Bienvenue dans le «métaverre»!

La bouteille de vin n’existera plus, ni le vin qu’elle contient, encore moins le vigneron qui l’élabore.
Photo: Jean Aubry La bouteille de vin n’existera plus, ni le vin qu’elle contient, encore moins le vigneron qui l’élabore.

Boire du vin en s’épargnant les dommages collatéraux d’usage a de quoi réjouir noceurs et autres sybarites. Imaginez seulement, pas de gueule de bois ni d’œil hagard, encore moins d’haleine fétide, de discours confus, de foie engorgé ou de cancer à la carte. Plutôt une immersion saine et sans soucis qui maximiserait de façon exponentielle une expérience sensuelle déclinée à l’infini. Seriez-vous prêt à surfer sur ces univers parallèles dont le « métaverre » serait à la fois le point de départ et d’arrivée ?

Il faudra s’y faire. Nous naîtrons nous-mêmes un jour « avatarisés » en 3D. L’intelligence artificielle apparaîtra alors de loin superficielle tant elle peinera à s’adapter à la réalité augmentée. Les sens du visuel, de l’olfaction, de la gustation, de l’ouïe et du toucher tels que nous les connaissons aujourd’hui donneront l’impression d’être rétrogradés par leur vétusté à un film muet en noir et blanc cadencé à 16 images par seconde. Et, pour clore le tableau des réjouissances, les pandémies successives de plus en plus virulentes auront raison de tous ces petits gestes contacts qui fournissent à l’humanité tout entière cette sensibilité à fleur de peau désormais évanouie à jamais.

Figures folkloriques

 

La bouteille n’existera plus. Ni le vin qu’elle contient. Encore moins les taches sur votre nappe blanche fraîchement repassée. Les vignerons seront relégués au rang de figures folkloriques, alors que les placomusophiles, les œnographiles et autres fétichistes du verre glisseront au rang d’hurluberlus. Des algorithmes génétiques ancestraux dernière génération vous dirigeront vers vos affinités naturelles, selon le type, la provenance ou le style de vin désiré.

Vos ancêtres de souche italienne affectionnaient le sangiovese ? La fenêtre sélective des options s’ouvrira sur les choix de l’heure, quels que soient le prix ou l’ambiance immersive dans laquelle vous souhaiteriez matérialiser votre œnofantasmagorie. L’heure est aux débordements avec des copains festifs attablés en terrasse sur une trattoria à Florence ? Apparaîtra, parmi une kyrielle d’options, ce classique Villa Antinori 2018 (23,65 $ – 10251348 – (5) ★★★), qui régalera l’antipasto et cette pointe de pizza avec ses tanins frais, fondus, fruités et élégants. Vous passez de la trattoria au palazzo et penchez plutôt pour un rouge qui « goûte cher » ? D’autres choix se présenteront aussitôt, dont ce Tignanello ou cet autre Ornellaia qui épateront, du moins virtuellement, la galerie. Tout cela, sans bouger d’un iota !

Avec le « métaverre », plus besoin non plus d’être un expert pour saisir les arcanes complexes de la dégustation. Vos seuils de sensibilité déjà déterminés à la naissance décrypteront les quatre saveurs élémentaires pour en optimiser les nombreuses interactions possibles. Tout en maximisant cette notion de « plaisir » si chère aux humains de « première génération ». Vous saurez ainsi gré à Patrice Lescarret de son blanc sec Causse Marines 2019 (25,60 $ – 860387 – (5) ★★★), qui joue sur ces amers dont vous raffolez tant tout en maintenant ces équilibres où gelée de coing, citron Meyer confit, graine de fenouil et pomme blette titillent longuement sapidité et salinité. Les réinitialisations en temps réel du « métaverre » tenteront alors de reproduire, en mieux, l’expérience vécue, sans toutefois y parvenir. Lescarret les aura déjouées non seulement par la ruse (tout en rigolant dans sa barbe), mais aussi par la singularité de son vin. Il faudra attendre la version « métaverre 2.0 » pour voir venir.

Et le chroniqueur de vin dans cet univers ? Comme le vigneron, le vin et son flacon, tout simplement remisé aux oubliettes de l’histoire. Tel un vieux vin oublié en cave. Sa propre réalité augmentée ne faisant plus le poids parmi tous ces « méta-influenceurs » exponentiellement actifs aux confins des ego démultipliés. Il ne vous reste plus qu’à tendre l’oreille pour le plop ! libéré par un véritable liège puis à siffler une flûte du classique Champagne Pol Roger Brut (65,50 $ – 51953 – (5) ★★★★), en ce vendredi 18 février 2022, pour ne pas verser dans la… « métadéprime » !

