Les «racines» de Fisun Ercan

Sophie Ginoux
Collaboration spéciale
«En 2018, lorsque j’ai fait un “burnout” sévère, ce qui m’a sauvée, ça a été de mettre les mains dans la terre. J’ai passé un été complet à jardiner», confie la cheffe Fisun Ercan.
Photo: Sylvie Li «En 2018, lorsque j’ai fait un “burnout” sévère, ce qui m’a sauvée, ça a été de mettre les mains dans la terre. J’ai passé un été complet à jardiner», confie la cheffe Fisun Ercan.

Ce texte fait partie du cahier spécial Plaisirs

À quoi attribuons-nous nos souvenirs les plus gourmands, nos plats préférés, nos ingrédients chouchous ? Certains les lient à leur enfance ; d’autres, à des voyages, à une passion pour la cuisine, à des découvertes ou à des rencontres. Pour la cheffe Fisun Ercan, que nous avons découverte à la barre des restaurants montréalais Su et Barbounya, et qui aujourd’hui brille de mille feux à la table champêtre Bika en Montérégie, il y a un peu de tout cela. La conjugaison de ses doubles racines turques et québécoises ainsi que son amour inconditionnel pour la terre et la saisonnalité constituent son moteur créatif, mais dictent aussi son mode de vie et ses valeurs. Dans son nouvel ouvrage Racines, elle nous invite dans sa cuisine, sur ses terres et au cœur de son jardin secret. Entretien avec cette femme d’exception, au talent aussi grand que son idéalisme.

Fisun, pourquoi votre nouveau livre s’intitule-t-il Racines ?

Le titre de ce livre m’a été suggéré par ma fille, qui sait à quel point mon lien à ma terre natale, à ma terre d’adoption et à la terre que je travaille aujourd’hui est important. Lorsque je pense à mon enfance passée dans un petit village près d’Izmir, en Turquie, ce sont des images de beauté, d’abondance et de fraîcheur qui me viennent en tête. Je me souviens d’avoir été dans la cuisine avec ma mère dès l’âge de trois ans. De mon père, aussi, si enthousiaste avec la nourriture. J’ai eu de la chance de grandir au sein de cette famille, avec une alimentation 100 % locale, durable et respectueuse des producteurs. C’est cette enfance privilégiée qui a conduit à ce que je me lance plus tard en cuisine. Ce sont mes racines profondes. Et puis, il y a eu le Québec, où je suis de nouveau née à l’âge de 18 ans. Dans l’immigration, parfois, on cherche à ravoir ce qu’on avait déjà plutôt que de s’enrichir de ce qu’on découvre. Personnellement, je me suis toujours sentie à ma place à Montréal et au Québec. Je me suis enracinée ici. Un constat encore plus frappant depuis que je me suis établie à Saint-Blaise-sur-Richelieu, où mon passé et mon présent, mes doubles racines, se sont joints.

Comment qualifieriez-vous votre cuisine à présent ?

Je pense qu’elle est turque par essence, mais qu’elle est devenue intuitive avec le temps. Maintenant, je me concentre vraiment sur les ingrédients, et non sur les recettes. Je me considère un peu comme un outil entre ces ingrédients et les assiettes que je sers. C’est ce qui explique que je refuse de les dénaturer en utilisant des techniques complexes. Mes menus, je les bâtis avec simplicité et avec ce que m’apporte mon jardin.

Par exemple, si une semaine je récolte beaucoup de courgettes, je crée plusieurs services sur cette base, ce qui me pousse à être créative. Les courgettes en question peuvent donc être poêlées, enfournées, lactofermentées, confites, déshydratées, ou encore transformées en pickles, en ketchup, en sauce ou mises en conserves pour plus tard. Les options ne manquent pas !

J’invite d’ailleurs les lecteurs de Racines à improviser eux aussi à partir de mes recettes, qui ne sont pas calculées sous forme de portions, mais de quantité raisonnable comme on le fait en Turquie. Comme cela, s’il y a par exemple des restes d’un plat de légumes, on peut les cuisiner le lendemain avec des pâtes ou du riz.

