Design brassicole

Le chic du chic pour un organisateur d’événement ou de festival ? Se faire brasser sa propre recette de bière, sur mesure. Appelons cela du design brassicole : la Brasserie Harricana a développé une pale-ale pour le festival MUTEK, alors que la Microbrasserie l’Ours brun a récemment créé une recette inspirée d’un sculpteur pour un centre d’art.
La Gira, Microbrasserie l’Ours brun. Pour la première fois de l’histoire de l’Oktoberfest de Repentigny, c’est un brasseur de la municipalité qui signe sa traditionnelle bière officielle : la Microbrasserie l’Ours brun, inaugurée il y a à peine un an. « On trouvait qu’il manquait de microbrasseries dans le sud de Lanaudière ! » résume le cofondateur et maître brasseur Bruno Rainville.
Cette bière officielle sera donc locale et d’inspiration allemande « parce que c’est une demande des organisateurs du festival que de brasser un style de bière allemand, et une bière désaltérante, une bière de soif, pour s’assurer de toucher un vaste éventail d’amateurs de bières », indique le maître brasseur.
Son choix s’est ainsi arrêté sur une hopfenweisse, une blanche de blé houblonnée. Le secret de la recette ? « Il faut une bonne quantité de blé, une bonne levure à ale allemande et du houblon », Rainville ayant privilégié un mélange de houblons d’origine américaine et néo-zélandaise « pour rappeler un peu le style IPA à l’américaine ». À 6,8 % d’alcool, elle titre (volontairement) un peu plus que le voudrait le style.
Or, le maître brasseur a eu l’occasion de se faire la main cet été avec les recettes sur commande, à l’invitation du Centre d’art Diane-Dufresne, qui accueille l’exposition Créer : l’été des rencontres improbables. Le centre de Repentigny l’a jumelé à l’écrivain, éditeur et sculpteur Alain Stanké. Son oeuvre s’intitule Le roman de glace, « un gros bouquin sculpté dans le bois », mais c’est plutôt l’homme qui a inspiré le brasseur : « Je suis allé aux racines de monsieur Stanké, qui est d’origine lituanienne, explique Rainville. Donc, j’ai fait une bière de seigle typique de la région » que l’on nomme kvass (jusqu’en Russie), et spécifiquement gira en Lituanie.
Je suis allé aux racines d’Alain Stanké, qui est d’origine lituanienne. Donc, j’ai fait une bière de seigle typique de la région, que l’on nomme kvass (jusqu’en Russie), et spécifiquement gira en Lituanie.
Une boisson assez singulière, comme la décrit le maître brasseur : « Au seigle malté, il faut aussi ajouter des croûtons de pain de seigle — j’en ai mis presque 30 kilos. » Le kvass était traditionnellement fermenté naturellement par les levures contenues dans le pain grillé ; le maître brasseur a aussi employé une levure à ale et du houblon allemand Hallertau, « très faible en amertume pour respecter le style. Et selon la tradition, il faut aussi y ajouter des raisins secs ; ça donne une petite bière jaune, très pâle, très minérale, rappelant un peu le vin blanc. Une bière de soif » qui titre seulement 3,2 % d’alcool. Sa gira ainsi que la hopfenweisse de l’Oktoberfest sont servies au salon de dégustation de l’Ours brun et commercialisées en bouteille. « La réponse fut tellement bonne pour ma gira que je compte la brasser à l’année », se réjouit Bruno Rainville, qui a également reçu les félicitations d’Alain Stanké.

La 18, Brasserie Harricana. Le réputé festival de musique électronique et d’art numérique MUTEK célébrait son 18e anniversaire l’an dernier. Pour l’occasion, ils ont commandé à la Brasserie Harricana, sise rue Jean-Talon à Montréal, une bière signature qui fut brassée à nouveau cette année pour la 19e édition, et distribuée chez les détaillants spécialisés.
« Les festivals de bière, on les aime, on y participe, c’est l’occasion de rencontrer nos clients… mais c’est un peu toujours le même monde, une clientèle déjà conquise par le monde brassicole », estime Francis Richer, brasseur en chef chez Harricana. « Tandis qu’un festival comme MUTEK, où les gens vont pour la musique tout en prenant un verre, c’est autre chose. Ce qu’on fait grâce à cette association, c’est leur mettre un produit artisanal dans les mains, alors qu’ils ne sont peut-être pas familiers avec l’univers des microbrasseries. Ça nous ouvre à un nouveau marché. »
Francis Richer a même pris le soin d’accueillir l’organisation du festival pour leur faire déguster certaines recettes et cerner la bonne bière pour l’événement. « À la base, on s’est entendus sur une bière accessible, mais avec un certain caractère qui représentait bien notre brasserie, parce que le public de MUTEK n’est pas forcément initié. »
La 18 est une délicieuse et rafraîchissante pale-ale à 5,3 % d’alcool, « un style de bière assez traditionnel, même pas une “superaméricaine” [très amère ou très juteuse] dans le genre ou brassée avec des houblons capotés, insiste Richer. Une bière assez simple, avec une amertume modérée, qui goûte clairement le malt, le houblon », du Cascade 100 % québécois tout indiqué pour une pale-ale grâce à ses arômes d’agrumes. « Une bière que tout le monde peut apprécier, mais qui satisfera aussi un beer geek, un initié. » Un succès — la bière reviendra encore l’an prochain, pour le 20e anniversaire du festival montréalais.