Des nouvelles de Vinexpo

À Vinexpo, près de 30 000 produits attendaient sommeliers, acheteurs, restaurateurs, journalistes, cavistes et tous ceux qui, de près ou de loin, vivent de cette importante industrie. Cette 13e foire internationale du vin, qui se tient tous les deux ans dans la ville de Bordeaux, est très courue par les vignerons et les négociants du monde entier. La taille et la diversité des produits alcoolisés sont telles que nulle autre exposition de vin ne rivalise. Plus de 45 000 visiteurs, venus de partout sur le planète, s'inscrivent à ce marathon de dégustation et de savoir. Vinexpo est devenue si grande qu'après un quart de siècle, il est maintenant impossible d'en faire le tour complet.
Notre visibilité canadienne est limitée dans cet océan de produits. L'icewine canadien y fait très bonne figure depuis ses médailles remportées il y a plus de dix ans lors du très réputé concours de vin de Vinexpo. Les vins de l'Okanagan et de l'Ontario sont très discrets. Et, toujours seul, La Face cachée de la pomme, notre fleuron québécois du cidre de glace sur la scène internationale, en était à sa deuxième participation. Je demeure convaincu que la persévérance de nos cidriculteurs sera payante d'ici une décennie. Il est dommage que les associations de producteurs de cidres et de vins du Québec n'unissent pas leurs forces pour prendre une place sur cette plate-forme commerciale. Ce type d'activité permet aux participants de faire une évaluation de leur qualité, de leur popularité, bref, de leur vraie valeur. Après un séjour dans la cour des grands, les producteurs québécois auraient tout le loisir de comprendre et de corriger leur image de petits joueurs artisanaux. C'est bien beau, faire du vin, mais encore faut-il qu'il soit bon, compétitif ou à tout le moins original.L'ère des vins de plaisir prend un envol impressionnant. Les vins du Nouveau Monde et trop peu de vin français créent le liquide dont la première gorgée fait craquer. La première impression n'a jamais été travaillée à ce point par les oenologues et leurs producteurs. En approchant le nez, le plaisir est garanti dès le premier contact avec ces vins. Le fruit extrême et le bois à tous les degrés habitent ces vins exempts d'amertume. Loin d'être flanqué du nom ou de l'image d'un château, l'habillage moderne attire le consommateur: formes de bouteille peu conventionnelles, typographie assommante et des textes à faire rougir. Les vins s'appellent big red, oak toasty ou tout simplement corsé, velouté, tendre, sensuel.
Vinexpo, c'est aussi l'occasion de tenter de savoir de quel bois se chauffe le dernier millésime, encore en barrique. En rouge comme en blanc, le millésime 2004 nous propose le retour des vins classiques. Après un millésime caniculaire et opulent, le 2004 redonne la vraie saveur, le vrai plaisir des vins bien équilibrés avec l'heureux équilibre technologie-terroir-cépage. En ce qui concerne les blancs moelleux, nous sommes très loin du 2003 et encore plus du 2001. Ces vins liquoreux offrent moins de corps, moins de profondeur. La vente en primeur de ces vins n'a d'ailleurs pas reçu beaucoup d'engouement.
Vinexpo permet de vigoureuses discussions autour du commerce du vin. Venus de partout, les collègues journalistes et spécialistes du vin refont le monde et profitent de l'occasion pour tirer à bout portant sur les responsables de la crise viticole. Bordeaux est actuellement la cible de tous. Seuls responsables de leur malheur après avoir joué au yoyo avec les prix depuis plus de 20 ans, le négoce bordelais et les propriétaires comprennent à quel point il est temps qu'ils cessent de dire que tout va bien. Ça va mal à Bordeaux. La crise de la surproduction de vin, annoncée il y a huit ans, bat son plein. La bonne santé de l'euro casse les prix. La consommation française ne cesse de diminuer. Le commerce en grande surface connaît une baisse de 15 %. La concurrence des vins du Nouveau Monde s'organise de mieux en mieux. Les Bordelais ont commencé à diversifier leur portefeuille et leurs activités viticoles à l'étranger car les charges d'exploitation en France sont d'une lourdeur exemplaire.
Malgré tout, les grands vins, les très grands vins, se portent assez bien. Le groupe LVMH (Louis Vuitton) a tenu à le souligner en invitant chez lui, au château d'Yquem, tous les grands crus classés de 1855 pour célébrer le 150e anniversaire du classement. Cette soirée, à l'image des propriétaires de ces grands vins, rassemblait la gloire, la finesse, la noblesse. Un événement à s'y méprendre avec les plaisirs gourmands des plus belles soirées de la cour de Louis XIV. L'événement affichait royalement à quel point les grands sont là pour rester et montrer le chemin. En moins d'une décennie, le marché spéculatif du vin a sculpté une hausse incroyable de 500 % de la cote des cinq plus grands (Haut-Brion, Margaux, Mouton Rothschild, Lafite-Rothschild et Latour).
Or, en marge de Vinexpo, les Domaine de Chevalier, Château Haut-Bailly et tant d'autres, absents à la foire, s'occupent à leur façon de leur image et de leurs ventes. Tous préparent avec soin des rencontres inoubliables, conviviales, plus ou moins formelles, pour raviver l'amitié et consolider les relations d'affaires entretenues à travers les siècles avec leurs amis amateurs.
Cette année, Vinexpo ouvre la porte du millésime 2005 au vin gourmand, au bouchon dévissable et aux grandes marques de vin, et si Bordeaux doit refaire ses devoirs, il n'en demeure pas moins que la bonne nouvelle, c'est qu'ils ont peut-être enfin compris, avec Pierre Lurton à la tête de Château d'Yquem qui veut vendre son vin au prix que le marché est prêt à payer et non au prix de la réputation du château. «C'est à nous à faire le meilleur vin et à travailler fort à la preuve qu'il est le meilleur. Rebâtir, tout remettre en question et ne pas baser nos prix que sur notre réputation.» Mme May-Éliane, de Lencquesaing, Château Pichon Lalande, ajoute ceci: «Partout dans le monde maintenant, on peut faire du bon vin, du très bon vin. Nous devons travailler plus que jamais à élever du très grand vin. Bordeaux connaît des années difficiles, nous devons le dire et, surtout, nous relever.»
Collaborateur du Devoir