La Côte-Nord, à manger fraîche ou en conserve

Vous avez sûrement déjà goûté aux fameux bourgots dans le vinaigre ou dans la saumure. Ces manières traditionnelles de conserver les fruits de mer sont sans doute les plus répandues et ont un agréable goût de nostalgie.
Illustration: Élisabeth Cardin Vous avez sûrement déjà goûté aux fameux bourgots dans le vinaigre ou dans la saumure. Ces manières traditionnelles de conserver les fruits de mer sont sans doute les plus répandues et ont un agréable goût de nostalgie.

La crise écologique est une crise de la déconnexion : on ne préserve que ce qu’on aime. Pour renouer un lien intime avec notre territoire, il faut apprendre à le connaître, à le nommer et à le cuisiner. Quatrième d’une série de cinq textes sur la faune et la flore comestibles du Québec.

Hier, pendant l’excursion de kayak de mer, vous avez vu deux phoques, trois petits rorquals et un groupe de bélugas, dont les dos blancs brillaient au large sous le soleil de fin d’été. Ce matin, votre amoureux vous a initié à la pêche à la mouche, sur la rivière Laval, à Forestville. Vous avez ramené trois truites de mer (attrapées par lui) et un panier de champignons homard (cueillis par vous). Dans le stationnement de la ZEC, une vieille femme vous a questionné sur votre cueillette, et toutes les deux, vous avez commencé à discuter.


 

« Quand j’étais petite, dit-elle, on n’allait presque jamais au marché. Mon père pêchait du saumon dans rivière icitte, pis de la morue dans mer. Il ramenait aussi du bourgot pis des coques. De la perdrix, du lièvre, de l’orignal. Nous autres les enfants, on ramassait des capelans sur la plage, des moules, des clams pis des oursins. Des fois, des airelles vigne d’Ida, des bleuets pis des camarines. Maman s’occupait des légumes, des poules pis des cochons. » La dame, après une courte pause, ajouta en ricanant : « Aujourd’hui, le monde va au Provigo s’acheter des affaires exotiques ! »

En route vers le campement, vous avez réfléchi à ce témoignage. Dans le sous-bois et sur les rochers, tout autour de vous, vous avez identifié des bleuets, du thé du Labrador, du myrique baumier, de l’aulne crispé, de l’airelle vigne d’Ida, du genévrier et de la camarine. Vous saviez, pour l’avoir constaté la veille, qu’il y avait de l’oursin vert à profusion, agrippé aux pierres inondées sur la pointe est du camping. La dame avait raison. Quelque part entre son enfance et aujourd’hui, nous avions collectivement égaré les savoirs alimentaires spécifiques au territoire. Mais sur cette Côte-Nord magnifique et sauvage, les ressources, elles, étaient bel et bien toujours présentes.

Retrouver nos fruits de mer

 

Il est plutôt rare de voir bourgots frais, palourdes, coques, couteaux et concombres de mer, mactres de Stimpson ou oursins verts sur les étalages de nos poissonneries et de nos supermarchés, même dans les régions où ces derniers sont pêchés. En effet, si le Saint-Laurent regorge de ces produits, dont la plupart bénéficient d’une pêche responsable, nous semblons mal les connaître, mal les aimer et drôlement en gérer la distribution.

Selon le plus récent constat, récemment exposé lors d’une conférence offerte par le collectif Manger notre Saint-Laurent (un regroupement de pêcheurs, commerçants et restaurateurs désirant la réappropriation des ressources alimentaires maritime par les Québécois), le Québec exporterait 81 % de ses pêcheries, et 89 % de sa consommation de produits de la mer serait composée d’aliments importés. Des chiffres qui laissent perplexes, surtout dans la réflexion collective actuelle au sujet de l’autonomie alimentaire de la province.

Guillaume Werstink fait partie de ceux et celles qui ont décidé de renverser les statistiques. L’océanographe est cofondateur de l’entreprise de pêcheries Chasse-Marée, basée à Rimouski, née de l’envie de voir les produits du Saint-Laurent réapparaître dans les marchés et les cuisines québécoises. « Je ne comprenais pas pourquoi je n’arrivais pas à trouver les produits de la mer, pêchés en face de chez nous, dans les commerces de la région. Je rêvais de voir des marchés de poissons et de fruits de mer dans tous les villages côtiers, comme c’est le cas dans plusieurs régions du monde. »

Une éducation collaborative

 

