Qu’est-ce qu’on mange dans l’espace?

Pendant son séjour de 204 jours dans l’espace, l’astronaute David Saint-Jacques a partagé plusieurs vidéos pour expliquer, entre autres, le comportement du corps humain, de l’eau et des aliments en orbite autour de la Terre. Mais quelle est la recette gagnante pour bien manger dans l’espace ?
Mode de préparation
La lyophilisation, bien connue pour la préparation de repas des astronautes (et des adeptes de plein air !), est en fait une méthode de conservation qui consiste à déshydrater les aliments à très basse température. Il s’agit donc de les congeler, puis d’éliminer la glace par sublimation. Ainsi, ils ne contiennent pas une seule goutte d’eau, ce qui allège considérablement le poids et la taille des repas, un critère des plus importants pour le transport des aliments en orbite. Cela facilite également le rangement de ceux-ci à bord de l’appareil. Mais qu’en est-il de la composition de ces repas ?
Dans le cas particulier des astronautes, nous pourrions penser que les besoins en énergie (calories) et en protéines sont plus importants que ceux des êtres humains sur la Terre. Étonnamment, il semblerait que non.
« Nous suivons les recommandations globales de l’Organisation mondiale de la santé pour les adultes en matière d’énergie et de macronutriments [glucides, lipides, protéines] en fonction de leur poids, de leur âge et de leur sexe, explique Natalie Hirsch, spécialiste de l’exercice physique et de la nutrition à l’Agence spatiale canadienne (ASC). Le seul supplément que les astronautes prennent pendant leur séjour dans l’espace est de la vitamine D. »
Toutefois, une des principales raisons pour lesquelles les recommandations nutritionnelles sont les mêmes que pour les adultes sur la Terre est le manque d’études sur les astronautes. Étant donné le faible nombre de personnes ayant séjourné dans l’espace, l’échantillon serait inévitablement trop petit pour permettre de tirer des conclusions probantes.
« L’idée est donc de leur fournir suffisamment d’énergie pour éviter qu’ils perdent du poids pendant leur séjour », ajoute Mme Hirsch. Au-delà des besoins nutritionnels, il faut justement que ces repas aient bon goût pour que les astronautes les mangent avec appétit !
Une question de goût
Dans l’espace comme en avion d’ailleurs, les sens sont altérés, plus particulièrement le goût. « Les saveurs ne sont pas perçues de la même façon, puisque les papilles ne sont pas aussi sensibles que sur la Terre », précise Natalie Hirsch. En effet, puisque l’air est sec, nos papilles ont du mal à distinguer les saveurs correctement et même notre odorat peut être déstabilisé. « Puis, les changements au niveau des liquides corporels, notamment à la tête, pourraient aussi expliquer pourquoi les astronautes ne goûtent pas autant que d’habitude », ajoute-t-elle.

Ce faisant, certaines recettes doivent être adaptées en conséquence pour pallier ces modifications de goût. Selon les ingrédients et la préparation choisis, ces recettes tiennent mieux la route, même en orbite. « Pour cette mission, le risotto aux champignons et le curry de crevettes, par exemple, fonctionnaient très bien, raconte-t-elle. À l’inverse, les tomates sont trop fragiles et tout ce qui contient de la chapelure est à éviter, puisque les miettes de pain risquent de flotter partout dans la navette ! » En plus d’être difficiles à attraper avec une fourchette, elles risquent de s’infiltrer dans les équipements. Il est donc préférable d’opter pour des plats collants et humides plutôt que secs et friables.
Puis, pour éviter que les astronautes aient à manger des recettes ratées, de nombreux tests de goût, en tenant compte des conditions spatiales, sont effectués avant chaque mission.
Dans la cuisine de l’ASC
Étant donné les procédures rigoureuses de la NASA pour l’envoi d’aliments dans l’espace, les repas des astronautes ne sont pas cuisinés dans la cuisine de l’ASC en tant que telle. C’est là qu’on teste les recettes, certes, mais celles-ci seront ensuite préparées par une firme externe approuvée par la NASA. Il en va de même pour les plats des astronautes japonais, européens et américains. Les astronautes russes ont leur propre façon de faire. « Les Russes apportent habituellement plusieurs aliments en conserve, malgré leur poids », raconte Natalie Hirsch.
Dans la plupart des cas, à tout le moins, le but est de créer des plats qui pourront facilement être déshydratés, qui resteront stables à la température ambiante de la navette et qui, surtout, seront agréables au goût pour l’astronaute. Il y a donc un menu préétabli, minutieusement conçu pour la Station spatiale internationale (SSI), bien qu’il soit possible de le pimenter un tout petit peu.
« Chaque astronaute peut personnaliser son menu jusqu’à un certain point, précise Natalie Hirsch. Dans le cas de David Saint-Jacques, il voulait absolument apporter sa recette de chili familial, une recette des plus réconfortantes pour lui. » Ladite recette s’est même retrouvée au menu de la cafétéria de l’ASC.
Les astronautes des différentes missions partagent leurs plats à la SSI, afin de varier et de goûter aux plats des autres. Comme quoi la convivialité à table est un moment tout aussi précieux à quelque 400 kilomètres d’altitude qu’à la maison.
Lors de leur plus récent voyage, l’astronaute américaine Anne McClain et l’astronaute russe Oleg Kononenko accompagnaient David Saint-Jacques. Il en a donc profité pour leur faire goûter, entre autres choses, des biscuits feuilles d’érable, que l’ASC a pris soin de lui faire parvenir au cours de sa mission.
Service de livraison à la SSI
Parce qu’en plus de concevoir, de tester et de préparer des recettes savoureuses, malgré les conditions particulières en orbite, il faut aussi les « livrer » aux astronautes. Pour un long séjour comme celui de David Saint-Jacques et de ses collègues, ils ne peuvent visiblement pas emporter tous les plats de tous leurs repas d’un seul coup.
Ce faisant, un vaisseau cargo spatial, spécialement conçu à cet effet, transportait périodiquement des équipements et des aliments aux astronautes. « Tous les quatre à six semaines pendant la mission de David Saint-Jacques, un tel véhicule leur était envoyé depuis Houston, aux États-Unis », ajoute-t-elle. Une sorte de service de livraison interstellaire !
De retour sur la Terre, les papilles retrouvent leur sensibilité et les fluides corporels regagnent leur emplacement habituel dans le corps des astronautes. Mais le goût de l’espace, lui, ne reste-t-il pas collé à l’infini au palais des astronautes ?