Les trésors insoupçonnés du fleuve Saint-Laurent

Sophie Ginoux
Collaboration spéciale
«Le fleuve Saint-Laurent regorge d’espèces que nos aïeux pêchaient, mais qui sont tombées dans l’oubli malgré leur potentiel économique et gastronomique», se désole la directrice générale d'Exploramer, Sandra Gauthier.
Photo: Shapelined/Unsplash «Le fleuve Saint-Laurent regorge d’espèces que nos aïeux pêchaient, mais qui sont tombées dans l’oubli malgré leur potentiel économique et gastronomique», se désole la directrice générale d'Exploramer, Sandra Gauthier.

Ce texte fait partie du cahier spécial Plaisirs

Des noms comme le chaboisseau, l’hémitriptère, le buccin ou encore la mactre de Stimpson ne vous disent rien ? Ce sont pourtant des espèces de poissons et de fruits de mer peuplant les eaux du fleuve Saint-Laurent qui méritent d’être connues… et dégustées ! Les 22 et 23 février prochains, le tout premier salon Fourchette bleue se tiendra à Rivière-du-Loup afin de rendre plus accessibles les délicieuses créatures du Saint-Laurent.

Depuis 13 ans, Sandra Gauthier s’active à la direction de l’institution muséale Exploramer, située dans la petite municipalité de Sainte-Anne-des-Monts, en Gaspésie, pour promouvoir et valoriser les ressources marines et halieutiques du Québec. Un combat de longue haleine qui l’a amenée à déceler trois freins majeurs à notre connaissance de ce patrimoine : « Le fleuve Saint-Laurent regorge tout d’abord d’espèces que nos aïeux pêchaient, mais qui sont tombées dans l’oubli malgré leur potentiel économique et gastronomique », commence-t-elle, en citant comme exemples la loquette d’Amérique, qui ressemble à une anguille, ainsi que le chaboisseau, de la même famille que la baudroie.

Il faut aussi savoir que des poissons tels que le grenadier, une sorte de petite sardine, sont pris dans les filets des pêcheurs…et rejetés morts à l’eau par manque de potentiel commercial. Un gaspillage qu’il serait possible d’éviter, tout comme l’exportation de 89 % des couteaux droits, oursins, concombres de mer, mactres de Stimpson, crabes communs et même turbots pêchés sur les côtes québécoises vers l’Asie et les États-Unis.

« Nous ne voyons essentiellement la couleur que de nos homards, crevettes et crabes des neiges, les produits les plus chers du marché, en passant à côté d’autres de grande qualité, pêchés ici dans des conditions optimales, sans additifs et qui seraient plus accessibles, s’insurge Sandra Gauthier. De plus, nous importons des crevettes blanches du Mékong, du bar rayé du Chili, du tilapia et du pangasius aux origines et au goût vraiment douteux. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés ! »

Professionnels engagés

 

Le constat de la directrice d’Exploramer est partagé par de plus en plus de chefs et professionnels du milieu marin, qui souhaitent eux aussi changer la donne. Colombe St-Pierre, Jean Soulard et Stéphane Modat, pour ne nommer qu’eux, se sont déjà exprimés à plusieurs reprises en faveur d’un meilleur accès à nos ressources marines.

C’est aussi le cas de Simon Langlois et d’Olivier Dupuis, propriétaires des Pêcheries Gaspésiennes, une entreprise de transformation spécialisée dans les poissons de fond, le poisson salé séché, la fumaison de plusieurs espèces et, plus récemment, le séchage d’algues. Ils exportent une bonne partie de leur production, mais désirent protéger et, plus encore, développer leurs ventes au Québec.

Photo: Exploramer La majeure partie des oursins pêchés sur les côtes québécoises est exportée vers l’Asie et les États-Unis.

Comme l’indique M. Dupuis, « si la promotion réalisée avec les homards au cours des dernières années a porté ses fruits, pourquoi ne pourrions-nous pas mieux promouvoir auprès des consommateurs notre turbot, ainsi que des espèces plus particulières comme la baudroie et la merluche, qui ressemblent à de la morue ? Ou bien le sébaste, qui selon moi donne le meilleur fish and chips au monde ? On serait fiers de retrouver tous ces produits sur nos tables et les tablettes des magasins. »

« Un changement de paradigme »

Les bonnes volontés des professionnels engagés se retrouvent toutefois face à des problèmes de taille : la méconnaissance des produits marins dans les foyers québécois, bien sûr, mais aussi une traçabilité médiocre des produits dans les magasins et une chaîne de transport défaillante.

Voilà pourquoi la directrice d’Exploramer fonde beaucoup d’espoir dans le salon Fourchette bleue, le tout premier du genre à rassembler à un même endroit des pêcheurs, des transformateurs et des acheteurs des HRI (restaurants, institutions, poissonneries). « Je sais que ce ne sera pas un feu d’artifice immédiat, admet-elle, mais c’est un pas concret de plus vers un changement de paradigme. »

L’événement, qui aura lieu les 22 et 23 février à Rivière-du-Loup, c’est-à-dire avant la tenue du Boston Seafood Show, a l’objectif assumé de faire passer les commandes locales avant les étrangères. Il sera propice à la découverte et aux échanges. « Mais le cœur du salon sera une bourse à huis clos où seront réalisées des négociations », dit l’organisatrice, qui voit cette rencontre comme une prémisse à la réappropriation de nos ressources marines.

Nous sommes capables d’envoyer des milliers de palettes de poissons et de fruits de mer congelés à l’étranger, mais nous n’avons aucun transporteur qui réalise des voyages réguliers entre les côtes et Montréal . Tous les produits sont encore acheminés sur de la glace par autobus. C’est fou, quand même !

 

Des ressources qui vont croître au cours des prochaines années, puisque des espèces comme le sébaste ou le calmar — nous en importons quand même 110 000 tonnes par an — ne seront plus sous moratoire et pourront de nouveau être pêchées sur nos côtes. Sans oublier des réserves très abondantes et durables de produits à base de phoques gris du Groenland, si populeux qu’ils déciment les bancs de morue, ou encore d’algues, un marché en plein essor.

Pouvons-nous alors présumer que nous nous régalerons, dans nos restaurants, cafétérias et foyers de ces nombreux trésors du fleuve dans un horizon de cinq ans ? « C’est ce sur quoi nous travaillons, indiquent les deux transformateurs. Il y a tant de produits qui méritent d’être mis en valeur ici. Et nous sommes prêts à accompagner ce changement. Nous sommes rendus là ! »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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