Méticuleux comme Moueix

Christian Moueix dans son vignoble à Yountville
Photo: Kelly Puleio Christian Moueix dans son vignoble à Yountville

Être méticuleux relève d’une obsession douce et assumée procurant au méticuleux en question l’impression d’atteindre une forme de sérénité dans le contrôle de ses actions pour mieux jouir en aval d’une satisfaction pleine et entière du but poursuivi. Est-ce le cas du Bordelais Christian Moueix ? « Je souhaite faire un vin parfait », dira-t-il tout de go à Tod Mostero en 2007 lorsqu’il l’embauche pour présider, à titre de chef de culture et winemaker, aux destinées de Dominus Estate, fondée en 1982 à Yountville dans la Napa Valley.

Mostero comprend dès lors que son mentor, lui-même diplômé de l’Université de Californie à Davis en 1969 (précédé d’un diplôme d’ingénieur agricole à Paris), envisage déjà sa démarche vitivinicole comme s’intégrant ni plus ni moins au rang des beaux-arts. Comment peut-il d’ailleurs en être autrement chez un homme qui bichonne avec un tel souci du détail ces cuvées prestigieuses que sont Petrus, Trotanoy, Bélair-Monange et autres ? Avec la dégustation récente des cuvées Dominus, mais aussi Napanook, Ulysses et Othello, l’élève semble avoir été lui-même piqué de cette même obsession pour cet objectif commun alliant précision, rigueur et engagement.

« Quatre critères balisent en fait ce “vin parfait” si cher à Christian Moueix, soit la pureté, la complexité, l’équilibre et le caractère du vin produit », avance Tod Mostero, dont les petits détails à la vigne comme au chai signent des vins qui se partagent la sobriété et la finesse de style des crus européens à cette espèce de luxuriance assumée des vins du Nouveau Monde. Le Devoir s’entretenait récemment avec Christian Moueix.

« Bob Mondavi m’a présenté en 1981 les propriétaires de Napanook, un superbe vignoble a Yountville au milieu de la Napa Valley. Cette décision a changé ma vie et depuis, je mène véritablement une double vie, ayant traversé l’Atlantique des centaines de fois », avance le Libournais de cœur qui aurait tout aussi bien pu vivre peinard et confortable sur ses terres de la rive droite. Le « prince du merlot » avait-il une intuition ? « Il y a sans doute de bons terroirs à découvrir en Californie, mais il est difficile d’imaginer un meilleur mariage que le cabernet sauvignon, surtout s’il est planté dans la vallée de Napa. »

George C. Yount faisait le même constat quelque 145 ans plus tôt, en 1838. Avec jusqu’à 90 % de cabernet dans l’assemblage de Dominus, Moueix ne réécrit pas l’histoire, il s’y inscrit à la manière d’un gentleman qui y apporte une contribution réfléchie, soucieux du contexte et des défis liés aux bouleversements climatiques en vue. « Je suis un grand respectueux du terroir. C’est pour cela que depuis 1981, je cultive sans irrigation (en dryfarming). C’est la base de ma philosophie. Nous sommes de plus passés “Fermiers certifiés biologiques” en mai 2021. Cette certification encourage nos efforts pour mieux comprendre la complexité de notre environnement et pour affiner nos pratiques en harmonie avec la nature tout en préservant notre patrimoine culturel. »

Enfin, Christian Moueix, faut-il être amateur de Pomerol pour apprécier vos cuvées californiennes ?  « Notre distributeur étasunien utilisait à l’époque la formule “Napa terroir, Bordeaux spirit”. Sans succès. Nous avons gardé le cap. Le succès a suivi. Ceci dit, il est vrai que bien souvent les amateurs confondent Dominus avec un Pomerol. Ce n’est pas ma faute — it’s beyond my control ! » Être méticuleux n’est peut-être qu’une signature après tout, de celle qui se fout des modes et des frontières. Les quantités sont limitées pour des vins qui arriveront sous peu. Quelques impressions…

Dominus Napa Valley 2010 (423 $ – n.d.). Le bouquet est large, précis, distingué ; la bouche vigoureuse, très fraîche, longue et racée. (5) © ★★★★ 1/2

Othello Napa Valley 2018 (64,75 $ – 14962438). Toute l’expression du « grand vin » ici formulée avec une étonnante sève fruitée. Tanins frais et bien serrés exprimant le cabernet franc à son meilleur. (5+) © ★★★ 1/2

Napanook Napa Valley 2018 (124,50 $ – 14962420). Les deux bouteilles dégustées n’étaient pas au top. À revoir. Pas noté.

