Les mots du vin: Olivier Humbrecht

Il arrive qu’un vigneron ne fasse plus qu’un avec ses vignes, son terroir, son microclimat, ses rêves et son vin. C’est le cas d’Olivier Humbrecht, vigneron alsacien émérite au discours aussi limpide qu’un « jus de roche » filtré à même le tamis de la sincérité. Présentation.
Je vous en avais causé un brin la semaine dernière. C’est parti cette semaine et pour les quatre autres chroniques buissonnières à suivre, avec une chute prévue le samedi 18 août. Le topo ? Ce petit bouquin réflexif dont le titre est Grain sensible, où l’auteur Olivier Humbrecht traite de sujets simples, mais qui lui tiennent à cœur. Le premier chapitre, « Les mots du vin », me sert cette semaine de prétexte à jeter les ponts entre vous, ami lecteur, et ce personnage du vin que plusieurs reconnaissent comme étant un vigneron plus grand que nature. Mais l’homme est modeste. Il ne vous le dira pas. Moi, si.
Olivier Humbrecht est un homme de science (ingénieur agronome), mais il porte aussi le titre prestigieux de Master of Wine. C’est bien pourquoi il se méfie des mots. De cette « pornographie verbale » citée par son ami Serge Dubs (Meilleur sommelier du monde en 1989), qui, telle une logorrhée aussi creuse qu’ampoulée, ne sert souvent qu’à noyer le poisson.
L’Alsacien aime trop le vin pour le trahir. C’est d’ailleurs l’amour de ses vignes, comme si elles étaient ses propres enfants, qui le motive à s’investir avec cœur, avec émotion. « Le bon vin appelle presque naturellement la parole, voire le lyrisme », dira-t-il avant d’ajouter que « […] cet élan ne mesure pas toujours ses limites quant à l’objectivité des connaissances scientifiques, qui, elles, sont aussi précises que, dans un sens, limitées ». Cet éminent sérum de vérité est-il pour autant condamné à nous dire nos quatre vérités ?
« Comprendre pour aimer et aimer pour comprendre : telle est peut-être la clef. » En aimant le vin, nous nous investissons. Nous devenons alors le vin. En invitant avec nous nos référents culturels pour tenter de le circonscrire. « Tous les vins ne sont pas égaux ; apprécier un vin de terroir élémentaire, mais agréable et singulier, en raison justement de cette appartenance à son terroir, constitue déjà une capacité estimable. Si, sans vocabulaire stéréotypé ni emphase, on parvient à exprimer cette singularité, nous touchons la qualité la plus pure, celle qui est devenue l’essence du vin. »
J’abonde en ce sens. J’ai toujours soutenu aussi que « dans son honnêteté singulière, un vin de pays peut égaler un grand cru ; tous deux diront leur lieu de naissance, et apporteront un grand plaisir ». On pourra même, comme tu le soulignes, Olivier (que je tutoie ici), « […] décrire des vins totalement différents en employant les mêmes descripteurs aromatiques… Où est la vérité du vin ? »
Au-delà des pélargonates d’éthyles et autres aldéhydes phényléthyliques qui échapperont toujours aux non-scientifiques, il reste, comme tu le mentionnes, « […] qu’il devient, par exemple, possible de discuter d’alcool, d’acidité, de botrytis : s’ils sont présents dans le vin […] ». Voilà déjà un terrain d’entente qui permet une certaine démocratie participative en matière de mots. En ce sens, cinq mots seulement — qui écartent, comme tu dis, « la mauvaise subjectivité » — demeureront alors toujours intelligibles par le plus grand nombre.
Prenons maintenant un cépage que tu connais bien : le riesling. Tu dis, et je résume, que « quand nous évoquons la note “pétrole”, nous pouvons donner l’impression de parler de quelque chose qui n’est pas vraiment appétissant ». Une remarque soulignée à maintes reprises par de nombreux lecteurs ici même au Devoir. « Elle peut, dans un vin jeune, constituer un indice de réduction [en gros, un manque d’oxygène dans un vin], alors que, dans un riesling de caractère et âgé, elle sera l’empreinte d’une belle vinification et d’un grand terroir. » Ici intervient alors notre « culture personnelle, notre connaissance du vin ».
Cette connaissance large du vin emmène naturellement à définir la critique professionnelle. Je la renommerais pour ma part « investissement ponctuel et émotionnel honnêtement assumé », car, comme tu le dis : « Il faut de la souplesse et de l’attention, une vraie volonté de comprendre ce qui attache un vin à lui-même, à un millésime, à l’expressivité originale de son cépage. » Sans oublier l’homme ou la femme qui l’accouche. La boucle est bouclée.
La semaine prochaine : « Vies souterraines »
À boire cette semaine
Trois rosés...
Cipresseto 2017, Santa Cristina, Toscane, Italie (18,95 $ – 13567188)Il n’offre sans doute ni d’empreintes de terroir ni véritablement d’origines précises, mais ce rosé où domine le sangiovese tient fort bien la route pour ce qui est de bien encadrer la soif et lui fournir sa raison d’être. La brillante robe cuivrée invite aux arômes de rhubarbe, alors que la bouche, légère et tonique, ne manque pas de densité (5) ★★
By. Ott 2016, Côtes de Provence, France (28,25 $ – 13336577)
La légère robe abricotée incarne déjà curieusement une idée de texture qui se vérifiera rapidement par la suite. Mais auparavant, l’arôme est fin et délicat, évocateur de ces melons à chair jaune et peau d’orange dont on tire, en la frottant entre ses doigts, une huile essentielle lumineuse et persistante. La bouche salive déjà, avivée par une sapidité saline qui porte un contenu fruité de belle densité, lui-même porté par une longue et élégante finale. Vin de lieu, à la fois précis et en tous points exquis. Simplement bon ! (5) ★★★1/2 ©
l’Irréductible 2016, Domaine de la Bégude Rosé, Bandol, France (38,50 $ – 13622571)
À base de mourvèdre pour 90 % de l’assemblage, ce rosé compte parmi les meilleurs dégustés cette saison. Un chouïa moins fin que celui du Domaine Ott, ce vin de repas, faste et encore une fois vineux, se love autour d’une trame fruitée haute en saveurs qui ne rechignerait pas du tout à taquiner l’oursin, une côte d’agneau rosée, une ratatouille bien relevée ou à dormir en cave quelques années encore. À saisir pendant qu’il en reste (5) ★★★★ ©
... et un rouge
Domaine de la Bégude 2015, Bandol, France (31,50 $ – 13622626)On souhaiterait être vigneron ou simple pied de vigne — sachant que l’un et l’autre sont plus qu’intimement liés — que l’on voudrait se réincarner sur place, en appellation Bandol. Ici, la famille bordelaise Tari (toujours à ce jour propriétaire des vignes au Château Giscours en appellation Margaux) cultive un vignoble de 22 hectares en agriculture biologique en traçant le profil d’un mourvèdre aussi convaincant qu’il arbore une civilité peu commune. La robe y est jeune, pleine et souriante, les arômes fruités de belle densité alors que la bouche, serrante, fraîche et étoffée, culmine sur un relief à la fois vineux, puissant, mais aussi apaisant et harmonieux. Jolie bouteille pour la cave. (10 +) ★★★1/2 ©.
Légende
(5) à boire d’ici cinq ans(5+) se conserve plus de cinq ans
(10+) se conserve dix ans ou plus
© devrait séjourner en carafe
★ appréciation en cinq étoiles
guideaubry@gmail.com