussi célébrer les épousailles entre l'eau et le feu du ciel, en enroulant ses cieux dans de grandes écharpes irisées, à un moment ou l'autre de chaque journée. Située loin des continents mais ourlée de nuages incontinents, certains de ses 200 microclimats lui valent des précipitations qui atteignent parfois 15 mètres par année !

Encensée et ensemencée par les alizés, les courants marins et la gent ailée, l'île jouit ainsi d'une diversité biologique hors pair, malgré ses 2 500 kilomètres carrés de superficie. Outre la vanille bourbon, réputée la meilleure au monde, une pléthore de plantes et de fleurs aux propriétés insoupçonnées poussent ici avec une fougue inégalée.

« Depuis que j'ai découvert les vertus de l'hydrolat de géranium, j'ai une de ces pêches : je ne dors que deux heures par jour ! », assure Nanou le Savoyard, prunelles vitreuses à l'appui. Si ce drôle de hobbit pète le feu, ce n'est pas tant parce qu'il vit assis sur le couvercle de la marmite d'un volcan mais bien grâce à ses libations quotidiennes d'eaux florales.

Dans sa petite distillerie du Maïdo, Nanou extirpe les principes d'à peu près tout ce qui forme la gracieuse et verte livrée réunionnaise, du cryptomeria à l'ylang-ylang. Fier serf de son fief végétal, ce faune ne vivra jamais plus ses après-midi ailleurs que dans cette île qui transpire la vie de tous ses pores.

Car La Réunion a beau sentir la mort lui couler sur les flancs, c'est toujours la vie qui finit par y avoir le dessus. Sur ce grand trait d'union entre Éros et Thanatos, le lichen s'accroche au basalte fraîchement durci, les bouquets dépassent en nombre les épitaphes des cimetières, et les villages poussent là où clapotait jadis le magma.

Terre ceinte

Avec trois millions d'années au compteur et 20 000 ans de jachère, ce vénérable ancêtre qu'est le piton des Neiges ne s'est jamais réveillé depuis qu'il s'est mis à sérieusement pioncer. Incapable de supporter, avec les ans, le poids de ses 3 000 mètres, il a même fini par se replier sur lui-même en se ravalant de l'intérieur pour former trois trous béants en forme de trèfle, les cirques.

Aujourd'hui habitées, ces trois colossales cavités constituent les lieux les plus inaccessibles et les plus admirables de La Réunion. On y accède au terme d'interminables routes en lacets et après avoir franchi des cols aux remparts vertigineux, qui débouchent sur des falaises formant d'infranchissables enceintes, les parois de l'ancien volcan.

Seuls des sentiers et l'hélicoptère permettent de ravitailler les quelques âmes qui vivent en quasi-autarcie dans l'un d'eux, le cirque de Mafate, tandis que les îlets (hameaux) des cirques de Cilaos et de Salazie sont tous reliés par voie carrossable. Même que c'est là que subsistent quelques-uns des plus remarquables exemples d'architecture créole réunionnaise, comme à Hell-Bourg, qu'on a déjà sacré « plus beau village de France ».

Comme dans la plupart des îlets, la population de Hell-Bourg est relativement homogène et est surtout constituée de Blancs créoles, les Yabs des Hauts. Mais dès qu'on quitte ces îles dans l'île, on se rend bien compte qu'ils forment l'exception : à La Réunion, seuls les mélanges sont légion.

Variations sur un air connu

Alors quoi, personne ne leur a donc appris à se répandre en invectives, ces Réunionnais ? Ne sont-ils pas enclins à s'entretuer comme tout être inhumain normalement constitué ? Eh bien non, Allah, Bouddha, Ganesh et Dieu merci.

Ici, pas de détonnantes contre-races, que d'étonnants contrastes. Foin de requiem ton prochain ou de Koweït interrompu : le feu de la discorde manque d'oxygène, on garde les deux pieds sur terre, on met de l'eau dans son vin de messe et on fait Inch'Allah va comme je te pousse.

Plus de 730 000 âmes provenant d'une dizaine de pays répartis sur trois continents se fondent dans le creuset de cette île dont le périmètre fait à peine 200 kilomètres. Malgré la promiscuité et la diversité des cultures et des religions, et hormis quelque plouc lepéniste égaré, tous cohabitent suivant une suave eurythmie de tolérance.

Sans doute le métissage y est-il pour quelque chose, car même si les peuples conservent leur unicité, ils ne forment nullement une mare stagnante d'ethnicité. Les Créoles se mêlent aux Zoreils (les Français de métropole) pour donner naissance aux Zoréoles, et les Zarabs (Indiens musulmans), Malbars (Indiens du sud-ouest et du pays tamoul), Cafres (Noirs africains) et autres Chinois confluent tous vers la même étonnante mer d'osmose.

Sont-ce encore les lois de l'harmonie universelle qui prévalent entre les éléments ? Peut-être. Mais une chose est sûre, c'est qu'un seul et même feu brûle ici dans l'âtre créole de tous les hommes : l'identité réunionnaise.

En vrac
- Air France relie Montréal à Paris deux fois par jour et Paris à La Réunion quotidiennement : www.airfrance.ca.
- Guides : le Michelin NEOS pour la culture et le plaisir des mots ; le Routard pour de l'info fouillée ; le Lonely Planet pour les randonnées.
- Beaux livres : Jean-Luc Allègre, Planète Volcan, JL Allègre Éditeur, La Réunion, 1999. JL.ALLEGRE@wanadoo.fr.

Renseignements

Maison de la France, (514) 876-9881, www.la-reunion-tourisme.com.

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L'auteur était l'invité d'Air France et de l'Office de tourisme de La Réunion.

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