S’épanouir parmi les fleurs

Depuis deux ans, Ariane Desjardins est propriétaire de sa ferme, Fleurs & Fille, dans la municipalité estrienne de Bonsecours.
Marie-France Coallier Le Devoir Depuis deux ans, Ariane Desjardins est propriétaire de sa ferme, Fleurs & Fille, dans la municipalité estrienne de Bonsecours.

Elles poussent partout : sans jeu de mots, les fermes florales se multiplient au Québec depuis près d’une dizaine d’années. Des passionnées — le féminin l’emporte ici — retournent à la terre pour y adopter le rythme des saisons. L’engouement est si fort que certaines fermes maraîchères ont diversifié leurs cultures pour jouer dans cette talle qui porte même un nom : le slow flower.

À travers la province, plus d’une cinquantaine de fermes cultivent la fleur locale. Leur popularité est grandissante, au point que s’organise, pour la première fois cette année, une Semaine des fleurs cultivées au Québec, du 15 au 21 juillet. Une occasion de démocratiser les fleurs d’ici — celles qui poussent au gré des semaines, parfois croches, mais assurément de manière écologique. Et de faire connaître ce métier encore tout nouveau.

« Les gens imaginent des champs pleins de fleurs, mais [la réalité], c’est que dès qu’elles fleurissent, on coupe ! » explique Chloé Roy, propriétaire de Floramama à Frelighsburg, en Estrie, et pionnière québécoise de la fleur coupée locale. « Souvent, on idéalise le métier de floriculteur, mais c’est énormément de travail très répétitif. On cueille pendant quatre, cinq heures par jour. »

Si elle est désormais à la tête d’une entreprise qui produit de grands volumes, Chloé Roy ne perd pas de vue que plusieurs consœurs se lancent dans l’agriculture pour y trouver un équilibre de vie. Un projet accessible qui sait marier vie de famille et épanouissement professionnel. « Ça attire davantage les femmes parce qu’elles se sentent plus légitimes d’être dans un milieu agricole lorsque c’est des fleurs, je pense », soutient la sonorisatrice de formation, qui est devenue maraîchère puis floricultrice « pour la vibe ». « Le monde qui gravite autour de l’agriculture, j’avais envie d’être avec ces gens-là. Pour moi, c’est eux l’avenir. »

Afin de redonner à la communauté qui l’a si bien accueillie, Chloé Roy planche d’ailleurs sur un manuel de floriculture qui répondrait aux questions de celles et ceux qui voudraient tâter le terrain.

Repartir à zéro

À l’instant même où elle a mis les pieds dans une ferme maraîchère de l’Île-du-Prince-Édouard, loin de son ancienne vie de bureau, Ariane Desjardins s’est sentie à sa place. Elle travaillait non seulement avec des personnes dont les valeurs sont semblables aux siennes, mais elle sentait qu’elle pouvait avoir un impact sur la vie des gens.

Puis un saut à la ferme des Quatre-Temps d’Hemmingford, où elle a aidé à lancer la culture de fleurs coupées, scelle le tout. En 2019, à l’aube de ses 30 ans, elle démarre sa ferme, Fleurs & Fille, dans la municipalité estrienne de Bonsecours. Elle lie du même coup son envie des belles choses et sa volonté de prendre le temps de renouer avec la nature.

Cette histoire, c’est un peu aussi celle de Geneviève Robert, propriétaire de Fleurs La Garance, à Portneuf. Le désir de vivre à son propre rythme, et non celui dicté par ses patrons, l’a poussée à quitter son emploi de fonctionnaire pour jouer dans la terre. La mère de quatre filles, dont la dernière n’est âgée que de quatre mois, est ravie de son choix.

« Je regarde le profil des gens [qui se lancent dans la culture de fleurs] : ce sont beaucoup de jeunes femmes, beaucoup de jeunes mères en congé de maternité. On se questionne ; on cherche un meilleur équilibre », relate-t-elle, exprimant du même souffle sa joie de partager ce bonheur avec ses enfants tout en leur inculquant la base des affaires aux marchés publics.

Le goût du beau

 

Une autre chose lie les destins de Chloé, de Geneviève et d’Ariane : l’engouement grandissant pour les fleurs d’ici.

La floriculture est arrivée dans la vie de Chloé Roy alors qu’elle cherchait un créneau peu exploité. Sept ans plus tard, on peut dire qu’elle a eu du flair. « La première année, j’avais 20 abonnés pour des bouquets. Cette année, j’en ai 569, illustre-t-elle. Nos abonnés restent. Des gens voient leurs bouquets [ils constatent] que c’est un produit de qualité exceptionnelle et s’abonnent. »

Les bouquets de fleurs ne sont plus réservés aux occasions spéciales comme avant, on s’en offre maintenant à soi-même pour enjoliver sa demeure et se faire plaisir, observe de son côté Geneviève Robert. « Il y a un courant de slow living, où les gens prennent du temps pour eux. Avec la pandémie, ç’a explosé […], les gens veulent des fleurs locales. » La popularité du jardinage ajoute à la beauté de la chose : « Les gens vont compléter leur bouquet avec des fleurs qu’ils ont [dans leur cour] », illustre-t-elle.

Le prochain défi de la floriculture d’ici ? Gagner l'intérêt de la majorité des fleuristes. « Il y a toute une notion de longueur de tige, de fleur standardisée, explique Geneviève Robert. Mais des fois, nos fleurs sont croches ! »

« Il faut défaire les anciennes façons de faire », croit celle qui note toutefois une ouverture chez les fleuristes, semblable au retour des légumes moches dans certaines épiceries. « Toutes sortes de choses rendent une fleur imparfaite, et moi, je les aime de même ! »

Du slow flower au slow living

Du slow flower au slow living, il n’y a qu’un pas. Depuis deux ans, Ariane Desjardins offre ses fleurs des champs dans différents points de vente entre Bonsecours et Montréal. Depuis peu, elle propose une gamme d’objets pour la maison qui bonifie son offre florale et respecte ses convictions, dont des textiles fabriqués en partenariat avec WomenWeave, un organisme qui vient en aide aux femmes indiennes marginalisées. Tout est fait de façon éthique, en petits lots, souligne-t-elle.

Faire rayonner la floriculture québécoise

En floriculture au Québec, « il n’y a pas de modèle établi, on défriche encore », explique Chloé Roy. La pionnière de la fleur coupée d’ici veut donc faire rayonner le métier, ses tâches et sa réalité.

C’est en tout point la mission de la Semaine des fleurs cultivées au Québec, qui se tient du 15 au 21 juillet. Au menu : ateliers, visites de fermes florales et échanges sur la fleur emblème de cette année, le cosmos.

Pour plus d’informations, visitez la page Facebook de l’événement : bit.ly/36EdD0x


 

Ce texte a été mis à jour après publication.

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