Le terroir canadien en trois portraits

Le 23 avril dernier à Toronto avait lieu la 12e édition du symposium Terroir, une journée de conférences, de tables rondes et d’ateliers à propos de la scène culinaire canadienne sous toutes ses formes. Voici quelques portraits d’acteurs alimentaires inspirants d’un bout à l’autre du pays.
Christa Bruneau, Winnipeg
Née de parents métis, Christa Bruneau a grandi dans la pauvreté, au sein d’une famille ayant fréquenté les pensionnats et dans un environnement déraciné de ses origines et de ses traditions. Après avoir tenu une garderie pendant 11 ans, où la saine alimentation était au coeur de tous les repas, elle a ouvert Feast Café Bistro il y a deux ans. Ce restaurant se veut inclusif, tant du côté de son équipe que de celui de sa clientèle.
En effet, la plupart des employés sont victimes de barrières à l’emploi, comme des jeunes venant de familles d’accueil, des personnes âgées ou souffrant de maladie mentale. « Ce sont des gens qui n’ont souvent jamais travaillé, puisqu’on ne leur a jamais donné la possibilité de le faire, raconte Christa Bruneau. Je passe 50 heures avec chacun d’eux pour leur apprendre leur travail, bâtir leur confiance, leur témoigner mon amour. Au final, cela fait en sorte que mes employés sont fiables, travailleurs et très reconnaissants. »
Au-delà de l’aspect inclusif, son restaurant est aussi une occasion de se reconnecter à ses racines, et à celles de tant d’autochtones de Winnipeg qui n’ont jamais l’occasion de manger les aliments de leurs ancêtres.
Au menu, il y a notamment plusieurs plats faits à partir des trois soeurs : maïs, courges, haricots. Le bison remplace le boeuf et le brochet est le poisson à l’honneur. « Je veux que notre menu soit nourrissant pour le corps, l’âme et l’esprit, ajoute Christa Bruneau. Quand tu es dans un environnement qui promeut ta propre culture, cela te réconcilie avec tes origines, ton passé, et avec qui tu es. Les autochtones se sentent donc à l’aise de venir au café. De toute façon, tout le monde est le bienvenu chez nous, même les sans-abri. Je les traite comme n’importe quel autre client.
« D’abord, les autres clients ont l’air surpris. Puis, on discute normalement, on partage un repas et les épaules des clients se détendent. Ça fait tomber les idées reçues. »
Hana Nelson, Halifax

Dans l’univers de la pêche, l’aquaculture ne fait pas toujours bonne figure. Pour Hana Nelson, fondatrice d’Afishionado, il est toutefois possible de bien faire les choses, et ce, de façon durable. Au Canada, les produits de la pêche sont la principale denrée destinée aux exportations, selon Pêches et Océan Canada.
« En Nouvelle-Écosse seulement, on [en] exporte pour l’équivalent de 1,8 milliard de dollars par année, dit Hana Nelson. Il y a quatre ans, je voulais changer cela, en commençant par offrir des poissons d’ici aux restaurateurs. Au pays, 50 % des poissons et fruits de mer que nous mangeons proviennent de l’aquaculture. Et il y a des entreprises qui favorisent les bonnes pratiques. Nous faisons partie de celles-là. Pour nous démarquer, nous misons d’abord et avant tout sur la transparence en ce qui a trait à nos méthodes d’élevage. Il faut que nos clients sachent d’où proviennent leurs poissons et comment ils ont été élevés. »
En effet, il n’est pas toujours facile de suivre la trace du chemin parcouru par nos aliments avant qu’ils se retrouvent dans notre assiette. Faute de traçabilité optimale, il n’est pas rare que les poissons ne soient pas étiquetés correctement à l’épicerie. De plus, les risques de contamination entre les poissons sauvages et d’élevage sont grands lorsque les méthodes d’aquaculture ne sont pas optimales.
« Pour nous, la pêche du futur réside dans l’aquaculture durable. C’est d’ailleurs nettement plus abordable que de se lancer dans la pêche commerciale, ajoute Hana Nelson. Grâce au logo “Sustainable Blue” [un réseau pratiquant l’aquaculture durable], le consommateur est assuré que les poissons et fruits de mer sont notamment élevés dans des conditions qui imitent son habitat naturel, que leur élevage ne risque pas de nuire aux espèces sauvages et que cela contribue à freiner la déplétion des stocks de poissons et fruits de mer dans les océans. »
Pour nous, la pêche du futur réside dans l’aquaculture durable. C’est d’ailleurs nettement plus abordable que de se lancer dans la pêche commerciale.
Diane Hodgins, île de Fogo
Sur l’île de Fogo, à Terre-Neuve, il y a un superbe hôtel-boutique dont tout le monde a parlé. Son architecture dessinée par la firme norvégienne Saunders Architecture fait rêver tous les adeptes d’Instagram. Mais au-delà de l’hébergement, il y a tout un mouvement social qui contribue à l’essor de tous les habitants de l’île, environ 2250 personnes. En bref, 15 % des profits générés par l’hôtel, la boutique et la poissonnerie sont remis à Shorefast Foundation, un organisme sans but lucratif qui soutient les entreprises sociales qui veillent à la santé économique et à la résilience culturelle de la communauté. « En tant que comptable, je ne crois pas que le réel succès d’une entreprise se résume à la bonne utilisation des outils de gestion, explique Diane Hodgins, directrice des finances de la Shorefast Foundation. Le côté artistique est tout aussi important, puisqu’il nous apporte une perspective différente. Si vous vous en tenez seulement aux aspects commercial et technologique, vous passerez à côté de la raison d’être de votre entreprise. »
Afin de rendre ce modèle d’entreprise réaliste, le Fogo Island Inn mise sur la transparence et un prix juste et détaillé, à la façon d’un tableau indiquant la valeur nutritive d’un produit. Ainsi, il est possible de savoir exactement où va le montant perçu pour la location d’une chambre à l’hôtel. On sait par exemple que 49 % vont à la main-d’oeuvre et 16 %, à l’administration et aux frais d’exploitation. « Nous croyons que le vrai pouvoir est dans la microéconomie, puisque c’est de cette façon que nous savons exactement où vont nos profits, et surtout nos investissements sociaux », conclut-elle.