Bières allemandes: «Prost»!

En Allemagne, on ne rigole pas avec la bière, régie là-bas par un décret sur sa pureté — le Reinheitsgebot — datant de l’an 1516. Avec ses dunkel, kölsh, helles, weizen et autres schwarzbier, la tradition brassicole allemande est aussi riche et diversifiée qu’influente. Au Québec, une microbrasserie a choisi d’en découvrir l’essence : Vrooden, inaugurée au printemps 2016 dans la ville de Granby. Le maître brasseur Carol Duplain nous raconte l’histoire de deux de ses créations, sa berliner weisse et sa urbock vieillie en fût de chêne.
Berliner weisse
« Quand j’ai commencé à brasser à la maison, j’ai tout de suite accroché sur les bières allemandes pour une raison particulière : elles ne sont pas simples à faire. À cause de ma formation d’ingénieur, j’aime ça, les choses compliquées ! »
Carol Duplain affirme avoir lu une bonne cinquantaine d’ouvrages sur le sujet. Il dit même avoir traduit des textes de l’allemand au français pour peaufiner sa technique de brassage. « Un exemple de technique propre aux bières allemandes ? La décoction. Cela consiste à soutirer une partie de la pâte d’eau et de grain — la maîche —, à la passer dans une autre cuve pour la bouillir pour enfin la retourner dans la pâte » au moment du brassage. « Cette technique apporte un goût caractéristique aux bières allemandes qu’on ne retrouve pas forcément ailleurs. Ce sont des bières tout en finesse, souvent des bières de soif que les gens là-bas boivent depuis plus de mille ans. »
Le maître brasseur revient d’ailleurs d’un séjour en Allemagne et jure qu’il n’aurait pas été embarrassé de servir là-bas sa berliner weisse (« blanche de Berlin »), qu’il estime fidèle aux méthodes de brassage traditionnelles. Cette bière légère typique des régions du nord du pays répond elle aussi à des lois de fabrication strictes : elle doit contenir au moins 50 % de grains de blé.
« Au goût, il s’agit d’une bière légère, très effervescente, avec une acidité délicate et un bon petit goût de poire et de pomme », détaille le maître brasseur, qui rappelle que Napoléon Bonaparte avait surnommée la bière « le champagne du Nord » en trinquant à sa victoire durant la campagne d’Allemagne en 1809.
Présentant une robe jaunâtre plutôt voilée, la berliner weisse est une bière bien sèche et acidulée à faible taux d’alcool — celle de Vrooden affiche 3,5 %. Duplain utilise conséquemment des houblons aromatiques avec modération, tel que le Hallertauer Mittelfrueh, « parce que l’acidité supporte mal l’amertume des houblons. Ici, toute l’acidité est provoquée par des lactobacilles de souche allemande, pour donner cette acidité sans agressivité ». Et comme le veut la tradition, la refermentation en bouteille prend de six à nuit mois avant qu’elle ne développe son goût.
Urbock vieillie en fût de chêne
Voilà probablement la raison pour laquelle les bières de style allemand sont moins populaires auprès des microbrasseries : d’abord, le processus de fabrication et de maturation de ces bières est parfois plus laborieux, mais surtout, il demande beaucoup plus de temps que les ales à l’anglaise, par exemple. « C’est évident, croit Duplain. De plus, les équipements nécessaires pour fabriquer des bières selon les méthodes allemandes sont plus coûteux. Aussi, les bières allemandes sont souvent des lagers [fermentation basse], qui nécessitent un contrôle de température beaucoup plus poussé. La fermentation et le conditionnement sont généralement deux fois plus longs que pour une ale. »
Quand j’ai commencé à brasser à la maison, j’ai tout de suite accroché sur les bières allemandes pour une raison particulière : elles ne sont pas simples à faire. À cause de ma formation d’ingénieur, j’aime ça, les choses compliquées !
À l’opposé du spectre des lagers allemandes, après la légère berliner weisse, Vrooden brasse une « bock originale », une urbock, bière brune assez foncée généreuse en alcool avec ses 9,5 % affichés (le style tire normalement à près de 8 %), idéale pour affronter le mois de novembre. Ici, c’est moins la technique qui a frappé l’esprit du brasseur que l’histoire qui accompagne la urbock : « C’est encore un style de bière peu brassé dans le monde. Ce qui m’a frappé dans mes lectures, c’est de découvrir que cette bière est originaire d’une ville du nord du pays, Einbeck, un véritable centre de brassage en Allemagne depuis le Moyen Âge. C’est aussi la bière que buvaient les membres de la Ligue hanséatique, qui était une ligue de protection des convois marchands dans une région qui s’étendait jusqu’en Russie. Ainsi, la ville d’Einbeck exportait sa bière dans tous les coins de l’Europe. J’ai voulu créer une bière en hommage à cette ville. »
Cette bière est brassée avec différents types de céréales, du blé et de l’orge principalement. « On a d’abord commencé à brasser une urbock traditionnelle, puis l’an dernier, on s’est dit qu’on allait lui donner un petit kick de plus en la faisant vieillir dans des fûts ayant d’abord contenu pendant cinq ans du rhum qui venait de la Jamaïque », raconte le maître brasseur. « Elle a un bon goût caramélisé, avec des saveurs de figues et de dates. Mais elle est aussi assez amère parce qu’à l’époque, ils ne disposaient pas de bonnes méthodes de conservation, alors ils devaient ajouter beaucoup de houblon pour aseptiser la bière durant le transport. »
Petite question en terminant : que signifie le mot vrooden ? « Vrooden, ça ne veut rien dire, lance Duplain. Quand je travaillais dans le domaine de l’électronique, le propriétaire de l’entreprise était d’origine allemande et commandait beaucoup de composants matériels de là-bas. Le gestionnaire de l’entrepôt faisait des blagues en recevant ces pièces avec des noms trop longs en disant : “Ta commande de vrooden est arrivée.” Puis, on a commencé à se dire vrooden quand on prenait un verre ensemble, comme quand on dit “santé” ou “tchin”. Pour moi, vrooden, ça veut dire prendre un verre entre amis et avoir du plaisir. »