Ulysses Oakville 2018 (273,50 $ – 14623065). Le cabernet sauvignon domine dans ce vignoble en appellation Oakville (Napa) acquis en 2008 par Moueix. Puissance et finesse, verve, mais aussi une portée verticale aux nuances minérales de graphite. C’est mûr, profond, fort civilisé, d’une allonge étonnante (5+) © ★★★★

Dominus Napa Valley 2018 (392,75 $ – 14810864). Le grand vin laisse rêveur. Et le rêve ne s’explique pas, il se vit, en son cœur, laissant la raison au vestiaire. Détaillé, complexe et distingué, ce grand cabernet s’installe, raconte et file, bouleversant au passage notre désir de le saisir à tout prix. Impérissable, surtout hautement maîtrisé. Cinq étoiles ? Ne soyons pas chiches ! (10+) © ★★★★★

À grappiller pendant qu’il en reste!

Vermentino di Sardegna 2020, Merì, Argiolas, Sardaigne, Italie (19,95 $ – 14614353). On sent déjà ici l’impact de ce vermentino bien sec et vibrant sous son fruité bien net, mais surtout un accord juste avec ces darnes de poissons grillés nappés d’une béarnaise à l’aneth pour en dramatiser l’exotisme sous-jacent. Un blanc qui ne ménage pas son éclat derrière une fraîcheur d’ensemble où la salinité est à l’honneur. Très recommandable. (5) ★★ 1/2

Riesling « Weemala » 2021, Logan Wines, Australie (20,25 $ – 14690129). Ce riesling, net, vivace et équilibré scintille et brille au firmament citronné et fumé (minéral) tout en portant longuement une bouche légère, friande et fort sapide. Fera le bonheur (et le vôtre) de dumplings, sushis et autres petits coquins coquillages. (5) ★★ 1/2

Spätburgender Kabinett trocken 2018, Weingut Koehler-Ruprecht, Allemagne (25,25 $ – 14887618). L’amateur de pinot noir reconnaîtra le style si particulier que nous livre le pays germanique pourtant réputé pour ses rieslings impériaux. Rien à voir ici avec ses confrères bourguignons, californiens, canadiens ou italiens, plutôt une approche romantique, avec des parfums floraux et épicés qui apparaissent désuets et un toucher de bouche sensible et délicat. On rêve pour le mieux, ici, mais surtout à bon prix. C’est sec, léger, aérien, d’une longueur fort appréciable. Mets fins axés sur la volaille, le canard, la terrine de faisan ou de perdrix… vous voyez le genre. (5) © ★★★

Riesling 2021, La Cantina, Vallée d’Oka, Québec (27,85 $ – 14802629). Imaginer seulement, il y a à peine 50 ans, que le Québec allait se doter de vin d’une telle stature étonne et laisse pantois. Impensable ! Et pourtant, la surprise est de taille. Se détache ici un équilibre, mais surtout une expression juste et précise du cépage sans cesse réactivée au palais par la consistance de son fruité. Que dire d’autre ? Bravo ! (5) ★★★

Bandol 2017, Domaine de Terrebrune, France (42,50 $ – 14782146). Essentiellement du mourvèdre aux rendements limités ancré sur des marnes et roches calcaires du Trias pour un ensemble assuré, structuré, un rien animal, mais surtout pourvu d’une fraîcheur qui porte longuement des tanins abondants, mûrs et bien serrés. Un rouge bio de caractère fort racé qui commence à peine à livrer ce qu’il a dans le ventre tout en promettant une suite fort nuancée avec l’évolution. Pour le moment, deux bonnes heures de carafe et du gibier dans votre assiette ! (5+) © ★★★★

Château Fougas « Forces de vie » 2018, Côtes de Bourg, Bordeaux, France (52,75 $ – 14910232). Nous sommes visiblement ici devant le grand vin de cette maison gérée en biodynamie par Jean-Yves Béchet. Un rouge sérieux dont les merlots sont tout de même arrondis sous l’élevage sophistiqué d’une futaille qui confère à l’ensemble des notes épicées de fumée, de noix de coco grillé et de tabac frais, le tout encore une fois rondement mené par l’apport de tanins mûrs, frais, denses et expressifs. Prévoir une daube ou l’entrecôte grillée pour lier les protéines et amadouer les tanins. (5+) © ★★★ 1/2

Chablis Grand cru Bougros 2019, Joseph Drouhin, Moulin de Vaudon, Bourgogne, France (119,50 $ – 14819068). Quand on est situé sous Les Preuses et Vaudésir, tel un appendice calcaire fleurant le Serein tout près au nord de la commune de Chablis, on peut sans broncher avancer que l’on n’est pas si mal situé ! Localisation, localisation… localisation, à Chablis, autant qu’en immobilier, le terme a son importance. Si la maison William Fèvre cultive une portion fort appréciable de6,5 hectares délimitant ce grand climat, la maison Drouhin elle en soutire ici une essence fine, précise et « électrisante » tant la vibration fruitée se combine au minéral à l’intérieur d’une bouche saline à souhait. Robe jaune pâle avec sa nuance verte caractéristique du chardonnay local et flaveurs dynamiques, tendues, mais aussi enrobées, d’une élégance toujours de mise proposée par cette grande maison familiale bourguignonne. Encore ? Vous voulez rire ! Allez, j’en prendrais bien une autre larme ! (10+) © ★★★★ 1/2

 

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