La Tyrolienne, un exemple de longévité

À quelques reprises en ces pages, j’ai déploré le manque de diversité de la scène gastronomique de la Vieille Capitale, où le « bistro aux accents industriels » règne presque sans partage depuis une dizaine d’années.
Il me fait très plaisir, par conséquent, de vous faire découvrir des restaurants qui se démarquent en affichant une personnalité bien typée. Ce mois-ci, je suis allée visiter l’un des doyens de Québec, le restaurant La Tyrolienne.
La première chose qui nous frappe lorsque nous pénétrons est l’odeur alléchante qui y règne. C’est environnées d’effluves irrésistibles que mon invitée et moi nous dirigeons vers notre table.
Sur quelques paliers se répartissent des salles où prennent place des tablées festives de familles et d’amis, ainsi que quelques-unes, plus intimes, d’amoureux. L’ambiance générale est à la fois enjouée, chaleureuse et paisible. Ça augure bien.
« Un bon repas sans fromage… »
Le menu est bien sûr orienté vers les fondues. Outre la classique neuchâteloise (emmenthal, gruyère et vin blanc) ou celle aux quatre fromages (les précédents ingrédients, plus du suisse et de l’oka : l’honneur du Québec est sauf !), on peut se laisser tenter par la version forestière (avec champignons et cognac), ou même par celle au fromage bleu. Si on préfère une formule sans fromage, les fondues bourguignonne, chinoise et asiatique sont de belles solutions.
Pourtant, j’ai un impérieux goût… de fruits de mer. Pour un pays de hautes montagnes (on parle de sommets atteignant 3700 à 3900 mètres) niché au coeur du continent, manger des produits océaniques représente une curieuse contorsion, mais que voulez-vous.
Et c’est au menu, alors on se gâte : ce sera le feuilleté de pétoncles pour moi, le plat de langoustines pour mon invitée. Le Plaft, un pinot gris d’Alsace, s’accordera très bien avec le tout et nous suivra jusqu’à la fin du repas.
Quoi de mieux qu’une entrée partagée pour ouvrir notre miniconvention de Genève ! Les fondues parmesan sont généreuses, avec une salinité propre à rehausser le crémeux appareil sans en étouffer les nuances.
Une salade César et quelques tranches de saumon fumé bien honnête côtoient aussi une demi-poire farcie de crabe. Mes amis de l’est du Québec m’autoriseraient à le qualifier de « vrai bon crabe », car le crustacé n’est pas ici qu’une modeste décoration, il se déploie en bouche avec générosité.
« Ô joyeux Tyrol, quand la gaîté prend son vol… »
La longévité d’un établissement (plus de quatre décennies dans ce cas-ci) m’apparaît être un indicateur des plus pertinents : pour se maintenir aussi longtemps dans le milieu, il faut bien que le resto ait un petit quelque chose qui attire de nouveaux clients et donne aux habitués l’envie d’y revenir. En l’occurrence, plusieurs éléments me frappent.
Outre la savoureuse odeur ambiante déjà évoquée, l’architecture a de quoi créer une belle impression. Construit selon le modèle typique d’un chalet de montagne des Alpes, le lieu évoque irrésistiblement L’auberge du cheval blanc, l’opérette créée par Ralph Benatzky.
Je soupçonne que la déco, avec ses lambris sombres et ses touches colorées, n’a pas été revue depuis longtemps. Mais qu’à cela ne tienne : c’est bien net et la formule est diablement efficace pour créer un cocon décontracté qui sort vraiment de l’ordinaire.
C’est dans cet écrin montagnard que Christine accueille ses langoustines. Une belle assiette où le monticule de riz est surmonté du minibol de beurre à l’ail fondu, les petits crustacés bien grillés étant disposés tout autour. Une part de juliennes de légumes complète l’ensemble.
Dans mon assiette, le feuilleté de pétoncles (ou plutôt un petit vol-au-vent carré flanqué d’énormes et tendres pétoncles) me fait de l’oeil.
La sauce au vin blanc, peut-être un peu liquide, s’avère savoureuse, alors que le riz, sans être transcendant, remplit bien son rôle d’accompagnement. De ce plat, de toute évidence bien maîtrisé, je ne laisserai ni goutte ni miette.
L’écho des collines
Un critère trop souvent négligé, l’environnement sonore est ici remarquable et cohérent avec l’esprit des lieux. Puisque nous sommes le vendredi, un excellent accordéoniste intervient à intervalles réguliers pour égrener quelques pièces bien vives et gaies. On sent toute l’expérience du restaurateur à cet effet, ces intermèdes musicaux étant parfaitement dosés pour offrir une ambiance sonore agréable sans excéder les oreilles. C’est très, très apprécié.
C’est donc au son de l’accordéon que nous concluons cette guillerette excursion alpine par le plus léger des desserts offerts au menu, la crème brûlée aromatisée au café. De ces ramequins recélant le délice à la surface dorée et croustillante surmontée d’un biscuit et de quelques fraises, il ne reste bientôt plus rien.
Ce n’est qu’un au revoir… ah, pardon, auf Wiedersehen !
Les plus. Ce qui se fait de mieux en matière de nourriture-confort, dans une ambiance chaleureuse où ça sent bon, où les oreilles sont gentiment chatouillées par l’accordéon… La longévité de l’établissement est tout à fait légitime.
Les moins. Les accompagnements pourraient être un tantinet plus sophistiqués et la déco « alpine-kitsch » pourrait déplaire aux adeptes de bistros épurés. Mais j’ai vraiment l’impression de chercher des poux pour rien.
Coût du repas pour deux, sans alcool, avant taxes : 90 $.
Coût du repas pour deux incluant alcool, taxes et service : 153 $.
Légendes
★ Je regrette de devoir vous en parler★★ Pas mauvais, mais on n’est pas obligés de s’y précipiter
★★★ Bonne adresse
★★★★ Très bonne adresse
★★★★★ Adresse exceptionnelle pour la cuisine, le service et le décor
$ Le bonheur pour une vingtaine
$$ Une quarantaine par personne
$$$ Un billet rouge par personne
$$$$ Un billet brun par personne
$$$$$ Le bonheur n’a pas de prix