L’écrin du vin

La visite d’un chai ou d’une cave d’élevage contemporaine est une expérience quasi muséale tant l’architecture des lieux et les « objets » qu’elle contient relèvent ni plus ni moins du domaine de l’art. Des cathédrales avant-gardistes désormais dédiées au culte du vin désacralisé. Bref, on est aujourd’hui à des années-lumière de ces kvevri géorgiens poreux mordant la poussière sous des voûtes mycodermiques à vous engluer tout ce qui vous reste de toupet capillaire.
Terminée l’époque où le personnel de la maison naviguait à vue dans l’étroitesse obscure de caves suintantes à souhait. Et bienvenue dans des espaces ventilés souvent éclairés par la lumière du jour où le moral des troupes se voit être révisé à la hausse ! Une perspective de pénibilité revue à la baisse en raison de la beauté des lieux, mais aussi par la proposition d’une batterie de logements vinaires aussi hétéroclites de forme qu’ils sont faciles à récurer et à entretenir.
Logements vinaires donc. Écrins de vie, vaisseaux d’or et de magie, tanguant sous la fermentation du vin ou de son élevage, parfois des deux. Il y a bien sûr les contenances de style amphore ou barrica occitane, feuillette (114 l), pièce (228 l), queue (456 l) ou encore, demi-muid (600 l) et foudre (jusqu’à 1000 l en Alsace), mais aussi, depuis quelques années déjà, ces contenants, en acier inoxydable, en béton ou en céramique, concaves ou convexes, tronconiques ou sphériques (« perle ») et même en forme d’oeuf de poule ou d’autruche pour interagir avec le vin qu’elles portent en leur sein. Mode passagère ou lubies obsessionnelles de designers en mal de visibilité ?
La bonne vieille barrique
Parce que votre sens de l’observation vous honore, vous aurez rapidement compris que le matériau et la forme même du logement en question auront un impact direct sur le vin qui s’y frotte. La porosité des surfaces, qu’elles soient d’argiles (jarres), ligneuses (bois) ou minérales (béton vitrifié ou non), interagira à sa façon avec le contenu, mais en demeurant neutre pour les parements de verre ou d’acier inoxydable. Ajoutez à cela une géométrie de formes variées, comme il est mentionné ci-haut, et voilà déjà augmentée ou non la surface de contact entre le vin et ses lies fines. Un ratio déterminant pour le style de vin à venir.
La bonne vieille barrique de chêne est-elle condamnée pour autant ? On ne balaie pas 2000 ans d’histoire pour simplement faire joli dans les chais. Il est cependant permis d’envisager que son utilisation partielle, combinée à d’autres types de logements de formes ou de matériaux variés, permette d’explorer d’autres nuances, d’autres univers organoleptiques. Voilà où nous en sommes aujourd’hui. Le Médoc récemment exploré n’échappe pas lui non plus à cette espèce de « gentrification » des caves comme des chais.
Sans doute par nostalgie ou par amour du bois sélectionné, débité, chauffé et assemblé, Le Devoir visitait la tonnellerie familiale Nadalié, important partenaire de crus classés bordelais, mais aussi, depuis 1902, une référence locale devenue internationale. Nous ne sommes évidemment plus dans la tonnellerie artisanale, mais dans une entreprise bien rodée dont la production compte pour près de 70 % à l’export.
La barrique est au vin ce que le liège est à la bouteille. Bien plus qu’une référence nostalgique, plutôt une communion organique que révèle plus encore une approche imprévisible liée à la vie même des matériaux, avec un impact direct sur l’évolution du vin, qu’il soit astucieusement oxygéné en fût ou calibré minutieusement en bouteille. Chez Nadalié, les essences de haute futaie (150 à 200 ans) sont choisies sur pied (un arbre coupé et deux de plantés), les grumes fendues manuellement en douelles à merrain puis empilées à l’air libre pour un minimum de deux ans, tout en étant arrosées afin de lessiver les tanins.
C’est ici que le doigté de l’homme épouse le grain du bois dans un ballet aussi minutieux qu’acrobatique. D’abord, la mise en rose où l’assemblage circulaire des douelles sera ultérieurement arrondi sous le cintrage, plus spécifiquement par le feu dont la chauffe, plus ou moins importante (avec un impact sur le caractère grillé et vanillé du vin), courbera les douelles en question. Suivront l’embouvetage des fonds, le test d’étanchéité (30 % de fuite !), la cautérisation du trou de bonde, puis le ponçage. Vie active d’une barrique ? Deux à trois ans seulement, histoire de libérer pleinement son plein potentiel aromatique. Mais une éternité pour le vin qui en partagera le délicieux souvenir.
À grapiller pendant qu’il en reste!
Grüner Veltliner 2021, Pepp, Weingut Gruber Röschitz, Autriche (16,45 $ – 13843242) L’exemple parfait de ce petit blanc bio du lundi soir à vous démarrer l’apéro sur quelques tapas de votre choix. Rien de compliqué, seulement un blanc sec bien vivant qui donne l’impression de croquer dans un quartier de pomme verte tout en affichant une jolie sapidité saline en finale. (5) ★★
Chat Botté Blanc 2021, Hemmingford, Québec (20,40 $ – 12442498) Il se dégage une impression à peine serrante de cet assemblage aux nuances de pomme, d’herbes fraîche et de citron, comme si l’amertume dégagée par de légers tanins maintenait le palais en équilibre en lui assurant, malgré la légèreté de l’ensemble, une jolie tenue de bouche. Plutôt simple d’expression, mais tout ce qu’il y a de rafraîchissant. (5) ★★
Gentil 2020, Meyer-Fonné, Alsace, France (20,50 $ – 14008708) On tombe rapidement sous le charme comme le fruit défendu tombe de l’arbre à l’automne tant le riesling sait se faire chanter la pomme par des muscats et pinots blancs délicieusement ensorcelants. Mais voilà aussi un gentil qui garde le cap, offrant une précision et une pureté de fruit que vient confirmer un ruissellement de bouche d’une étonnante sapidité. Un blanc sec passe-partout, friand et aérien, à servir sur vos sushis ou vos dumplings. (5) ★★★
Sécateurs Riviera Orange 2021, Badenhorst Family Wines, Afrique du Sud (21 $ – 13995027) Blanc, rosé, rouge ou orange, quelle que soit la couleur, la maison livre à prix très amical non seulement une qualité, mais une gamme de vins inspirés en plus d’être habilement vinifiés. Ici, chenins et grenaches blancs se partagent un fruité où la diffusion de beaux amers structure une bouche franche, droite, étonnante de clarté. Particulièrement adapté sur les mets libanais (5). ★★★
Frappato 2021, Nerocapitano, Lamoresca di Rizzo Filippo, Sicile, Italie (29,95 $ – 14993832) Il existe un engouement réel de par le monde pour le cépage frappato. Posh & trendy, comme le dirait l’ami Anglo. Avec raison d’ailleurs, car c’est un cépage qui se suffit à lui-même, tel un pinot noir qui n’a pas à s’excuser d’exister et dont il partage quelques propensions aromatiques. Le nez, déjà, évoque pour les plus vieux d’entre vous la gomme Thrills, avec ses notes florales de lavande et de savon provençal, mais c’est sa finesse de texture et cette espèce d’envolée lyrique en bouche qui convainc, avec légèreté et longue portée. Une superbe cuvée bio pour vous initier au cépage. Pas poche du tout ! (5) ★★★ ©