Vins en épicerie: le grand paradoxe
Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Plaisirs
Même si nous achetons chaque année des millions de bouteilles de vin dans les épiceries et les dépanneurs, beaucoup d’entre nous les considèrent encore comme des choix de second ordre par rapport à ceux offerts dans les SAQ. Comment s’explique cette contradiction ? Pourquoi entretenons-nous des préjugés tenaces par rapport à ces vins, qui ont pourtant beaucoup gagné en qualité, et comment nous en défaire ?
Les vins font partie du décor des détaillants du Québec depuis plus de 40 ans. Au fil des décennies, des marques comme L’Oiseau bleu, la Cuvée Madame, la Cuvée des Patriotes, Charlesbourg, Sillery et Baby Duck, proposées sous forme de bouteilles ou de viniers, ont été très populaires… mais elles ont aussi contribué à l’image négative qu’on s’en est construite, avec des comparaisons souvent peu flatteuses.
Propulsons-nous maintenant en 2023. Selon un sondage Léger mené l’an dernier, 57 % des Québécois achètent du vin dans les épiceries et les dépanneurs, pour des achats totalisant 635 millions de dollars annuellement. Pas mal, pour des produits qui ont encore mauvaise presse. Il faut dire que l’industrie du vin en épicerie a beaucoup évolué. On y trouve à présent des rouges, des blancs, des rosés, des effervescents, des liquoreux. Ils viennent du Vieux Monde, des États-Unis, d’Amérique du Sud, d’Australie. Ils sont aussi, de plus en plus, biologiques et monocépages.
« Ce ne sont plus des piquettes », confirme la sommelière et entrepreneuse Jessica Harnois, qui a depuis sept ans contribué à changer les mentalités avec sa gamme de vins Bù, qui compte aujourd’hui une dizaine de produits courants qui se vendent à plus de trois millions de bouteilles par année. « Il y a du bon et du mauvais partout, bien sûr, ajoute-t-elle, mais je dirais qu’à l’aveugle, entre un vin acheté en épicerie et un vin de la SAQ à moins de 20 dollars, les gens ne font plus la différence. »
Démystifier le négoce
Selon Jessica Harnois, l’idée voulant qu’on attribue moins de valeur aux vins achetés en épicerie qu’à la SAQ tient souvent au fait que les Québécois n’ont pas une connaissance claire de ce qu’est le négoce. Ce dernier repose sur l’achat et l’embouteillage de vins hors de leur lieu de production, plutôt que chez le viticulteur. Dans le cas de Bù comme des autres étiquettes présentées dans nos épiceries et dépanneurs, ces vins transitent jusqu’au Québec dans des conteneurs étanches et sont embouteillés ici même.
« Cela ne leur enlève aucune valeur, bien au contraire », indique la sommelière, qui rappelle que 80 % des vins au monde ne sont pas embouteillés chez les producteurs… et que 36 % des vins vendus au Québec, y compris ceux offerts à la SAQ, suivent ce procédé !
« Il y a en fait plein d’avantages liés au négoce, explique-t-elle. De meilleurs prix à valeur égale pour les clients, beaucoup plus de points de vente (800 SAQ, contre 8500 détaillants à travers le Québec), moins de gaz à effet de serre pour le transport, l’utilisation d’un verre plus léger et recyclable pour l’embouteillage, le sceau de qualité des laboratoires de la SAQ. Pour ma part, un contrôle de A à Z de mes produits, puisque je teste le contenu de chaque conteneur avant son transport et à son arrivée à Montréal. »
Voilà pourquoi Jessica Harnois, qui achetait allègrement du vin dans les épiceries lorsqu’elle habitait à l’étranger — elle a vécu dans 25 pays différents pendant 10 ans —, n’a pas hésité à se lancer dans les épiceries et les dépanneurs du Québec en 2014. « On me disait que ça allait nuire à ma crédibilité et que les gens ne feraient pas de différence entre mes vins et une sangria. Mais j’ai eu confiance dans les Québécois, que je sais curieux, gourmands et informés, et j’ai eu raison ! »
Le pouvoir des associations mentales
Tout comme Jessica Harnois, le directeur du Centre d’études sensorielles de l’Université Concordia, Jordan Lebel, qui a également dans une ancienne vie été diplômé de l’ITHQ et chef pour plusieurs restaurants, estime que la qualité des vins dans les épiceries et dépanneurs du Québec s’est nettement améliorée. Il attribue donc les préjugés qui les touchent à des facteurs mentaux, notamment en raison de leur lieu de vente.
