Un p'tit dessert... mais pas d'entrée
Tarte au sucre, aux pacanes, aux pommes, aux bleuets, croustillant aux pommes, sucre à la crème, crêpes... Plusieurs desserts pourraient facilement revendiquer le statut de dessert national. Mais un seul semble avoir fait l'unanimité chez les lecteurs et les experts consultés: le pouding chômeur.
«C'est une invention québécoise qui, comme le pâté chinois, est née dans la nécessité, dit l'historienne Hélène-Andrée Bizier. Et aujourd'hui, tout le monde en mange encore», partout au Québec, chez eux et au restaurant... sans trop savoir toutefois d'où vient cette création culinaire «d'une grande modestie», qui «exprime sa base populaire» dans son appellation, ajoute le sociologue de l'alimentation Jean-Pierre Lemasson.Selon la légende, ce dessert aurait vu le jour au cours de la crise économique des années 30. À l'époque, Georgette Falardeau, femme de Camilien Houde, maire de Montréal, aurait imaginé cette gâterie afin de permettre aux femmes d'ouvriers de réconforter, avec une bonne dose de cassonade, leur mari touché par les mises à pied. D'où son nom: pouding chômeur, ou pouding au chômeur, selon l'humeur.
Composé d'ingrédients bon marché (farine, graisse, lait et cassonade), le plat aurait alors connu une popularité fulgurante dans les quartiers populaires de la métropole avant de se répandre, avec du sirop d'érable quand les beaux jours seraient alors revenus, sur l'ensemble du territoire et dans toutes les strates de la société.
Autre hypothèse: ce fameux pouding, désormais national, puiserait ses origines dans les «cachettes» aux petits fruits, un dessert populaire au temps de la Nouvelle-France. D'expression simple, ce mets se résume en effet à des fraises, des framboises et/ou des bleuets dissimulés sous une sorte de gâteau blanc sans prétention dont la base est effectivement celle du pouding chômeur.
«Or, en hiver, quand ces petits fruits venaient à manquer, raconte la chef Anne Desjardins, les familles continuaient à cuisiner ce dessert mais remplaçaient ces fruits par de la cassonade [moins chère que le sucre et aussi efficace]»... et ensuite par du sirop d'érable, qui vient désormais inscrire le Québec, principal producteur de sirop d'érable au monde — et de loin —, dans l'ADN de ce dessert.
Un Québec sans entrée nationale
Plat de résistance, dessert, mais pas d'entrée. La quête de cette introduction culinaire aura finalement été vaine. En effet, dans le peu de suggestions reçues — soupe aux légumes, crème de tomates et soupe aux pois —, aucune n'a réussi à remplir toutes les conditions permettant d'accéder au rang de mets national. Y compris la très traditionnelle et incontournable soupe aux pois, pourtant citée par une majorité de lecteurs, mais aussi par les experts consultés.
Associé aux coureurs des bois du début de la colonie, qui, parce qu'ils se promenaient toujours avec des pois et du lard fumé pour s'alimenter, se sont valus le doux surnom de «French Canadian Pea Soup», ce plat manque cruellement de résonance dans le quotidien des gens aujourd'hui. Sa présence sur la carte des restaurants — populaires ou gastronomiques — tout comme sur la table des ménages est également discutable.
«On ne sent pas qu'elle est porteuse de fierté, dit M. Lemasson. On pourrait faire son apologie pour que cela change. Mais cela reste à faire... »