Spa Eastman, destination débranchée

Pendant des années, alors que tout un chacun gravitant autour de nous se gavait de données, que la plupart de nos amis voyaient leur téléphone devenir le prolongement naturel de leur avant-bras, ma douce et moi résistions encore et toujours à l’envahisseur numérique.
Même si, depuis un an, nous possédons tous deux notre petite boîte à surfer sur le monde greffée en permanence sur notre arrière-train, c’est surtout pour être joignables en tout temps, quand nous sommes tous deux séparés de nos précieux petits chéris. En un mot comme en cent, ni ma douce ni moi ne nous considérons comme des junkies numériques.
Alors, toutes ces histoires de digital detox — ces séjours où on se coupe du monde numérique durant quelques jours, voire une semaine —, ça nous faisait bien rigoler. Enfin. Ça, c’était avant de l’essayer.
Au printemps dernier, au terme d’un hiver particulièrement épuisant, nous sommes tous deux arrivés sur les rotules sur le seuil du Spa Eastman, célébrissime lieu de détente, de ressourcement et de rapiéçage cérébral, dans les bucoliques Cantons-de-l’Est.
Déjà réputé par-delà nos frontières, le premier spa-destination à avoir vu le jour au Québec — c’était il y a un peu plus de 35 ans — offre gratuitement l’option Déconnexion à tous les clients qui débarquent, qu’ils soient moralement à quatre pattes ou dans la civière virtuelle de leur dépendance technologique. « Confiez-nous vos téléphones, tablettes et autres joujoux à écran : nous les garderons en lieu sûr et vous les récupérerez en partant », lance en substance la préposée, à l’arrivée. En prime, quiconque tient le coup hérite d’un soin gratuit à la fin de son séjour.
L’idée ? Déconnecter pour reconnecter avec soi-même… ou l’autre. Noble idée, mais… quid, s’il y a urgence ? « Vous laissez notre numéro de téléphone à vos proches et, si quelque chose requiert vraiment qu’on vous dérange, nous viendrons vous prévenir », rétorque-t-on.
Et c’est précisément à ce moment-là que le charme de l’apaisement opère, qu’on soit accro ou pas à l’héro numérique.
Hyperconnexion
Avant de confier le sort de sa quiétude à quelqu’un de confiance, on n’a pas toujours idée à quel point notre quotidien est accaparé par les obligations en général, mais aussi par la possibilité d’être joint partout et en tout temps, par la nécessité de garder le contact avec sa communauté socionumérique, par le besoin de nourrir sans relâche la bête 2.0. Comme si nous n’étions que des insectes englués dans une grande toile tissée par une tarentule virtuelle, qui n’attend qu’un moment de faiblesse pour nous enrouler dans une soie mortelle et tout nous aspirer de l’intérieur, ne laissant que des corps exsangues.
Mais mettre son téléphone ou sa tablette en jachère durant quelques jours n’est pas donné à tout le monde, et au Spa Eastman, nombreux sont ceux qui craquent, comme s’ils étaient en manque de crack, en choisissant l’option Déconnexion. « C’est comme demander à un fumeur de vous donner son paquet de cigarettes pendant un ou plusieurs jours », dit Jocelyna Dubuc, proprio et muse des lieux.
Heureusement, il y a ici de quoi faire pour occuper ces doigts délivrés de toute contrainte. Déjà, le simple fait de séjourner au Spa Eastman procure en lui-même d’innombrables bienfaits : cadre serein et rassérénant avec vue sur le colossal mont Orford ; bains à remous extérieurs ouverts sur les étoiles et entourés de braseros crépitant ; chambres sobres et stylées, sans télé mais avec lits douillets et ultraconfortables ; cuisine tonique qui nous fleurit l’intérieur à chaque bouchée ; et partout cette impression généralisée que la parole (feutrée) est d’argent et que le silence est d’or et d’ores et déjà acquis dès qu’on franchit la porte de ce lieu apaisant.
Outre l’accès (payant) à un bataillon d’excellents experts et thérapeutes, il est aussi possible d’utiliser (gratuitement) toutes les installations (piscines intérieure et extérieure, gym, espaces de relaxation, etc.) et de profiter (sans frais) d’une pléthore d’activités prévues chaque jour, de la marche en forêt au hatha yoga en passant par le boot camp, les étirements en eau chaude ou l’art thérapie.
Mais on peut aussi relâcher tous ses muscles — ou presque —, bien étendu sur une table de massage, le dos caparaçonné d’un bouclier d’argile chaude. Sentir ses articulations fraîchement huilées après s’être fait pétrir comme de la pâte par une experte au doigté ferme et au coeur tendre. Réapprendre à respirer et à expulser l’air de ses dernières alvéoles, là où se terre tout ce qui nous atterre. Et plutôt que d’entretenir des relations textuelles avec des inconnus, dormir tout l’après-midi après l’amour, comme des ados fraîchement dépucelés.
Sainte paix
Autant d’expériences qu’on peut vivre sans laisser sa quincaillerie numérique au vestiaire. Mais mon petit doigt digital me dit que l’option Déconnexion est pour beaucoup dans le détachement nécessaire à vivre pleinement ces petits moments de grâce, et d’en sortir ragaillardi, enhardi, requinqué et pleinement ressourcé.
Et puis, avouons que, si c’est pour faire abstraction de la trumpitude, des cônes orange ou du dernier scandale libéral, il n’est pas si ardu de se couper du monde pendant deux, trois ou même cinq jours : ce qui est bien plus pénible, c’est de se reconnecter.
Spa Eastman
895 chemin des Diligences, Eastman
☎ 1 800 665-5272 ou spa-eastman.com
L’auteur était l’invité du Spa Eastman.