
Découvrir son pays d’accueil grâce au plein air

« Y’aura des lions ? Des crocodiles dans la rivière ? » : quelques jours avant leur séjour dans le parc national du Mont-Tremblant, les élèves de l’école secondaire Évangéline, à Montréal, avaient des questions plutôt… fantaisistes. Mais quand on est Syrien, Marocain, Haïtien ou Congolais, que sait-on de la faune sauvage canadienne ?
Connexion N est une initiative de la Société pour la nature et les parcs du Canada (SNAP) née en 2017 et soutenue par la Fondation Monique Fitz-Back. Son objectif : amener des jeunes de 12 à 16 ans, nouvellement arrivés au Québec, à vivre une immersion de deux jours dans la nature. « Une façon, selon Charlène Daubenfeld, de la SNAP, de lutter contre le déficit nature vécu par la majorité des jeunes citadins. » Car cette escapade en plein air cible des ados qui vivent à Montréal depuis moins d’un an et n’ont guère eu l’occasion d’en sortir.
Campeurs en herbe
Ils se prénomment Madj, Gracie, Youssou, Caroline. Ils sont nés ailleurs — Moyen-Orient, Afrique, Amérique latine, Antilles — et sont inscrits au secondaire en classe d’immersion. Pour la plupart, ils ne parlaient pas un mot de français il y a encore deux ou trois mois. Aujourd’hui, ils en savent assez pour comprendre les consignes des professeurs.
Quelques semaines déjà qu’ils se préparent à cette « immersion dans la culture canadienne », car c’en est une : la plupart d’entre eux n’ont jamais fait de canot ni dormi sous une tente. Le sac de couchage et les souliers de randonnée, c’est Mountain Equiment Coop qui les a offerts en guise de contribution.
« Nous préparons cette aventure depuis des semaines, explique Lina Sarraf, qui enseigne les mathématiques en 2e secondaire à l’école Évangéline. Cette expérience fait partie intégrante de notre programme d’immersion en français. »
Car si le terrain de jeu sort des limites de la salle de classe, cette fin de semaine dans un parc national est surtout l’occasion de les amener à parler français dans un contexte plutôt inhabituel. Un défi particulièrement crucial quand on est amis et qu’on parle la même langue, comme la demi-douzaine de Syriens qui composent le groupe.
Bien sûr, durant les premières heures, deux clans s’affrontent : les gars à droite, les filles à gauche. Pas question de se mélanger, même si on se côtoie tous les jours en classe. Les regards sont un peu inquiets au moment de franchir le secteur de la Diable, au parc du Mont-Tremblant. Le ciel est menaçant ; il faut faire vite pour monter les tentes sur le site de la Grenouille.
Dormir sous une tente : inédit pour la plupart d’entre eux. Pour la monter, il faudra les explications de Dany Chénier, du Camp Quatre-Saisons, partenaire de l’événement. Les colocs de tente s’activent, déplient les arceaux, plantent les piquets, déploient les toiles. Tout ça manque un peu de technique, mais les six abris finissent par pousser hors de terre.
« Madame ? À quoi ça sert ? » me lance Youssou en me tendant un matelas enroulé sur lui-même. « C’est un matelas de sol, tu dois le gonfler. » « Comment ? »
Je n’avais pas prévu ça. Mais je m’exécute. Je montre à ces jeunes aspirants au plein air la technique pour fixer le sac de couchage au matelas et pour se constituer un oreiller de fortune avec ses vêtements. Certains traduisent à d’autres moins avancés en français. La solidarité s’organise entre les rangs.
Sous la tente
On a bien fait de se hâter. Quelques coups de tonnerre plus tard, c’est un mur d’eau qui s’abat sur notre campement. Quelques filles lancent des cris stridents, les gars hurlent aux loups. Ambiance gore dans le campement.
La préparation du souper délie les langues et continue à rapprocher les deux solitudes. « À 22 h, extinction des feux, ordonne Lina Sarraf. Pas question de faire la foire toute la nuit. »

Prêt, pas prêt : tout ce petit monde en ébullition finit par gagner sa tente. Mais, durant toute la nuit, de spectaculaires bourrasques tiendront la gang en alerte et mettront à terre bon nombre de branches de belle taille autour des tentes. Cette nuit-là, à quelques centaines de kilomètres à peine, plusieurs tornades dévastaient la région d’Ottawa et Gatineau…
Durant les deux jours suivants, les activités se succèdent, certaines avec une bonne dose d’adrénaline. Sur le sentier La Roche (5 km), un petit aller-retour au faible dénivelé situé dans le secteur La Diable, certains pas traînent en arrière. Mais, dès le belvédère atteint, l’énergie revient à 100 à l’heure, portée par la vue spectaculaire sur les montagnes et la rivière en contrebas.
Que dire de la progression en via ferrata qui les conduit à la queue leu leu sur la paroi abrupte au-dessus de la rivière La Diable ? Certains passages resteront à coup sûr gravés dans leur souvenir comme un défi qui compte. Et qui tisse encore plus fort les liens entre chacun d’eux. La séance de canot le lendemain ? Un parcours en zigzag qui démontre peu d’habiletés techniques, mais beaucoup, beaucoup de fun. Le clou de la fin de semaine ? La rencontre d’une maman ourse avec son ourson. De quoi remettre certaines connaissances dans le bon ordre : peut-être pas de lions ni de crocodiles au Canada, mais des ours, bien des ours !