Quel rapport entretenez-vous avec votre jardin ?

J’ai toujours aimé jardiner. J’avais un potager sur le toit du Su dès 2011. Et en 2018, lorsque j’ai fait un burnout sévère, ce qui m’a sauvée, ça a été de mettre les mains dans la terre. J’ai passé un été complet à jardiner. Alors, je peux vous dire le bonheur et l’inspiration que j’ai ici, dans mon grand jardin !

Ce sont les plantes qui me guident. Elles ont un instinct de survie tellement fort, et elles ont toutes leur personnalité. Certaines d’entre elles poussent vite, d’autres plus tranquillement. Je grandis avec elles. Je comprends maintenant beaucoup mieux ce que je fais avec elles et où je veux m’en aller. Par exemple, je n’ai jamais aimé jeter de la nourriture, mais maintenant que je fais pousser toutes ces plantes, je me sens encore plus responsable, car je sais le temps que je passe à les cultiver. Et j’ai encore plus de plaisir à les préparer et à les servir. Parce que le goût d’un légume cueilli le même jour, c’est incroyable !

Quelles sont les valeurs qui vous animent ?

Je pense que je suis une idéaliste. Au Su, je m’étais donné la mission de faire connaître aux Québécois la cuisine turque. Avec le Bika, je veux faciliter l’éveil des consciences. Je trouve que beaucoup de gens sont déracinés de leur assiette et de leur terroir. Pourtant, nous avons besoin de nous connecter avec les saisons à travers notre alimentation, encore plus ici en Amérique du Nord où elles sont plus tranchées qu’ailleurs dans le monde. Alors personnellement, en hiver, je me nourris d’ingrédients hivernaux pour me sentir dans ce moment présent.

C’est cela que je souhaite communiquer avec Racines, un livre structuré autour des quatre saisons dans lequel j’identifie des ingrédients et donne des recettes pour les apprêter, comme un petit guide. Mais j’aime aussi l’idée que cet ouvrage sorte de la cuisine et qu’il soit feuilleté sur un canapé, qu’il inspire des personnes à changer de mode de vie ou suscite la réflexion.

Spécialités turques réinventées

Située à la jonction de l’Asie et de l’Europe, la Turquie dispose d’une gastronomie très riche aux composantes régionales étroitement liées aux saisons. On trouve cependant, à travers tout le pays, des spécialités communes que Fisun Ercan a intégrées dans le livre Racines, sous une forme traditionnelle ou réinventée. La chef précise d’ailleurs que, « contrairement à ce qu’on peut imaginer, il n’est pas nécessaire de disposer d’un garde-manger turc pour réaliser ces recettes. Il faut juste acheter quelques ingrédients comme du yaourt nature, des noix et certaines épices ».

Le börek 

Incontournable en Turquie, où on en mange du matin au soir ! Le börek est un petit chausson feuilleté que l’on peut farcir assez librement. La mère de Fisun Ercan en cuisinait avec des verdures fraîches, mais la cheffe propose dans son livre une version aux aubergines, ainsi qu’une autre réconfortante au bœuf « idéale affronter pour les tempêtes de neige ».

Le cilbir 

Popularisés depuis quelque temps, les oeufs à la turque sont souvent cuisinés le midi en Turquie, où le concept de la boîte à lunch est presque inexistant. Constitué d’oeufs pochés, de tomates concassées ainsi que de quelques herbes et épices, c’est un plat rapide à réaliser. La recette de Fisun Ercan dans Racines intègre du yogourt à l’ail et du beurre épicé.

Le baklava 

Considéré comme un trésor national turc, avec des critères de production assez stricts à respecter sur place, le baklava est un dessert raffiné constitué de fines feuilles de pâte beurrées ou huilées, superposées ou enroulées sur elles-mêmes. Fisun Ercan se distancie de la tradition en en proposant une version très personnelle avec des pommes d’automne.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.



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