Un trésor précieux sur le cap Diamant

Contrairement à l’Europe, le Québec est une jeune contrée qui compte assez peu de monuments d’envergure. Nos cathédrales et basiliques constituent nos châteaux… à l’exception notable du Château Frontenac. S’érigeant fièrement sur le cap Diamant, sur le site même où s’élevait naguère le château Saint-Louis, il est devenu l’un des fleurons de la ville de Québec.
Ici se sont attablées pratiquement toutes les grandes figures politiques, artistiques et culturelles de passage dans la Vieille Capitale depuis 1892.
Pour un chef, ce legs prestigieux est assorti d’un défi : comment réinventer l’offre gastronomique tout en se montrant digne des hauts standards du lieu ?
C’est la tâche à laquelle s’est attelé Stéphane Modat, qui fêtera bientôt son troisième anniversaire aux commandes des cuisines du Château Frontenac.
J’y ai fait une petite visite afin d’expérimenter pour vous le menu découverte Modat en cinq services, avec accords d’alcools. Ne me remerciez pas, c’est de bon coeur !
Par monts et par vaux
Tant qu’à nous rendre au Château, mon accompagnateur et moi effectuons d’abord un petit arrêt au 1608 Bar à vins et fromages, où nous sirotons quelques cocktails élaborés par le mixologue Jean-Félix. L’esprit festif, nous traversons ensuite au Champlain. Ce lundi soir tranquille sied parfaitement à la découverte.
Attablés dans la verrière, notre serveur nous apporte immédiatement de craquantes ciabattas, une planchette d’ardoise avec beurre frais et fleur de sel, ainsi que de fines mises en bouche, soit de légers « gâteaux » au fromage crémeux accompagnés de virgules de purée de poivron et de pincées de piment d’Espelette. Une manière aérienne de débuter cette prometteuse bombance.
La première entrée est constituée d’un effiloché de crabe, d’une pince de homard et d’une part de nougat d’ail noir, avec gouttes de réduction de corail et de coulis crémeux citronné.
Le Five Vineyard 2014, un pinot blanc Mission Hill de la vallée de l’Okanagan, relève superbement les notes salines et iodées des fruits de mer. Impeccable.
La seconde entrée, du canard farci au foie gras, est servie sur « assiette sale », c’est-à-dire un plat dont la blancheur immaculée est barrée d’un large trait de jus de canard et d’un pointillé de coulis de betteraves.
Le délectable palmipède et la petite part de purée de légumes racines qui l’accompagne sont encerclés de baies d’argousier et de canneberges. Explosion des sens, tant à la vue qu’au goût.
Encore ici, c’est un accord parfait avec le Santa Lucia Highlands millésimé 2013, un pinot noir californien de Mark West qui respecte la saveur affirmée du canard et le moelleux du foie gras.
Notre serveur dépose ensuite devant nous un curieux récipient métallique où figure une cuillerée de « quelque chose » de mauve… et s’empresse de répondre à nos mines perplexes en expliquant qu’il s’agit d’une glace à la gomme savon violette. À cette étape du repas, ce frais et déconcertant entremets apporte une pause bienvenue.
Tablée de châtelains
Les lumières de la rive sud, par-delà le fleuve Saint-Laurent, répondent bien au chatoiement des chandelles qui ornent chacune des tables du Champlain. La soirée est belle.
Nous savourons un Souverain 2013, un cabernet sauvignon de la Californie, tout en abordant le sublime filet de boeuf arrosé de jus de viande et accompagné de purée de carottes et panais, pois chiches, champignons et épinards frits. Ce mélange de textures et de saveurs est parfait.
Heureusement que ce plat principal est servi en « portion découverte » car, comme vous pouvez vous en douter, l’appétit s’est drôlement calmé au fil des plats… et il reste encore deux services !
Nous recevons ensuite une splendide planche de fromages, où de petites parts de Tomme des galets, de Pyramide et de Blackburn sont gracieusement disposées autour d’une arabesque de coulis de petits fruits et flanquées de noix, de fruits séchés, de figues fraîches et de minibrochettes de raisins frais.
C’est rabelaisien, rien de moins. Le Château Patache d’Aux 2010, un grand médoc bordelais signé Jean-Michel Lapalu, apporte une belle charpente à ce service salé-sucré.
Vient finalement le dessert, une finale qui ne peut qu’être singulière. Chacun reçoit une délicate glace au lactaire et sirop d’érable, tandis qu’on place entre nous un intrigant « pot de terre » où est fichée une branche de romarin.
Le serveur nous invite à creuser cette « terre » de chocolat : munis de petites cuillères de bois, nous nous y employons, pour finir par exhumer deux cacahuètes de chocolat blanc !
Pour tempérer la suavité et conclure en beauté, ce sera le Bulle Rosé 2013, un cidre mousseux brut méthode traditionnelle mis au point par La face cachée de la pomme.
En guise d’épilogue à cette immersion gastronomique hors du commun, nous sommes invités à nous rendre en cuisine pour rencontrer le personnel. Mon verdict ?
Le Champlain du Château Frontenac est une expérience qui, à défaut d’être récurrente (on le voudrait bien, mais le budget pourrait s’y refuser), mérite d’être vécue de temps à autre !
Hôtel Fairmont Le Château Frontenac
Restaurant Champlain1, rue des Carrières
Les plus: l’utilisation « à la française » de nombreux produits québécois. Les accords d’alcools sont, bien sûr, impeccablement assortis au splendide menu.
Les moins: il s’agit d’une table que l’on peut hélas trop rarement s’offrir. C’est bien le seul et unique défaut de ce restaurant exceptionnel.
Coût du repas pour deux: 143 $.
Coût total du repas pour deux, incluant alcool et taxes: 313 $.

Ici se sont attablées pratiquement toutes les grandes figures politiques, artistiques et culturelles de passage dans la Vieille Capitale depuis 1892.
Photo: Renaud Philippe Le Devoir