L'Envers de l'assiette - «Acheter, c'est voter»

«Je crois qu'on est encore au début d'une transformation qui sera plus profonde au cours des prochaines années, notamment à cause de l'augmentation des prix du pétrole, qui va nécessairement affecter notre système agroalimentaire», prophétise Laure Waridel.
Photo: Hugo Latulippe - Écosociété «Je crois qu'on est encore au début d'une transformation qui sera plus profonde au cours des prochaines années, notamment à cause de l'augmentation des prix du pétrole, qui va nécessairement affecter notre système agroalimentaire», prophétise Laure Waridel.

Laure Waridel retourne inspecter L'Envers de l'assiette. À la lumière de récentes recherches, cette nouvelle édition décortique et critique une fois de plus tous les processus qui amènent la nourriture jusque dans nos plats. Entretien avec cette promotrice de la consommation responsable à l'engagement contagieux.

Depuis la publication en 2003 de L'Envers de l'assiette, l'univers de l'alimentation, de l'agriculture et de la consommation a évolué. «C'est pratiquement un nouveau livre, en fait, parce que je l'ai réécrit en grande partie», explique Laure Waridel, à propos de la réédition de son essai, qui sera disponible dans les librairies à partir du 15 mars prochain. En effet, une rapide lecture permet de constater que cet ouvrage, largement documenté, renvoie aux plus récentes études, statistiques, politiques et découvertes.

Toujours dans une perspective nouant le local et le global, le livre ne laisse aucune miette de côté. Toutes les dérives y sont disséquées: le suremballage des produits finis, la pollution par le transport d'une production mondialisée, l'érosion de la biodiversité occasionnée par la monoculture et l'utilisation d'OGM, ainsi que les cancers, troubles d'apprentissage et autres dérèglements du système endocrinien engendrés par les pesticides ou les antibiotiques agricoles. Une mise à jour à l'aune des émeutes de la faim qui ont secoué les pays pauvres et, plus près de nous, des espoirs découlant du rapport Pronovost, qui s'est penché sur l'avenir de l'agriculture et de l'agroalimentaire en 2008.

«Je pense que certaines choses se sont améliorées, notamment au niveau de la prise de conscience collective des impacts de nos choix de consommation», se réjouit la figure de proue de la consommation responsable. L'époque où on se fermait volontairement les yeux sur une étiquette avant d'avaler une bouchée semble sur le point d'être révolue. «On le voit très concrètement dans nos épiceries, par les étalages sur lesquels se retrouvent de plus en plus de produits certifiés équitables, biologiques ou du terroir. On constate aussi la multiplication des marchés publics un peu partout au Québec», prend-elle pour exemple.

N'empêche, son constat s'assombrit lorsqu'elle aborde les impacts globaux de l'industrie agroalimentaire sur la planète. « À ce niveau-là, ça s'est détérioré», s'alarme-t-elle, insistant, entre autres, sur de nouvelles études qui ont démontré que de 40 à 50 % de la nourriture, aux États-Unis, était gaspillée entre le champ et l'assiette. «Au cours des dix dernières années, toute la question de la mondialisation des marchés s'est intensifiée, même si, en parallèle, il y a de plus en plus d'initiatives qui ont été construites, qui contribuent à faire croître les solutions de rechange.» D'ailleurs, selon le MAPAQ, la proportion des aliments consommés au Québec provenant du Québec serait passée de 78 % à 33 % au cours des 25 dernières années.

Quand on se compare... on se désole

Bien que l'agriculture biologique s'impose de plus en plus comme une option crédible, au Québec, les «annonces sont encore bien timides par rapport à ce qui se fait en Europe», constate Laure Waridel, depuis la Suisse, où elle réside pendant un an.

