Quand les joueuses s’invitent à la table

Tristan Roulot
Collaboration spéciale
Avant la pandémie, le Randolph pouvait compter sur 50% de joueuses dans ses établissements tous les soirs.
Photo: Randolph Avant la pandémie, le Randolph pouvait compter sur 50% de joueuses dans ses établissements tous les soirs.

Ce texte fait partie du cahier spécial Journée internationale des femmes

Parmi les heureuses industries au Québec qui non seulement ont échappé aux répercussions de la pandémie, mais en sortent encore renforcées, on compte le jeu de société. Retour sur un succès qui doit tout aux femmes.

Le jeu de société, tout comme le jeu vidéo ou la bande dessinée, était, il y a encore quinze ans, un loisir essentiellement masculin : les filles s’y intéressaient quand elles étaient enfants, puis passaient à autre chose. À l’inverse, un certain type de garçons à lunettes, affublés de la méprisante étiquette de nerd avant qu’ils ne dominent le monde, se les réappropriaient, montaient des clubs et passaient leurs fins de semaine dans des univers fantastiques, à régler joyeusement leurs comptes à coups de pions en carton, de figurines et de dés. Et puis est arrivé L’Osti d’jeu.

Le fondateur de L’Entre-jeux, Olivier Ménard, possède cinq boutiques de jeux et de jouets entre Mascouche, Trois-Rivières et Shawinigan. Il se souvient de la vague créée par ceparty game irrévérencieux : « Au Québec, on a toujours été une population de joueurs. Mais L’Osti de jeu a été une sorte de catalyseur au cégep. Ça a fait jouer énormément de jeunes filles, qui se sont rendu compte que le jeu de société pouvait être simple et incroyablement fun. » Les habitudes ont-elles changé depuis ? « Il y a encore des types de jeux plutôt masculins : les jeux de figurines, les wargames, la science-fiction, mais ça évolue. Les éditeurs ont compris qu’ils avaient tout à gagner en nichant moins leurs jeux. » Pourquoi en effet se couper de 51 % de la population mondiale ?

50 % de joueuses tous les soirs

Exemple patent : les boîtes de jeu s’illustrent davantage de personnages féminins, ou encore intègrent le mot « joueuse » dans leur livret de règles. Même l’univers médiéval fantastique se plaît à renvoyer aux vestiaires la sempiternelle guerrière en string cottede mailles des années 1980. Certains, comme le jeu d’aventures Andor, proposent des plateaux réversibles pour chacun des quatre personnages qu’on peut incarner : une face est masculine, l’autre féminine. Idéal pour l’immersion. D’autres jeux sont encore plus radicaux, comme le jeu One Deck Dungeon qui offre un casting 100 % féminin.

« Au minimum, quand on amène ce jeu à une table, ça ouvre la conversation », dit en souriant Maxime Pontbriand, coordonnateur des pubs ludiques Randolph, où l’on peut boire un verre en gang tout en dégustant un bon jeu. Il remarque également la volonté des éditeurs et des auteurs de proposer des jeux à l’univers plus neutre, c’est-à-dire sans idée ou connotation préconçue, afin d’éviter aux femmes de penser que ce n’est pas pour elles, et de provoquer un rejet.

Très vite, les femmes ont trouvé leur place autour de la table de jeu. Le Randolph a pu, dès l’ouverture de son premier établissement en 2012, compter sur 50 % de joueuses tous les soirs, une tendance qui s’est confirmée depuis dans tous leurs nouveaux établissements. « Elles viennent en gang de filles, en groupe mixte, ou tout simplement en couple », note M. Pontbriand, soulignant que cette dernière catégorie constitue un tiers de leur clientèle, dont beaucoup de première date. « Après une soirée à jouer ensemble, on sait exactement à quel genre de personne on a affaire », dit-il, amusé.

Ce que confirme Olivier Ménard : « Avant, c’était essentiellement une activité entre copains et parfois familiale, qu’on se réservait pour le temps des Fêtes. Aujourd’hui, c’est devenu une activité de couple, ce qui mécaniquement tend à un équilibre entre les sexes. Les jeux à deux ont explosé. »

Une place de choix

 

France Régimbal a elle aussi vu la révolution. À la tête du distributeur Ilo 307, qui importe plusieurs grands succès du jeu de société au Québec, elle confie avoir doublé son chiffre d’affaires entre 2019 et 2020. Si 2019 avait été marquée par l’explosion des jeux coopératifs, l’année 2020 se sera définie par le succès des jeux qui peuvent se pratiquer, COVID-19 oblige, en duo, à la maison. L’excellent 7 Wonders Duel, qui voit chaque rival développer sa civilisation antique en trente minutes chrono, s’est vendu à 22 000 exemplaires, rien qu’au Québec, soit deux fois plus que sa version multijoueur.

Selon Mme Régimbal, on a souvent l’impression que les femmes ne s’intéressent pas aux gros jeux, mais ça a beaucoup changé. « Avant, on jouait aux Aventuriers du rail. Aujourd’hui, ce sont des Wingspan ou Abyss, qui prennent le relais. Il y a dix ans, on aurait vu ces derniers dans la catégorie des gros jeux. »

S’il était resté réservé à des groupes de gars dans l’incapacité de se réunir physiquement en période de confinement, nul doute que le jeu de société dans son ensemble aurait souffert de la pandémie. C’est cette évolution en direction des femmes qui lui a permis de trouver une place de choix dans nos vies, en s’adressant à tous les âges et à tous les publics. Ainsi, si la parité a encore du chemin à faire dans les assemblées politiques ou à la tête des entreprises, elle semble bel et bien accomplie autour de la grande table du salon.


 

Une version précédente de ce texte, qui attribuait erronément les propos de Maxime Pontbriand à Maxime Allain, tous deux impliqués au sein des pubs ludiques Randolph, a été modifiée.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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