Jatoba: manger chic au centre-ville de Montréal

Le resto Jatoba propose de belles japonaiseries gastronomiques.
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir Le resto Jatoba propose de belles japonaiseries gastronomiques.

De temps en temps, il faut sortir dans des endroits chics. Il faut y aller pour voir les dernières tendances, entendre les brouhahas de l’heure, goûter les plats qui font se pâmer les gens bien et les gens bons.

À la porte de ces endroits chics, il y a un service de voiturier avec une petite pancarte indiquant en grosses lettres, rouges de préférence : « Valet ». Sous la pancarte, il y a un beau jeune homme qui attend et qui n’a pas du tour l’air d’un valet, même que les regards que lui lancent les clientes en arrivant indiquent un statut bien supérieur.

Il y a un décor très, très bien, si bien que vous savez que ça risque de vous coûter un peu plus cher que d’habitude. Il y a une hôtesse très jolie, parfois même plusieurs, toutes plus jolies les unes que les autres, une musique sourde et syncopée ainsi qu’un long comptoir pour que les clients qui préfèrent les comptoirs puissent se sustenter eux aussi.

Jatoba a tout cela, et plus encore. Notamment une cuisine qui donne envie d’aimer tout le reste. Et une terrasse à ne plus jamais vouloir retourner au bureau, mais plutôt à vouloir flâner ici, midi et soir, en suçotant des plats à la mode, légèrement décalés, à peine japonisants.

Il y a aussi, chez Jatoba, un chef et un chef de chef. Le premier s’appelle Olivier Vigneault, le second, Antonio Park. Le chef Vigneault travaille ici, le chef Park travaille dans plein d’endroits à la mode qu’il supervise avec attention.

Festivités à la carte

La carte du Jatoba annonce des festivités teintées d’Extrême-Orient. Vous pourriez commencer par de petits plats divertissants et bon marché : chips de choux de Bruxelles à 7 $ comme en Wallonie, ou fèves de soja à 5 $ comme à Tokyo, poudre de yuzu, nanami togarashi et fleur de sel. La maison a un peu tendance à considérer que ses clients sont au fait de toutes ces choses venues de l’Empire du soleil levant.

Si vous êtes comme moi, vous passerez beaucoup de temps à googler pendant le repas, ne voulant pas nécessairement passer pour un plouc. Le nanami togarashi est un mélange d’épices japonais très marqué par le piment, l’écorce d’orange et le sésame. Je vous aurai au moins épargnés les recherches pour celui-ci.

En dumplings, la version végétarienne proposée par la maison, purée d’aubergine rôtie, shiitaké braisé au soya, edamame et maïs, soya sucré, a tout pour vous convaincre que quelqu’un, ici, travaille très bien en cuisine. À 10 $, on reste encore dans le raisonnable. Comme pour ce « Maïs des îles de Boucherville », grillé au togarashi, beurre d’échalotes vertes et shiso, émulsion de carottes au vinaigre de riz à petit prix, quoique si vous habitez Boucherville, vous trouverez le prix de la chose exagéré.

Le chef prépare le tofu en deux versions, froid ou croustillant. Les deux sont également délicieuses et vous serez surpris de découvrir que du tofu, une chose, avouons-le, assez insignifiante au départ, peut susciter autant d’émotion lorsqu’apprêté avec délicatesse. La version froide vient avec une dynamisante sauce teriyaki au wasabi, un peu de riz soufflé, une pincée de poudre de nori et une surprenante interprétation de pomme de terre douce en tempura. Sa cousine croustillante est sautée au wok et accompagnée d’une purée d’avocat, de tomate raisin et de concombre.

Je ne saurais trop vous conseiller la salade d’algues. Ce mélange de tosaka rouge et verte, de wakame, de wakame goma, souligné d’un émincé de daïkon et d’oignon rouge, de kizami nori et de sauce ponzu, a quelque chose de terriblement vivifiant et a mis Madame B-fille dans une forme olympique.

Madame B-mère avait choisi un tataki de boeuf. Saisi à l’huile de sésame, mini-haricots au vinaigre de cidre, pêche amère à la truffe, quinoa noir soufflé, sauce sonomono, il aurait pu émerveiller. Sans en dire du mal, la cliente n’alla pas jusqu’à en dire du bien. Je goûtai et opinai.

Le poulet biologique grillé au sésame, shishito et échalotes vertes, aubergine chinoise grillée peau croustillante, jus de volaille au soya, pris en plat principal par Madame B-fille, était beaucoup plus enthousiasmant, tendre, parfumé avec retenue, biologique avec fierté.

 

J’ai demandé à la jeune femme qui nous servait de dire au chef de me servir ce qu’il voulait. Avant de vous parler de mes assiettes, un mot sur la jeune femme en question. Au restaurant, être servi par une personne compétente, curieuse, connaissant le menu et les plats proposés par la maison où elle travaille et dotée d’une mémoire très supérieure à la moyenne, est un plaisir supplémentaire. Elle s’appelle Éliane, et je vous souhaite d’être dans sa section.

En entrée, elle m’apporta une assiette de kampachi (vous chercherez) décoré d’un émincé de concombre et daïkon au nori, avocat, jalapeños marinés, chips de pomme de terre ratte, sauce wasabi et sirop d’érable, soya acidulé et huile de chili. Beaucoup de choses dans une même assiette, un peu trop peut-être, mais beaucoup de plaisir à déguster, et ça, il n’y en a jamais trop.

Un lieu de réjouissances

 

En plat principal arrivèrent de gros pétoncles rôtis à l’unilatéral et soulignés d’émincé de fenouil au vinaigre de riz, de pomme de terre douce et de quelques autres éléments, selon moi superflus. Le chef avait ajouté quelques bouchées de foie gras. Je l’en remerciais plus tard.

Sur la très belle terrasse couverte — que les moins jeunes d’entre vous auront connue dans une version plus artisanale à l’époque du restaurant Julien —, le bonheur se répand tranquillement à mesure que la soirée avance. Le brouhaha qui règne à l’intérieur confirme que cette maison est un lieu de réjouissances. Réjouissons-nous.

Jatoba

1184, place Phillips
Montréal
514 871-1184

Ouvert midi et soir du lundi au vendredi et en soirée du lundi au samedi. De la carte des vins, mon distingué collègue Jean Aubry dit : «On passe rapidement sur les champagnes… Où sont les mousseux ? Visiblement, une carte (en rouges) qui donne à penser que la table fait dans le robuste et le costaud car les vins le sont, eux. Pour le reste, carte correcte, mais il manque tout de même de belles bouteilles sous la barre des 50 $.»

Si vous êtes raisonnables, la visite ici peut se passer dans la dignité côté portefeuille. À midi, un billet rouge pour deux, en soirée, un billet brun. Si vous succombez aux charmes innombrables de la maison, votre passage ici vous coûtera « une blinde », comme disent les Français, « un bras et une jambe », comme disent les Anglais. En québécois, dans un tel cas, on ne dit rien, on se montre stoïque et on se souvient.


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