Lors de l'entretien téléphonique accordé au Devoir, elle témoigne d'un élevage helvète qui interdit de cloisonner complètement les animaux à l'intérieur. Des politiques d'«écoconditionnalité» qui subventionnent davantage les fermes familiales écologiques que les grandes industries polluantes y sont aussi mises en branle. Dans l'Union européenne, la superficie consacrée à l'agriculture biologique a augmenté de 21 % entre 2005 et 2008. Au Québec, moins de 1 % des superficies agricoles sont gérées avec cette logique de production.

«Malgré les coupes importantes dans l'industrie porcine, on continue à soutenir cette industrie beaucoup plus qu'on soutient le bio», s'indigne l'écosociologue. À son avis, du travail demeure à accomplir dans la production, la transformation mais aussi la distribution, «extrêmement concentrée au Québec, [tandis qu'en Suisse], partout dans les épiceries, on voit de grands signes qui mettent en valeur les produits biologiques locaux. Et l'écart de prix entre le bio et le traditionnel est beaucoup moindre qu'au Québec, parce que c'est ce type d'agriculture qu'on choisit d'encourager.»

Retour à la « base »

À ceux qui reprochent aux produits biologiques d'être encore trop coûteux, Laure Waridel précise que ce sont «les produits très transformés» qui sont surtout dispendieux. «Il y a un travail très important, pour tout le monde, de réapprendre à cuisiner avec des aliments de base», souligne-t-elle, se désolant au passage de l'abolition des cours d'économie familiale.

Question d'éducation, L'Envers de l'assiette prend bien soin de nous démêler au sujet des étiquettes qui prolifèrent sur nos étalages. «Je pense, effectivement, qu'il y a un travail qui est à faire pour un meilleur étiquetage.» Elle évoque les certifications «Fait au Canada» et «Produit du Canada», dont la différence porte encore à confusion. Même transparence nécessaire en ce qui concerne les produits utilisés pour les récoltes, qui mériteraient, selon elle, d'être indiqués au même titre que les ingrédients sur les produits transformés. «Pour ce qui est des fruits et des légumes frais, juste si [on inscrivait] les pesticides et les engrais utilisés, je suis convaincue qu'il y a bien des gens qui avaleraient leur salive deux fois avant d'acheter des produits qui ont l'air magnifiques, tout cirés, tout brillants.»

Acheter a-t-il le poids d'un vote ?

La consommation responsable demeure le principal cheval de bataille de Laure Waridel. Des conseils pratiques d'action et de consommation bouclent d'ailleurs chaque chapitre du livre. Mais, dès l'introduction, l'auteure reconnaît «que les solutions de rechange ne sont pas toujours faciles à conjuguer entre elles». En entrevue, elle ajoute que «ce n'est pas une religion. C'est un peu comme un livre avec toutes sortes d'ingrédients pour une recette et chacun adapte en fonction de ce qui lui convient en étant conscientisé.»

Sans nécessairement constituer une panacée, nos choix à l'épicerie enverraient, selon elle, un message clair. «Je crois toujours qu'acheter, c'est voter, mais je ne crois pas que voter, c'est seulement acheter. C'est un geste de plus qu'on peut poser. Il ne faut pas juste un David pour combattre Goliath. Il en faut plusieurs. Il faut que des actions diverses soient entreprises.»

La cofondatrice d'Équiterre ne camoufle pas ses espoirs de voir cette nouvelle édition se retrouver entre les mains des dirigeants ou des professeurs et créer un effet boule de neige. «Ultimement, mon souhait — et je pense que c'est en train de se passer — c'est que ces choix individuels deviennent aussi des choix collectifs; qu'il y ait des cafétérias dans nos écoles et nos grands établissements qui choisissent ces produits plutôt que d'autres et que les agriculteurs transforment leurs pratiques.»

La militante entrevoit des bouleversements à ce sujet dans un avenir rapproché. «Je crois qu'on est encore au début d'une transformation qui sera plus profonde au cours des prochaines années, notamment à cause de l'augmentation des prix du pétrole, qui va nécessairement affecter notre système agroalimentaire», prophétise Laure Waridel, qui revient mettre son grain de sel dans le débat à un moment opportun.

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