Pour appuyer son argument, il se base sur les travaux de chercheurs : « Herbert L. Meiselman a montré en 2000 qu’en servant le même repas sur un plateau d’une cafétéria universitaire et dans la vaisselle d’un restaurant, la satisfaction des clients allait de médiocre à excellente. Charles Spence a de son côté prouvé qu’un chocolat chaud ne goûtait pas la même chose s’il était servi dans des tasses de couleurs différentes, tout comme du vin dégusté avec en trame de fond de la musique de Mozart ou de Wagner. »
Cette perception, qui fait en sorte qu’un sens en influence un autre, la synesthésie, se traduit selon Jordan Lebel dans notre rapport aux vins en épicerie. Pourquoi ? Parce que les épiceries et les dépanneurs sont vus comme des commerces de proximité, contrairement aux SAQ, qui représentent des destinations. « Le cheminement décisionnel n’est pas le même, explique-t-il. On voit les détaillants comme des endroits routiniers, où l’achat de vin peut être impulsif et le produit consommé dans les deux heures suivantes. Tandis qu’à la SAQ, on prend le temps de regarder et de s’informer, même pour des vins de qualité égale. »
Le spécialiste croit cependant que d’ici cinq ans, et des efforts de promotion similaires à ceux qui ont été réalisés pour les bières de microbrasserie et les cidres, l’idée négative que nous nous faisons encore des vins en épicerie devrait disparaître. « Des personnalités comme Jessica Harnois et Stefano Faita, sympathiques et bien visibles dans les médias, contribuent à démocratiser ces vins. Mais je crois aussi qu’en créant un véritable espace pour eux dans les magasins, avec des tablettes et des planchers plus élégants, un storytelling plus travaillé et, pourquoi pas, des conseillers virtuels dans cet espace, notre perception sera bien différente », parie-t-il.
Quatre suggestions de vins d’épicerie
Le blanc
Le Morgan Hill, dont la production provient de la même région en Nouvelle-Zélande que le Marlborough Kim Crawford, un des vins les plus populaires à la SAQ, est tout à fait recommandable. Vainqueur de deux médailles à des concours, il est fruité et vif, avec des arômes exotiques de pamplemousse, de kiwi et d’ananas soulignés de notes d’herbe coupée. Il se déguste en apéritif et accompagne bien des poissons et des fruits de mer.
Le rouge
Le vignoble La Cantina, situé dans la vallée d’Oka (Basses-Laurentides) propose une gamme de bons vins plaisir (un blanc, un rosé et un rouge) en épicerie. Le vin rouge, constitué d’un assemblage de quatre cépages, a une structure souple et légère, ainsi que des arômes de fruits rouges et d’épices. À table, ce vin se sert avec des pizzas, des grillades, des mets italiens et des plats épicés.
Le rosé
Dans la gamme de vins lancée par Bob le chef, Boute-en-train, le rosé, est un bon choix pour les journées ensoleillées. Son assemblage français composé de grenache (80 %) et de cinsault (20 %) donne un résultat fruité, vif et délicat en bouche. Bruschettas, tartares de poissons et salades d’agrumes s’assortiront bien avec ce rosé.
Les bulles
Festifs et parfaits pour l’apéritif, voici deux produits effervescents d’un excellent rapport qualité-prix. Tout d’abord, le Bulles Rosé Framboise du Coteau Rougemont (Montérégie) est un cidre pétillant aromatisé, à la fois frais et d’une belle rondeur. Soulignons aussi le Bù Chardonnay Mousseux, qui offre une belle acidité, des arômes de fruits à chair blanche et de l’élégance grâce à la touche de vin de glace qui lui est ajoutée.
Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.