Excursion thaïlandaise chez Pumpui, rue Saint-Zotique

Tout avait commencé par un texto envoyé par une amie-lectrice le vendredi 16 mars : « Jean-Philippe ! Je viens d’avoir un orgasme épicurien [sic] au Pumpui avec un curry rouge royal de poisson-chat… » Peu habitué à ce que mes amies ou les lectrices me fassent ainsi part de leurs émois, j’avais tout de même pris note de l’adresse ; dans ma profession, une certaine ouverture d’esprit est de rigueur.
Cette extase bien sûr m’intriguait, mais aussi la situation géographique du restaurant associé. Rue Saint-Zotique, au coeur de la Petite-Italie, que venait faire un restaurant thaïlandais ? Dans ce quartier aux calzini tricotés très serrés, les premiers migrants culinaires ont fait leur apparition depuis peu. Un élégant vietnamien il y a de cela trois ou quatre ans, un délicieux irlandais le mois dernier et maintenant un thaïlandais. Les temps changent. Dans ce cas, pour le mieux.
Ce Pumpui, donc, s’appelle en fait Épicerie Pumpui. C’est trompeur, car la partie épicerie est anecdotique et ne vous sera d’un quelconque secours que si vous décidez de faire vos provisions ici pour préparer quelque plat thaïlandais à la maison en arborant un marcel à l’effigie de Pumpui. La partie restauration est plus intéressante. Percutante, devrais-je dire, tant le ratio explosion en bouche/pied carré est élevé. Une quinzaine de places assises et, dès la première bouchée, des larmes de bonheur coulent sur les joues des papilles sensibles.

Il faut dire que le chef Jesse Mulder semble aimer jouer avec les épices, ce qu’il fait plutôt bien d’ailleurs, et qu’il possède un sens de l’humour très thaïlandais. À sa question : « vous aimez ça épicé ? », j’avais innocemment répondu oui, un oui quercinois, pas thaïlandais du tout.
La bonne humeur d’un bon repas
Quand le premier plat est arrivé, Som Tum, une salade de papaye verte agrémentée de tomates cerises, de quelques haricots verts et de cacahuètes en morceaux, personne à table ne s’est douté de l’imminence de l’explosion. À peine la première cuillerée avalée, Madame Tremblay s’est étouffée, Marie est devenue toute rouge, le Merveilleux Monsieur T. a cligné spasmodiquement de l’oeil gauche et moi, j’ai pensé que le chef aimait vraiment les piments.
La salade était par ailleurs délicieuse : parfums de sauce de poisson, de tamarin et de citron vert. Seule la surabondance de piment nuisait. Les filles n’ont plus touché à l’assiette et demandé s’il serait possible d’y aller mollo sur l’allume-feu, thaïlandais ou autre. Georges, en bon bleuet prêt à tout pour impressionner son épouse, a affirmé qu’il adorait quand c’était « un peu relevé comme ça ». J’ai quand même fait signe aux cuisiniers de modérer leurs ardeurs.
Le reste du repas s’est déroulé dans cette belle grande bonne humeur caractéristique des repas réussis.

