Boire et savourer les Laurentides

Qu’est-ce qui se brasse dans le nord ? La région laurentienne héberge depuis longtemps des entreprises brassicoles d’importance telles que les Brasseurs du Nord (Boréale) à Blainville, Simple Malt/Brasseurs illimités à Saint-Eustache et Dieu du Ciel ! et ses installations de Saint-Jérôme. Dans l’ombre de ces géants de la micro, une nouvelle scène du houblon émerge enfin des Hautes-Laurentides. Rencontre avec les artisans du Baril roulant de Val-David et du Camp de Base de Saint-Adolphe-d’Howard.
Camp de Base
« Pendant longtemps, il y a eu effectivement un vide », acquiesce Alexandre Sirois, maître brasseur et cofondateur de la microbrasserie Camp de Base. « T’arrivais dans la grande région des Laurentides, tu trouvais Boréale, Dieu du Ciel !, ensuite à Mont-Tremblant la brasserie St-Arnould, Le Diable dans la montagne et Le Lièvre à Mont-Laurier. Aujourd’hui, de nouvelles brasseries se sont enfin installées », ajoute-t-il en soulignant le travail des artisans de La Veillée (Sainte-Agathe-des-Monts) et du sympathique pub La Maison du brasseur, où l’on aspire bientôt à brasser sur place, dans le secteur Saint-Jovite de Mont-Tremblant.
Après avoir appris son métier en travaillant pour quelques entreprises, Alexandre Sirois a démarré en novembre 2017 le Camp de Base, qualifié de « brasserie éducative » : « C’est un lieu de production combiné à une salle de formation, puisque j’ai été formateur en milieu brassicole », explique-t-il. La formation est d’abord destinée aux entreprises en démarrage. « Autrement, poursuit-il, je donne des ateliers ponctuels pour démystifier le métier de brasseur. Essentiellement, j’ai mis sur pied ce que je recherchais à mes débuts comme brasseur, il y a 15 ans. »
Moins d’une dizaine de recettes sont embouteillées sur place, dont cette V9 IPA des Laurentides, une india pale ale à 6,5 % d’alcool conçue dans le style des IPA de la côte Ouest américaine. Elle allie une bonne base maltée à l’amertume relevée des houblons. « J’ai voyagé dans à peu près tous les pays possédant une tradition brassicole digne de ce nom », explique Sirois en évoquant ce style américain d’IPA dégusté durant un séjour de trois mois en Californie, il y a neuf ou dix ans.
« J’ai connu les IPA comme ça, avec des bières très amères – et claires », contrairement à la tendance des bières juteuses et voilées arrivées avec les NEIPA (North Eastern India Pale Ale). « J’aime laisser à la bière le temps qu’il faut pour qu’elle refroidisse, une bonne semaine disons, ça lui laisse le temps de se clarifier. Ma bière n’est pas filtrée, mais elle est claire quand même. Je trouve que ce style de bière s’est perdu avec l’arrivée des NEIPA, alors que nos classiques du genre, la Yakima du Castor ou la Moralité de Dieu du Ciel !, sont plutôt de cette tendance. J’avais envie de faire ce genre de bière qui m’a marqué et qu’aujourd’hui on cherche sur les tablettes. »
Partant d’une base d’orge malté, de blé caramélisé et de flocons d’avoine, le maître brasseur dit s’inspirer de son environnement laurentien pour cette recette mettant en valeur les saveurs résineuses, sapinières, des houblons sélectionnés. « J’aime beaucoup les houblons qui dégagent des notes de conifères, comme le Columbus. J’ajoute aussi du Simcoe, que je mets à la fin de l’ébullition parce que j’aime bien les arômes qu’il dégage lorsqu’il chauffe un peu. Ensuite, en fermenteur pour un houblonnage à froid, j’ajoute toujours du Citra avec le Columbus. »
Le Baril roulant
Patrick Watson a développé ses talents de brasseurs pendant quelques années chez Brasseurs illimités avant de dénicher son petit coin de paradis il y a sept ans, en plein coeur du village de Val-David. Le pub rapidement devenu trop petit, l’auberge-restaurant à trois coins de rue de là a été ensuite acquise, puis l’usine de production, ouverte depuis trois ans. Quelques-unes des recettes en canettes sont distribuées jusqu’à Montréal, mais l’essentiel de la production est dégusté dans la région.
« Nous, on a une stratégie locale : encourager les gens à nous visiter au pub, vendre nos produits dans les marchés du coin, suivant l’optique : si tu veux du pain, tu te rends chez le boulanger, alors si tu veux de la bière, tu vas la chercher à la brasserie ! »
« Lorsqu’on a débuté, de Saint-Jérôme à Mont-Tremblant, y avait pas de microbrasseries », rappelle Watson, aussi l’un des instigateurs d’une coopérative de brasseurs artisanaux des Laurentides travaillant, entre autres projets, à la création d’un circuit brassicole touristique. « Aujourd’hui, y a plus de micros et on entend parler de plusieurs projets en branle ; ça va bouger ici dans les prochaines années. »
Nous, on a une stratégie locale : encourager les gens à nous visiter au pub, vendre nos produits dans les marchés du coin, suivant l’optique : si tu veux du pain, tu te rends chez le boulanger, alors si tu veux de la bière, tu vas la chercher à la brasserie !
Son partenaire d’affaires, David Vachon, brasseur qui tripe sur les bières houblonnées, jette son dévolu sur les bières richement maltées, comme cette ale brune belge baptisée Jabak. « J’aime les styles belges, les scotch ales aussi, des bières rondes, costaudes. » Son ale brune belge, à 7 % d’alcool, a été infusée dans du thé du labrador. « [Cet ingrédient] apporte des arômes un peu floraux et fruités. Cette bière, la première fois que je l’ai brassée, c’était chez Kruhnen [la microbrasserie], alors que j’étais encore un brasseur itinérant », expliqueVachon à propos de cette expérimentation datant d’avant l’inauguration de ses propres installations.
« J’aime les bières goûteuses ; j’ajoute à cette bière du gingembre, mais de manière très subtile, seulement pour soutenir le thé du labrador et lui donner une petite pointe d’épices ». Les brasseurs belges ajoutent du sucre candi à leurs brunes ; Patrick Watson le remplace par du miel de sarrasin. Les houblons Nugget et Cascade sont employés pour leur amertume, histoire de trancher dans le sucre tout en donnant un doux parfum floral.