Quel goût auront les vins de demain?

Le Catalan Miguel A. Torres s’emploie depuis 2007 à investir 11% des profits de son entreprise dans la cause environnementale, en plantant, par exemple, 200 hectares d’arbres par an au Chili.
Photo: Jean Aubry Le Catalan Miguel A. Torres s’emploie depuis 2007 à investir 11% des profits de son entreprise dans la cause environnementale, en plantant, par exemple, 200 hectares d’arbres par an au Chili.

Avait lieu la semaine dernière à Montréal la deuxième édition de Goûter aux changements climatiques — fort réussie par ailleurs — réunissant quelques conférenciers de pointe évidemment sensibles aux réalités climatiques d’aujourd’hui ainsi qu’à leurs effets sur le vignoble de demain. Le vin que vous buvez maintenant sera-t-il différent de celui qu’il vous sera possible d’apprécier dans les millésimes 2040, 2060 ou 2090 si Bacchus vous prête vie ? Il faudrait être climatosceptique pour imaginer qu’il ne le soit pas !

Il n’y a pas que Venise qui a les pieds dans l’eau. La planète entière va à vau-l’eau. Et ce n’est qu’un début, dans cette suite qui s’annonce, sinon dramatique, du moins fort différente de ce que nous connaissons aujourd’hui. Un exemple ? Selon Karel Mayrand, directeur général de la Fondation David Suzuki pour le Québec et les provinces de l’Atlantique, la biodiversité mondiale, qui tiendrait comme une infime couche de peinture sur un ballon de basketball, pour faire une analogie avec notre planète bleue, est si bousculée qu’elle imprime déjà des bouleversements en cascades sur toute vie animale, végétale et humaine. Au point où, à l’aube de 2050, les 9,1 milliards d’êtres humains boufferont l’espace de ces autres espèces qui assurent pourtant l’équilibre de leur survie. Pas jojo, je vous dis.

Le colloque imaginé par la sommelière Michelle Bouffard a permis aux 14 intervenants invités de dégager une batterie de constats, dont plusieurs scientifiquement vérifiables. Les graphiques mis en situation sur l’état du monde par Karel Mayrand étaient à ce point déstabilisants qu’ils en donnaient le tournis. Le CO₂ relâché dans l’atmosphère ? Il équivaudrait, selon Mayrand, à l’énergie accumulée sous le couvert du réchauffement climatique à l’explosion de 500 000 bombes Hiroshima par jour, 365 jours par année. Pas surprenant que les cinq dernières années aient été les plus chaudes enregistrées avec, pour juillet 2019 seulement, l’année la plus chaude de tous les temps. « Nous sommes entrés dans une ère de conséquences », disait l’homme. L’une de ces conséquences ? Le mot « jovialiste » retiré des dictionnaires si la neutralité carbone n’est pas atteinte d’ici 2050 !

Doit-on s’alarmer pour autant ? Ce n’est pas parce que les autruches ne boivent pas de vin qu’il faut regarder la caravane climatique passer sans bouger le petit doigt. Le vin que vous buvez n’est déjà plus ce qu’il a été ni ce qu’il sera. Bon, je sais, personne ne boit de romanée-conti, mais pourriez-vous tout de même imaginer une seconde cette icône vinifiée avec du nebbiolo au lieu du pinot noir dans un siècle ?

C’était la boutade plus que réaliste lancée par le généticien José Vouillamoz (coauteur de WineGrapes, entre autres), dont le constat sur le terrain végétal est plus que troublant. Selon cette sommité, l’ensemble des biodiversités locales seules pourront garantir, avec un choix de cépages indigènes anciens, des clones variés, une sélection spécifique de porte-greffes adaptés aux régions ou une multiplication génétique ciblant au cœur telle ou telle maladie (oïdium, mildiou etc.), une pérennité au vignoble. Une saine biodiversité demeurant au préalable la condition sine qua non pour asseoir toute démarche en ce sens.

Le goût amer des changements climatiques n’est pas non plus la tasse de thé du Catalan Miguel A. Torres, qui s’emploie, pour sa part, depuis 2007 à investir 11 % des profits de son entreprise dans la cause environnementale, en plantant, par exemple, 200 hectares d’arbres par an au Chili. Une gestion précise d’énergies renouvelables dans son coin de Catalogne, dont les températures ont augmenté de 1,2 °C depuis 50 ans a déjà fait chuter du quart l’empreinte CO₂ par bouteille depuis 10 ans. Replantation, irrigation, taille, mais aussi recherche de cépages anciens en collaboration avec l’INRA français sont au programme.

« Le monde du vin peut faire sa part pour la suite des choses, mais que veut l’industrie? Une productivité accrue, faire moins mais mieux ? » s’interrogeait le « Master of Wine » Jérémy Cukierman. L’amertume est peut-être l’une des cinq saveurs élémentaires, mais ce n’est pas une raison pour qu’elle assombrisse la suite du monde…

La semaine prochaine : les champagnes artisans de Jean-Baptiste Geoffroy

Le mois de décembre approche avec son cortège de bulles tous azimuts. Les Amis du vin du Devoir se réuniront le 2 décembre prochain pour faire sauter les bouchons lors d’une dégustation de grandes bulles dans le cadre de Studio Vin. Une dégustation sur le thème des vins orange suivra le lundi 7 décembre, et les vins corses et siciliens clôtureront la saison le lundi suivant (16 décembre). Quelques places sont encore disponibles. Pour information : guideaubry@gmail.com ou www.studio-vin.com.

À grappiller pendant qu’il en reste!

Sablet Cuvée Clémence 2016, Domaine de Boissan, Côtes-du-Rhône Villages, France (23,15 $ – 712521) À moins de 25 $, l’impression d’être à la table des grands en savourant un mini châteauneuf-du-pape ! Des grenaches et syrahs pour part égales, mais surtout un ensemble aussi subtil qu’évocateur, tracé dans un volume fruité et épicé dont la finesse et la profondeur de textures étonnent pour un vin de ce prix. Hautement recommandable. (5+) ★★★ 1/2 ©

Passagem Douro Reserva, 2016, Douro, Portugal (28,85 $ – 12185698) Évidemment noir comme une nuit sans lune au-dessus du fleuve Douro, lui-même tracé à l’encre de chine au creux des terrasses de schistes. C’est dire la suite qui, elle, alterne le chaud et le froid, entre cassis et cacao amer, réglisse et épices nobles. Un rouge large et puissant, aux tanins riches et sphériques, porté tout de même par une fraîcheur motivée par un terroir à « haute teneur minérale ». À ce prix, beaucoup, beaucoup de vin. (10+) ★★★ 1/2 ©

Crozes-Hermitage 2017, Domaine Combier, Rhône, France (39,25 $ – 11154890) Cette cuvée a ses adeptes. Et une signature manifeste. On reconnaît Combier au premier coup de nez. La syrah se lèche ici avec son doigt, celui qui a plongé avec gourmandise dans le pot de confiture de cassis et de bleuet et qui en ressort maculé tant l’intensité colorante étonne et la texture de l’ensemble lui colle à la peau. Un rouge aux tanins gras, jouissif de gourmandise, très frais et d’une allonge ascensionnelle même si le vin n’en est qu’à ses balbutiements. Il en reste très peu, hélas ! (10+) ★★★ 1/2 ©


Légende

(5) à boire d’ici cinq ans
(5+) se conserve plus de cinq ans
(10+) se conserve dix ans ou plus
© devrait séjourner en carafe
★ appréciation en cinq étoiles



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