À grappiller pendant qu’il en reste!

Cinsault « Seriously Cool » 2020, Waterkloof, Afrique du Sud (19,70 $ – 13928254). Vous êtes sensible au cinsault ? J’aime personnellement ce côté aromatique, léger et friand, mais aussi pourvu d’une indéniable finesse de ton, qu’il soit du sud de la France ou d’Afrique du Sud, où il offre une pointe empyreumatique supplémentaire, avec un côté gourmand en prime. Bref, un rouge à servir frais sur vos tacos de poisson, de légumes ou de porc effiloché à peine fumé. (5) ★★ 1/2

448 s.l.m. Bianco 2020, Girlan, Vigneti delle Dolomiti, Italie (19,85 $ – 13916780). Chardonnay, sauvignon et pinot blanc composent ici une cuvée vivante et bien nette où le fruité de pomme et d’agrume trace une bouche légère et fort accessible. Simplement délicieux sur une terrine de volaille aux noisettes et aux abricots. (5) ★★ 1/2

Now Shiraz 2021, Paxton, McLaren Vale, Australie (21,70 $ – 13897419). Ce vin nature est si dense sur le plan chromatique qu’il est absolument impossible de lire la moindre ligne de votre Devoir par transparence en inclinant le verre. Il faudra donc lire ce rouge impénétrable autrement. Mais rassurez-vous, bien qu’il soit puissant et d’une concentration à couper au couteau, la vinificatrice Ashleigh Seymour « travaille » les tanins de cette syrah sous la loupe d’une fermentation qui lui arrondit les angles tout en exaltant le fruité. C’est musclé, bien frais et simple d’expression, mais fort équilibré. Bref, le rouge pour les burgers qui savent se tenir ! (5) © ★★ 1/2

Hold and Hollo Dry 2018, Tokaj, Hongrie (22,90 $ – 14454118). Ce blanc où le cépage furmint domine est non seulement doté d’une forte personnalité, mais il permet, lorsque bien rafraîchi, en raison de ses quelques sucres résiduels, une foule d’accords mets et vins, que les plats soient de nature asiatique, mexicaine ou issus d’autres cuisines hautes en flaveurs. Il y a ici texture, ampleur et vinosité, beaucoup de fraîcheur, avec, en finale, des amers persistants. (5) ★★ 1/2

Riesling « Engelsberg » 2020, Markus Huber, Traisental, Autriche (23,45 $ – 13675841). Il se passe beaucoup de choses dans ce blanc bio fort soutenu sur le plan aromatique, avec cette touche balsamique doublée de citron confit des plus fascinantes, cet équilibre souverain entre sucres et acidité et cette finale où les amers prolongent avec panache l’ensemble. Même les huîtres seraient d’accord. (5) ★★★

Morgon 2020, Jean-Paul Brun, Beaujolais, France (25,95 $ – 11589746). Encore et toujours la cerise, la cerise mûre, presque confite, ici réduite en purée à tartiner. C’est ce que laisse percevoir ce gamay, encore pour le moment retranché derrière cette « pectine » qui en rehausse les tanins tout en cadrant le tout avec une pointe d’austérité passagère. Le message demeure clair, vivace et soutenu. L’attendre deux ou trois ans ne lui ferait pas de tort. (5+) © ★★★

Pinot Gris « Les jardins » 2019, Domaine Ostertag, Alsace, France (36,25 $ – 866681). Il arrive de ces moments magiques. Par exemple, l’accord parfait entre ce bijou de pinot gris et une goyère au Mamirolle, mariage sur le plan de la texture et des parfums, comme si l’un se fondait dans l’autre le plus naturellement du monde. Cette cuvée évidemment révèle un pinot gris bien né, d’une formidable définition, mais surtout de profondeur manifeste, qui joue sur le détail (rose, gingembre, safran, etc.), ainsi qu’un équilibre qui joue l’acidité en sourdine sans pour autant contrecarrer l’harmonie d’ensemble. Un flacon inspiré, encore une fois signé André Ostertag. (5) © ★★★ 1/2

 

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