Cerveau, à l’entraînement!

Développer son intelligence grâce à des jeux interactifs: depuis quelques années, les applications de ce genre se sont multipliées.
Photo: Getty Images Développer son intelligence grâce à des jeux interactifs: depuis quelques années, les applications de ce genre se sont multipliées.

Elles promettent d’améliorer votre intelligence, de renforcer votre mémoire et de stimuler vos neurones. De plus en plus d’applications mobiles se spécialisent dans le développement de notre cerveau. Remplissent-elles vraiment leurs promesses ?

Développer son intelligence grâce à des jeux interactifs : cela semble presque trop beau pour être vrai. Depuis quelques années, les applications de ce genre se sont multipliées. La plus connue d’entre elles, Lumosity, a battu des records de téléchargement avec 70 millions d’utilisateurs. Quelques minutes par jour à pratiquer des exercices cognitifs suffisent-elles pour améliorer notre mémoire et notre quotient intellectuel ?

Si l’apprentissage semble plus facile à un jeune âge, le cerveau ne cesse jamais de se développer, et ce, grâce à sa plasticité. Contrairement à ce qu’on a longtemps pensé, notre matière grise ne devient pas une masse complètement rigide avec l’âge. Au contraire ! C’est cette plasticité qui lui permet de se réparer et de récupérer après une lésion cérébrale comme un accident vasculaire cérébral (AVC) ou une commotion cérébrale.

Le potentiel de plasticité n’est pas réparti de façon égale dans notre cerveau, nuance le neurologue et professeur agrégé en neurologie de l’Université de Sherbrooke Christian Bocti. « Certaines parties se figent dès l’enfance, comme le cortex moteur et visuel. Les régions les plus plastiques sont reliées aux fonctions de la mémoire et de l’apprentissage, qui créent de nouveaux liens entre les neurones. »

Toute activité qui demande un effort mental ou intellectuel entraîne donc la fabrication de connexions entre les neurones. Plus l’activité est répétée, plus ces connexions se renforcent. La voie s’ouvre et ces connaissances s’ancrent profondément dans notre cerveau.

Apprendre une nouvelle langue, essayer une nouvelle recette, pratiquer un sport requérant de nouvelles habiletés : tous les moyens sont bons pour entraîner notre cerveau et l’empêcher de sombrer dans l’apathie.

Jouer sur la crainte de l’Alzheimer

Chaque année au Canada, 25 000 personnes reçoivent le diagnostic de la maladie d’Alzheimer. L’entraînement de la mémoire est devenu une préoccupation particulièrement importante chez les personnes âgées. Les applications mobiles pour entraîner son cerveau ont été présentées comme une solution miracle pour prévenir cette maladie.

En 2014, dans une lettre signée par des neurologues et des psychologues éminents, le Stanford Center on Longevity, en Californie, a d’ailleurs déploré que les créateurs de ces applications exploitent l’anxiété des gens âgés qui s’inquiètent de leur déclin cognitif.

Photo: Lefteris Pitarakis Associated Press Contrairement à ce qu’on a longtemps pensé, notre matière grise ne devient pas une masse complètement rigide avec l’âge, au contraire.

Surtout, aucune étude n’a démontré que la pratique quotidienne de ces jeux aide à prévenir ou à ralentir la progression de la maladie d’Alzheimer.

Il est évident qu’en s’adonnant au même jeu tous les jours, des améliorations seront perceptibles. Mais cela signifie-t-il que nous transposons ces habiletés dans la vie de tous les jours ? Rien n’est moins sûr.

« Si vous faites chaque jour une heure d’activités de mémoire sur votre téléphone ou votre ordinateur, vous allez certainement vous améliorer dans cette tâche. Ce qui est difficile à démontrer, c’est une fois qu’on améliore nos compétences dans un jeu en particulier, est-ce que cela pourra s’appliquer dans d’autres tâches ? Est-ce qu’on peut généraliser les bénéfices ? Il n’y a pas beaucoup d’applications en ligne qui ont réussi à le démontrer », constate le neurologue Christian Bocti.

Si les entraînements cérébraux ne représentent pas un moyen infaillible de retarder le déclin de votre cerveau, il est faux de croire que la partie est perdue d’avance et qu’il n’y a aucune façon de le stimuler.

La pratique d’une activité physique s’avérerait très efficace pour garder son cerveau en santé. Les hypothèses pour expliquer les bénéfices sont nombreuses : un effort cardiovasculaire facilite la circulation du sang ainsi que l’apport en oxygène et en nutriments aux cellules nerveuses. D’autres études avancent que les hormones libérées durant l’entraînement contribueraient à la formation de nouvelles cellules cérébrales. Une bonne motivation pour rester quelques minutes de plus sur le tapis roulant.

Les interactions sociales semblent également jouer un rôle. « Pour un même risque de maladies liées au cerveau, un bon réseau social causerait moins de dommages à la mémoire », a constaté Christian Bocti.

Le réflexe de se jeter sur le téléphone intelligent dès qu’on recherche le nom d’un acteur connu ou le chemin pour se rendre au café le plus près n’aide en rien nos circuits à se développer. Se creuser les méninges éviterait de rendre notre cerveau trop paresseux.

Le coût d’opportunité

Avant d’investir du temps et de l’argent dans ces jeux neuronaux, il importe de déterminer ce que les économistes appellent le coût d’opportunité, plaident les neurologues de Stanford. Qu’auriez-vous pu accomplir durant ces minutes « d’entraînement » ? Si vous aviez utilisé ce temps à marcher, à apprendre l’italien ou à jouer avec vos petits-enfants, il vaut peut-être mieux laisser tomber la tablette. Toutefois, si ces jeux vous tiennent loin d’une activité plus sédentaire, comme regarder la télévision, c’est à vous de jouer !

« On ne peut pas dire aux gens de faire 15 minutes d’exercices par jour et que tout ira bien. En dehors de ces activités, si vous ne faites rien pour aider à la santé de votre cerveau, ce n’est pas une formule magique. C’est l’ensemble de vos activités et de votre mode de vie qui compte », conclut le chercheur clinicien.

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