Sur un lit de riz blanc un peu collant, quelques morceaux de poulet panés, ailes et cuisses, très forts en coriandre et aillés généreusement. La friture était sans doute excessive, rendant les morceaux difficiles à déguster. Je suppose que le chef s’ajustera en cuisant ce « Gai Tord » (joli, non ?) plus subtilement.
Suivent deux beaux plats, l’un de porc souligné de gingembre, d’ail et d’oignon vert dans une sauce au curry maison, l’autre de poulet au curry jaune. Ici encore, dans les deux plats, la sauce enthousiasme par tous ses chatoiements ; tamarin, pâte de crevettes et de tomates pour le premier, fenouil, cumin et safran dans le second. Note aux cuisiniers : ajoutez un ou deux dollars au prix de ce plat et soyez plus généreux en poulet et moins en pommes de terre. Je dis ça, je dis rien.
Une assiette de brocolis chinois (Pad Kanaa Fai Daeng), sans doute sautés au wok et absolument délicieux.
Les filets de poisson-chat frits ne passeront pas à la postérité selon moi, chair trop dure et ayant perdu son goût à la cuisson.
Par contre, le summum de la soirée s’appelle « Gaeng panang pla-dook chao wang ». C’est le plat qui causa l’exultation de mon amie, le curry rouge royal de poisson-chat. Des filets de poisson pochés dans une décoction de noix de coco, habillés d’une pâte de curry maison, quelques fines lamelles de krachai, un cousin thaïlandais (et aphrodisiaque) du gingembre, une pincée de poivre vert et deux ou trois feuilles de combava. Le tout repose dans une sauce particulièrement savoureuse, basilic thaïlandais, crème de noix de coco, voiles de muscade et de combava.
Un petit dessert, riz et mangue juste parfait pour conclure un repas divertissant.
Sans aller jusqu’à la petite mort, quatre sourires flottaient à notre table.
Ouvert midi et soir, du mercredi au lundi. Détail qui n’en est pas un, le festin a coûté 24,93 $ par personne avant taxes et pourboires. Cette semaine, monsieur Aubry a eu droit à un repos, la maison n’ayant pas de permis d’alcool. J’ai pris une eau de noix de coco parfaite dans les circonstances.
Deux livres pour aider à manger plus inteligemment
Rapportés du Salon du livre de Québec, deux livres intelligents dont on ressort forcément moins benêt soi-même.Le chef Jean Soulard a ébloui pendant des années à la tête des cuisines du Château Frontenac et continue de briller avec chroniques, animations et autres activités. En plus d’être un athlète exceptionnel, Benoît Lamarche est chercheur à l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels (INAF) et titulaire de la Chaire en nutrition de l’Université Laval, où il enseigne également.
Ensemble, ils ont concocté L’ADN de l’alimentation québécoise, un excellent ouvrage dans lequel ils explorent et démystifient le paysage culinaire et gastronomique de chez nous. En alternant l’avis du chef et celui du chercheur, ils offrent une très intéressante perspective sur notre assiette tout en dressant le portrait d’une saine alimentation respectueuse de notre ADN. Une centaine de recettes complète tout aussi intelligemment.
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Dans N’avalez pas tout ce qu’on vous dit, son dernier livre paru ce mois-ci, Bernard Lavallée brosse un portrait du vrai et du faux associés à notre alimentation. Le sous-titre en page couverture intrigue : Superaliments, détox, calories et autres pièges alimentaires et dès le premier chapitre, intitulé « La bullshit nutritionnelle », le sautillant nutritionniste urbain met la table pour 248 pages décoiffantes.
Dans un style limpide et ramassé, il, comme le disent éloquemment les relationnistes, « décode les mythes et les rouages entourant l’alimentation et analyse l’influence disproportionnée de l’industrie agroalimentaire, des pseudo-spécialistes et des médias ».
On ne mange jamais trop intelligemment.
D’autres vins
Pour la troisième année de suite, la Société des arts technologiques accueille Les Turbulents, une vingtaine de vignerons venus d’Europe, d’Afrique du Sud et du Québec pour présenter leurs belles bouteilles.Le public pourra donc déguster des vins naturels élaborés à partir de fermentations naturelles et avec le moins d’intervention technologique ou d’intrant possible ; ils ne contiennent pas ou peu de sulfites ajoutés et sont tous issus d’une agriculture biologique ou biodynamique. Ils sont authentiques et reflètent les terroirs, les cépages et les communautés qui y sont rattachés.
Comme il est toujours conseillé de grignoter en buvant, de 10 h à 17 h, plusieurs artisans québécois serviront leurs produits au Labo culinaire, le tout à petits prix.
Dimanche 22 avril, 10 h à 15 h, Espace SAT + Labo culinaire
Légendes
★ Je regrette de devoir vous en parler★★ Pas mauvais, mais on n’est pas obligés de s’y précipiter
★★★ Bonne adresse
★★★★ Très bonne adresse
★★★★★ Adresse exceptionnelle pour la cuisine, le service et le décor
$ Le bonheur pour une vingtaine
$$ Une quarantaine par personne
$$$ Un billet rouge par personne
$$$$ Un billet brun par personne
$$$$$ Le bonheur n’a pas de prix