Les noix du Québec, «tout est possible»

Depuis ses premiers pas dans les années 1950, la culture des noix au Québec est en mouvance. Riches d’années de recherche et développement, une vingtaine de pépiniéristes et de vergers se déploient aujourd’hui pour ce produit forestier d’exception. Si l’intérêt pour ces fruits hors du commun est désormais bien présent, c’est la matière première qui se fait encore trop rare.
Les noix de noyers cendrés font partie des souvenirs d’enfance de Monique Dumontier, des fruits ramassés à l’automne aux coquilles cassées une à une au marteau, jusqu’à la garniture du sucre à la crème. Sa curiosité grandissante a nourri le labeur et, 40 ans plus tard, ces mêmes noix sont devenues son gagne-pain.
C’est en 2007 que l’agronome de formation se met à fouiller pour entreprendre la culture de la noix de façon commerciale ; le lopin familial à Berthierville, dans Lanaudière, foisonne de noyers cendrés et aussi de noyers noirs que son père avait plantés en vue d’en vendre le bois, tant prisé. Monique Dumontier y voit le potentiel pour fournir les consommateurs en noix locales et écoresponsables. Une façon de préserver l’écosystème et de valoriser le patrimoine forestier. Ainsi est né Jolies Mi-Noix.
Installé à Ferme-Neuve dans les Hautes-Laurentides, le centre de cassage et de transformation perpétue aussi la passion familiale. Aidée par ses sept sœurs et des amis, Mme Dumontier s’est mise à concocter des produits transformés, dont un nougat, sa propre version du dessert aux noix.
À la même époque, à Saint-Ambroise-de-Kildare, près de Joliette, les frères Alain et Yvan Perreault se lancent dans la culture de noisettes, de noix de noyer noir et un hybride fait de noyer cendré et de noyer cœur. Sur les 35 acres rachetées à leurs parents, leur Jardin des noix donnera cette année quelque 7500 kilos de noix. En 2030, Alain Perreault estime que le rendement en sera de 30 000. « Si on réussit à avoir plus d’arbres productifs, le portrait de la noix au Québec ne sera pas le même dans 20 ans. »
Environ 80 % de sa production est vendue au consommateur directement au verger, une autre partie se rend chez des transformateurs, des restaurants ou est vendue dans des marchés publics. Pour M. Perrault le constat est clair : après y avoir goûté une première fois, l’achat devient récurrent. « La noix de noyer noir a un profil aromatique plus intéressant que la noix de Grenoble, donne-t-il en exemple. Il y a des notes de champignons et de fromage bleu, ça crée la surprise et il faut faire un peu d’éducation, mais quand on fait goûter l’une après l’autre, c’est très rare que les gens préfèrent la noix de Grenoble. »
Potentiel à développer
Bien que la plupart des noix que l’on trouve en épicerie proviennent de la Chine, des États-Unis ou encore de la Turquie, le Canada compte environ 20 espèces de noix indigènes, dont une bonne partie se trouve en Colombie-Britannique, région réputée pour ses noisettes, ou en Nouvelle-Écosse, qui s’est fait connaître pour ses cultivars de pacaniers. S’il est possible de cultiver une douzaine de variétés de fruits à coque dure au Québec, la province a tout pour développer le noyer noir, le noyer cendré et le noisetier ; trois espèces indigènes sur lesquelles il faut s’appuyer, indique Jacques Blais. Et il en sait quelque chose.
Jacques Blais fut le premier producteur de noix dans la province. Dès 1950, il fait pousser ces fruits sur le terrain de la demeure familiale dans Chaudière-Appalaches. Une curiosité qui deviendra son projet de vie pendant plus de 30 ans, avec son entreprise Les Amandes du Québec. Il cumulera autant de tests que d’erreurs — la culture des noix étant très peu documentée —, apprenant sur le tas et notant ses découvertes jusqu’à la réussite. Il y a même créé un type de noisette qui porte son nom.
Les principales noix du Québec
- Noisette
- Noix de noyer noir
- Noix de noyer cendré
- Noyer de coeur
- Noix de Caryer
- Noix de chêne blanc
- Châtaigne
- Faîne du hêtre
- Noix de pin
Aujourd’hui, à l’âge de 84 ans, il réitère que si les gens veulent cultiver des arbres à noix, « tout est possible, mais il faut leur donner du temps », philosophe M. Blais. Un temps qui se compte en une quinzaine, voire en une vingtaine d’années avant de récolter en abondance.
Pour avoir un plein potentiel de production d’amandes — le nom du fruit, peu importe l’espèce —, « il faut tenter de comprendre le sol, la lumière et l’humidité dont les arbres ont besoin. Les cinq premières années sont cruciales ». Il déplore par la même occasion les plantations laissées pour compte au cap Tourmente, près de Québec, et dans la région d’Ottawa, là où il avait été appelé à titre de consultant.
Heureusement, un groupe de passionnés de la Beauce lui a demandé son aide pour démarrer son projet de verger. Ce à quoi M. Blais répond : « C’est bien parce que c’est maintenant que je comprends vraiment ce qu’on doit faire avec la nature ! »
Un projet pour des générations
Alain Perreault voit d’un bon œil les nouveaux projets dans ce secteur agricole. À l’image des truffières qui se multiplient au Québec, il veut encourager les agriculteurs à exploiter une partie de leur terre pour la culture d’arbres à noix. « C’est un projet qui pourrait se faire sur 250 acres et qui ne demande qu’une chose : du temps. C’est plein de potentiel et ça se passe de génération en génération. Nous, on est très ouverts à partager nos informations et notre expertise. Notre intérêt, c’est que l’on soit plusieurs à produire du volume pour rendre les noix abordables. Au début, on se fait qualifier de “fous”, mais ceux qui auront la patience vont récolter pendant 100, 150 ans ! »
Lorsque Jacques Blais s’est retiré de son entreprise, la demande explosait et il n’avait plus l’âge pour y répondre. Il faut investir dans l’innovation pour mécaniser davantage l’étape du cassage et être plus productifs, croit Monique Dumontier.
Entre la cueillette à l’automne et le temps de séchage (entre trois et quatre mois), l’entrepreneure compte continuer à faire connaître ses produits et sans doute titiller l’intérêt de futurs producteurs pour répondre à la demande.
Elle espère aussi conclure des partenariats avec d’autres métiers de bouche, notamment les fromageries pour ouvrir les horizons et séduire les palais. « Je suis optimiste ! Nous sommes très loin de l’autosuffisance, mais chaque personne qui y goûte fait un pas de plus ! »
Une version précédente de ce texte, qui attribuait erronément des citations d'Alain Perreault à Yvan Perreault, a été corrigée.