Guillaume et son associé, Manu, pêchent et distribuent eux-mêmes bourgots, mactres de Stimpson et coques — entre autres — à leurs clients restaurateurs, s’assurant de la plus grande fraîcheur et de la plus transparente des traçabilités. Les deux entrepreneurs aimeraient voir l’industrie de la pêche se transformer afin que les produits pêchés au Québec restent au Québec. « Un des problèmes, explique-t-il, c’est le manque d’éducation. Les gens ne connaissent pas bien ces aliments et ne sont pas portés à en acheter lorsqu’ils sont disponibles en poissonnerie. »

À qui revient donc la responsabilité d’apprendre à connaître, aimer et cuisiner les fruits du Saint-Laurent marin ? Pour M. Werstink, cette éducation doit être collaborative. « La clé, c’est le travail d’équipe entre consommateurs, commerçants, gouvernement et restaurateurs. La demande est de plus en plus grande, et les gens sont prêts à payer ! Le gouvernement devra investir moins d’efforts dans l’exportation et un peu plus dans la réappropriation des produits de notre territoire. »

Des conserves au goût du jour

 

Vous avez sûrement déjà goûté aux fameux bourgots dans le vinaigre ou dans la saumure. Ces manières traditionnelles de conserver les fruits de mer sont sans doute les plus répandues et ont un agréable goût de nostalgie. Mais la cuisine de ces gastéropodes, dont la chair devient d’une tendreté inouïe lorsqu’elle est apprêtée adéquatement, pourrait bénéficier d’un peu plus d’amour et de créativité.

Chasse-Marée vient de lancer une gamme de conserves dans lesquelles sont préservés les bourgots de manière inventive. Dans l’huile de caméline avec carvi sauvage, en saumure boréale avec thé du Labrador, myrique baumier et armoise ou encore dans une bisque de homard. Des produits gastronomiques entièrement locaux et de grande qualité qui contribuent à leur manière à la valorisation de nos ressources.

Il fut une époque (pas si lointaine) où les familles québécoises s’alimentaient strictement à même les ressources de leur territoire, toute l’année durant. Cette idée peut paraître archaïque pour certains — nous n’avions pas le choix, à l’époque —, mais à la lumière des connaissances socioéconomiques, environnementales et gastronomiques actuelles, nous disposons de tout ce qu’il faut pour que cette manière locale et saisonnière de nous alimenter devienne un projet de société salvateur et savoureux.

S’il est vrai que l’on protège ce qu’on aime et qu’on aime ce qu’on connaît, comme le disait Cousteau, il est grand temps que l’on (ré)apprenne à connaître nos aliments.

La mactre,c’est le pied

La mactre de Stimpson fait partie des mollusques québécois qui sont très populaires sur le marché asiatique et quasi absents chez nos commerçants. Si vous avez la chance de mettre la main sur des mactres entières, vous découvrirez un coquillage extraordinaire, rempli d’une chair tendre, sucrée et délicate. Vous vous demanderez alors pourquoi il n’existe aucun festival de mactre au Québec, comme c’est le cas pour le homard ou le crabe des neiges !

Pour vous donner de l’inspiration, voici une recette à la fois historique et contemporaine, tirée du livre L’érable et la perdrix : L’histoire culinaire du Québec à travers ses aliments.

Haricots blancs,
crème de palourde
et mactres de Stimpson

Ingrédients

Échalote émincée — 1

Noix de beurre

Vin blanc — 100 ml

Palourdes — 10

Crème 35 % — 200 ml

Haricots blancs cuits — 100 ml

Mactres entières cuites (manteau et pied) — 2

Huile de caméline

Fleur de sel

Préparation

Dans une casserole, faire suer l’échalote à feu moyen vif. Déglacer au vin blanc et porter à ébullition avant d’y ajouter les palourdes en coquilles.

Baisser à feu moyen, couvrir et laisser cuire jusqu’à ce que les palourdes s’ouvrent.

Séparer les palourdes du bouillon et les réserver pour qu’elles refroidissent. Conserver les palourdes pour une autre recette.

Dans un petit chaudron, faire réduire le bouillon et ajouter la crème. Cuire à feu moyen vif pendant deux minutes et arrêter le feu. Ajouter les haricots pour les réchauffer dans la crème.

Trancher les pieds de mactre. Placer les haricots à la crème de palourde dans l’assiette de service et y déposer les mactres.

Ajouter quelques gouttes d’huile de caméline et assaisonner de fleur de sel au goût.



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