Vivino dans le vent

Selon certains producteurs cotés sur Vivino, le manque de connaissances des utilisateurs de ce genre d’application peut avoir des conséquences négatives.
Valérian Mazataud Le Devoir Selon certains producteurs cotés sur Vivino, le manque de connaissances des utilisateurs de ce genre d’application peut avoir des conséquences négatives.

Créé en 2010 par Heini Zachariassen et Theis Søndergaard à Copenhague, Vivino vise à faciliter l’achat d’une bouteille de vin sans être pris de sueurs froides à l’idée d’être incapable de départager un bon bordeaux d’un mauvais. Le duo de Danois n’a du reste jamais caché que c’est son manque de connaissances en matière de vin qui l’a poussé à développer cette application.

Comment ça fonctionne ? Vous prenez l’étiquette d’un vin en photo. L’application numérise l’image en question et, en quelques secondes, elle trouve la fiche du produit correspondant. Puis, elle affiche la note moyenne sur 5 accordée par ceux qui ont (théoriquement) dégusté ledit vin. À noter : n’importe qui peut écrire ses commentaires et tous les avis sont traités sur le même pied, que le dégustateur possède une cave immense ou qu’il vienne tout juste de boire le premier rouge de sa vie.

On peut imaginer toutefois que, si la cote qui s’affiche sur votre téléphone est de 2,1, vous risquez de déposer la bouteille et de continuer à parcourir les rayons jusqu’au moment où vous tomberez sur un produit coté 4,2.

La démocratisation du vin

 

Il faut croire que Vivino a répondu à un réel besoin. Aujourd’hui, la compagnie a déménagé son siège social dans ce royaume du vin qu’est la Californie et l’application compte 41,2 millions d’utilisateurs pour 11,6 millions de vins recensés.

Mais le vin recensé, justement, a-t-il été décanté suffisamment avant sa dégustation ? A-t-il été servi à la température appropriée ? La personne qui le commente connaît-elle les vins nature ? S’attendait-elle à un vin plus sucré en buvant ce vin sec ? Selon certains producteurs cotés sur Vivino, le manque de connaissances des utilisateurs de ce genre d’application peut avoir des conséquences négatives.

Sur la page Facebook de l’application, on trouve par exemple un commentaire d’Olivier Chaumont, gérant des champagnes qui portent son patronyme. Ce dernier se dit déçu par le traitement réservé à ses cuvées sur Vivino. « Tout un chacun peut associer des vins à mon domaine, sans vérification possible. Je me retrouve, en tant que producteur de champagne, avec des notes de vins blancs mâconnais (contre lesquels je n’ai pas d’a priori par ailleurs). Afficher les avis des gens, c’est bien, permettre aux producteurs d’avoir un droit de réponse et de corriger des énormités, ça serait mieux ! »

Les secrets des étiquettes peuvent en effet être déroutants pour un novice. Et il arrive, sur Vivino, de tomber sur des descriptions erronées. C’est là que le bât peut blesser, explique la sommelière Élyse Lambert. « Un chianti, un chianti Classico et un chianti Classico Riserva, c’est trois patentes différente, dit-elle pour illustrer son propos. Est-ce que le consommateur sur Vivino identifie le bon produit ? »

Autre aspect, en apparence tout simple mais capital selon la master sommelière : les goûts de chacun. « Si vous n’aimez pas le sangiovese et que vous avez dégusté un chianti, ça se pourrait que votre note soit biaisée par votre préférence personnelle. »

Élyse Lambert n’est cependant pas contre l’existence de cette application. « Pour le commun des mortels, [Vivino] est une plateforme intéressante qui permet d’avoir une vision globale de l’appréciation d’un produit. Mais ça reste une évaluation très large. » Sans trop de surprise, la spécialiste n’utilise pas cet outil. « J’ai des amis dégustateurs et sommeliers qui sont mes Vivino à moi. » C’est d’ailleurs ce qu’elle recommande aux abonnés de l’application : de trouver leurs propres références en matière de vin, de privilégier le facteur humain.

Nos goûts d’abord

Le sommelier et enseignant Nick Hamilton abonde dans ce sens. En matière d’applications, celui qui a fondé la firme de consultation Les Conseillers du vin en 1987 utilise davantage Wine Searcher, dans le but de connaître les prix sur le marché. Cette dernière appli met en avant les notes des critiques professionnels (Decanter, Wine Enthusiast). Les étoiles accordées par les utilisateurs lambda sont présentées séparément.

Vivino ? Il n’est pas contre. Mais, comme Élyse Lambert, il indique que les goûts personnels sont primordiaux. Le meilleur exemple, selon lui ? « Les vins de Barolo et de Barbaresco, dans le Piémont, faits avec du nebbiolo, répond-il. Ce cépage a une acidité assez prononcée, des tanins fermes, une certaine rusticité et une finale parfois amère et astringente. Si vous n’aimez pas les vins acides amers et astringents, abstenez-vous d’y goûter, même si le vin est coté 5 étoiles ! »

Bien entendu, les accords mets et vins sont essentiels lorsque vient le moment de faire son choix. Une épice, un ingrédient, une sauce, une cuisson même peuvent tout changer. Sur Vivino, l’option « Accords » est pour le moins simplifiée. Les desserts se divisent ainsi en « fruités » et « sucrés ». Les fromages, en « bleu », « chèvre » et « pâte molle ». Les mets végétariens sont tous regroupés sous l’onglet… « Végétarien ».

« Les clients me demandent souvent “un bon vin blanc dans telle fourchette de prix”. Je leur demande toujours en retour si c’est pour aller avec un repas. Puis ce qu’ils aiment. Même si un vin représente théoriquement l’accord parfait, si le client déteste ce cépage, par exemple, mieux vaut l’éviter », explique Mathieu Baghdjian.

Employé à la SAQ depuis huit ans, le caissier-vendeur guide souvent les clients, entre autres, de la succursale Monkland et de la SAQ Sélection rue Saint-Jacques, dans leurs choix. Un aspect de son travail qu’il adore. Vivino ? Il ne l’utilise pas. Et il estime que la plupart des amateurs de vin préfèrent de loin le contact humain. Notamment pour les éclairer lorsqu’ils ont mémorisé un nom farfelu pour un produit donné. Exemple en or : un « bourgogne aligator » plutôt que bourgogne aligoté. « L’une des premières choses qu’on nous demande c’est : “Y avez-vous goûté ?” Si la réponse est non, certains ne veulent rien savoir. »

Mathieu Baghdjian remarque que les Québécois se fient davantage aux produits présentés à Salut bonjour ou dans diverses chroniques qu’aux notes « décernées par 198 anonymes sur une appli ». Son mantra ? « Ce n’est pas parce qu’un vin est populaire que vous allez l’aimer. » Montrez-moi ce que vous buvez et je vous montrerai, non pas qui vous êtes, mais ce que vous aimerez boire.

 

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