Les limites du surhomme

Comment font-ils ? C’est souvent la question qu’on se pose lorsque des athlètes prennent part à des épreuves sportives quasi surhumaines. Rien ne semble les arrêter. Pourtant, il y a bel et bien une limite à ce que le corps humain peut endurer. Et ce frein passerait par… l’estomac !
Ironman, ultra-trail de 160 kilomètres. Y a-t-il des limites humaines à ce que ces surhommes (et ces surfemmes !) peuvent accomplir ? À les voir avaler les kilomètres dans des compétitions plus exigeantes les unes que les autres, la réponse semble négative.
Parcourir des centaines de kilomètres pendant des semaines : voilà un exercice auquel se prêtent régulièrement des militaires. « Cela fait des années que de grands explorateurs faisaient des expéditions et des épreuves extrêmes, mais ce n’était pas avec un objectif compétitif », rappelle Jonathan Tremblay, professeur à l’École de kinésiologie et des sciences de l’activité physique de l’Université de Montréal. « Les distances ne s’allongent pas nécessairement. Elles se présentent maintenant sous forme de compétition. »
À cela s’ajoutent des courses encore plus longues, comme l’Infinitus : une boucle totalisant 888 kilomètres dans les montagnes du Vermont. Un exploit réalisé par la Québécoise Hélène Dumais en 2018, qui est devenue la première femme à terminer l’épreuve. « La tâche est immensément physique mais encore bien plus mentalement. À ce jour, je crois seulement avoir atteint 50 % de mes capacités », explique-t-elle.
Parmi les plus exigeantes, il faut aussi compter la Race Across the USA, épreuve de course à pied de près de 5000 kilomètres à travers les États-Unis, soit l’équivalent de 117 marathons enchaînés les uns à la suite des autres. La durée de l’épreuve : quatre mois et demi…
Des chercheurs ont d’ailleurs suivi ces surhommes, curieux de savoir comment réagissent leur corps à un volume d’entraînement aussi extrême. Et selon eux, ces athlètes semblent avoir atteint la limite nutritionnelle absolue de l’être humain.
En 24 heures, notre corps ne peut absorber qu’une quantité limitée de nutriments. Cette capacité maximale a été fixée par les chercheurs à 2,5 fois l’énergie dépensée par notre métabolisme au repos. En effet, même en étant complètement immobile pendant une journée, notre corps dépense de l’énergie, équivalant au métabolisme de repos. Cependant, cette limite nutritionnelle ne concerne que les athlètes qui s’attaquent à des épreuves s’échelonnant sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
« Dans le cas d’un marathon, les athlètes sont capables d’aller au-delà de leur métabolisme de base de plus de 15 fois », nuance Claude Lajoie, professeur-chercheur au Laboratoire de technologies et d’innovation pour la performance sportive de l’Université du Québec à Trois-Rivières.
Quand une dépense énergétique élevée se maintient pendant plusieurs jours, nos réserves deviennent des sources d’énergie. Le sucre stocké dans nos muscles est brûlé, puis ce sont les muscles eux-mêmes qui le sont si les provisions en glucides sont épuisées. Il s’ensuit une perte de poids. À partir de là, s’ils ne ralentissent pas la cadence, c’est l’épuisement qui les guette.
Hélène Dumais avalait chaque jour plus de 7000 calories et, malgré tout, elle enregistrait une perte de poids atteignant jusqu’à une livre par jour.
Les sportifs du dimanche peuvent courir l’esprit tranquille : ils n’atteindront pas cet état de dépréciation extrême. Un marathon reste une épreuve hautement exigeante, mais notre corps peut gérer cette dépense énergétique à très haute intensité pendant quelques heures. À condition bien sûr d’avoir suffisamment de réserves pour fournir tout le carburant nécessaire.
La « force du mental »
Tous les athlètes font face à la douleur à un moment ou à un autre d’une compétition sportive. Pratiquement la totalité d’entre eux évoquent la fameuse force du mental pour expliquer leur acharnement à poursuivre malgré des souffrances physiques. Et ils n’ont pas tort !
« Lorsque ça devient difficile, les athlètes avec une grande force mentale vont résister à cette envie de diminuer l’intensité de l’exercice », constate Benjamin Pageaux. De cette interaction entre psychologie et physiologie de l’exercice, le professeur à l’École de kinésiologie et des sciences de l’activité physique de l’Université de Montréal a fait le cœur de ses travaux.
Combiner entraînement du cerveau et entraînement physique pourrait s’avérer la clé du succès pour les athlètes d’élite. « Imaginez que vous faites du vélo en faisant des tâches complexes sur un ordinateur. Les effets seront plus bénéfiques que si vous faisiez uniquement un exercice physique », explique celui qui est aussi chercheur à l’Institut de gériatrie de Montréal.
« Cela requiert aussi une grande intelligence émotionnelle pour passer au travers d’épreuves de ce genre alors que nous nous retrouvons seul, dans la nuit, au milieu de nulle part sous la pluie en train d’affronter nos démons internes, le manque de sommeil et la progression de nos opposants », ajoute l’athlète Hélène Dumais.
Mais cette résistance à la fatigue mentale atteint elle aussi ses limites lorsque l’épreuve se poursuit pendant des semaines. Encore là, malgré un entraînement militaire, notre système digestif reste le principal frein.
« Quand bien même vous avez le meilleur état psychologique, si l’énergie ne réussit pas à se rendre aux muscles, tout lâche !, lance Claude Lajoie. C’est comme si on essayait d’appuyer plus sur l’accélérateur alors qu’il n’y a plus d’essence dans l’automobile. »