Hà! Pour le plaisir

Le restaurant Hà a pris la suite de Souvenirs d’Indochine, avenue du Mont-Royal, à Montréal.
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir Le restaurant Hà a pris la suite de Souvenirs d’Indochine, avenue du Mont-Royal, à Montréal.

Souvent, je vais au restaurant par devoir. Parfois, c’est par plaisir. Le restaurant Hà figure dans cette dernière très courte liste. Plaisir des papilles, des yeux, des oreilles. Plaisir de voir combien les gens peuvent être heureux en mangeant des choses simples lorsque ces choses-là sont préparées avec soin.

Pour ceux et celles qui ne le sauraient pas, Hà a pris la suite de Souvenirs d’Indochine, avenue du Mont-Royal, en face du parc Jeanne-Mance. Pendant des années, Hong Hà Nguyen a été aux woks de Souvenirs d’Indochine, jusqu’à la fermeture de la maison au milieu de l’année dernière.

Les plus de 30 ans se souviendront de l’avoir vu à d’autres belles adresses montréalaises des années 80 et 90, disparues depuis.

Élégance indochinoise

 

Souvenirs d’Indochine avait cette élégance indochinoise qui fait rêver les Occidentaux. De grandes photos en noir et blanc aux murs, un mobilier presque monastique et de jeunes serveuses terriblement blasées et au service nonchalant.

On y mangeait bien, rien de transcendant, mais les habituelles soupes vietnamiennes, des rouleaux et quelques créations du patron que tout le monde, après quelques visites, finissait par appeler Monsieur Hà. J’aimais beaucoup Monsieur Hà.

Au fil des ans, le chef s’était épuisé dans sa cuisine et l’achalandage avait tari au tempo de l’épuisement. On venait plus par générosité envers le patron que pour l’ambiance. Tout l’été 2014, derrière des murs placardés, on entendit des bruits de scie, de marteau et de bottes de chantier à bouts renforcés. À l’automne, le ballet cessa et apparut Hà.

Déjà, j’avais trouvé très délicat de la part des successeurs de garder ainsi un lien avec l’ancien proprio. Respect. Parce qu’il faut parler des bonnes personnes, les quatre petits nouveaux s’appellent Flore-Anne Ducharme, Nic Urli, Francisco Randez et Ross Louangsignotha, ce dernier, brillant, en charge des cuisines.

Au lendemain de l’ouverture, je passais chez Hà pour goûter. Les prix étaient raisonnables, les assiettes généreuses et tous les petits détails de cuisine auxquels M. Hà accordait tant d’attention étaient intacts.

On retrouvait ce bouillon incomparable qui avait fait la réputation de la maison et quelques plats fétiches.

 

À ma deuxième ou troisième visite, M. Hà sortit de la cuisine, l’air détendu, presque rajeuni. « Ils sont bien, ces petits, tu sais. Vraiment, ils sont très bien. » Je voyais dans ses yeux une espèce de soulagement et de reconnaissance. J’y retournais souvent, seul ou avec quelques ami(e)s, qui, chaque fois, se répandaient en remerciements de leur avoir fait découvrir cette adresse.

Le décor avait changé : plus moderne, plus branché sans l’être exagérément. L’achalandage était revenu à celui des premiers jours de Souvenirs d’Indochine ; beaucoup de jeunes affamés, de joyeuses tablées, cette bonne humeur ambiante qui donne instantanément envie d’être soi-même de bonne humeur. On se presse à nouveau ici.

Nouvelle vie

 

Le chef d’origine laotienne a su insuffler une nouvelle vie à la carte tout en conservant l’esprit et la lettre de l’ancienne cuisine.

Ça donne des plats comme suit, pour les legs : rouleaux impériaux, soupe tonkinoise puis saumon ; pour les nouveautés : ailes de poulet laquées et épicées ou onglet de boeuf grillé, salade de cresson.

Règnent au menu une certaine harmonie et une sérénité reposante qui contrastent avec les débordements d’énergie des aficionados en salle ou sur la terrasse.

Vous pourrez débuter les festivités avec quelques chips de crevette, salsa tomatée, un petit bol de fèves de soja, fines herbes et lime, ou une salade de papaye épicée si savoureuse qu’elle réussit à faire oublier combien la papaye est soporifique.

Vous enchaînerez avec un tataki de boeuf épicé au basilic thaï, quelques côtes levées de porc relevées de citronnelle ou un sauté de légumes vert, sauce au cari. Les assiettes sont soignées, aussi esthétiques que savoureuses.

 

La dernière fois, le menu annonçait du crabe à carapace molle frit au curcuma. Profitant d’un instant d’inattention de mon voisin de table, je lui en piquai une belle bouchée. Tout était là, l’exotisme, les embruns, la volupté.

Monsieur Hà n’est pas décédé subitement le 5 mai dernier, seul son corps exténué nous a quittés. Son âme généreuse est toujours là, grâce à ces jeunes gens.

J’aime beaucoup ces jeunes gens. Vous les aimerez vous aussi, j’en suis sûr.

243, avenue du Mont-Royal Ouest
Montréal 
514 848-0336

Ouvert à midi du lundi au vendredi et en soirée du lundi au dimanche. Les midis pour une vingtaine de dollars, les soirs pour pas mal plus si vous succombez aux charmes multiples de la maison. Pour vous réhydrater, on propose des mini-bières bia hoi (« bière fraîche » en vietnamien, le vocable de survie des voyageurs de Hanoï à Hô-Chi-Minh Ville).

 

Les esthètes de la vendange apprécieront que la carte des vins soit signée par Jessica Harnois, sommelière à l’âme sensible et aux goûts très sûrs.



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