Le riche héritage de Nincheri

Au XXe siècle, l’artiste d’origine florentine Guido Nincheri a conçu des milliers de fresques et de vitraux pour les églises du Québec, en grande partie à partir de son studio du boulevard Pie-IX à Montréal, désormais transformé en musée. Visite de l’antre d’un artiste auteur d’un patrimoine menacé.
L’oeuvre de Guido Nincheri nous regarde à travers les vitraux de centaines d’églises du Québec, du Canada et des États-Unis. Mais c’est dans son studio du boulevard Pie-IX que lui et les membres de son équipe traçaient les esquisses, coloraient et taillaient le verre, avant de l’assembler en diverses verrières représentant des scènes de la Bible.
Depuis 2013, l’administration du musée Dufresne, rue Sherbrooke, a transformé en musée l’atelier que l’artiste a occupé à partir de 1925. Ce week-end, c’est la dernière occasion de l’été pour visiter les lieux, où tout est resté comme ça l’était de son vivant, alors que le verre y chauffait dans un four à 1000 degrés.
« L’art du vitrail a énormément évolué depuis cette époque », dit Paul Labonne, directeur du musée. Le musée Dufresne-Nincheri espère un jour recevoir ici un artiste en résidence. Et tout semble déjà prêt pour l’accueillir ; la grisaille, comme on appelle les couleurs qui servent à teindre le vitrail, le four et les cartons.
Mais, aujourd’hui, alors que plusieurs églises ferment ou sont détruites, il n’existe presque personne capable de restaurer des vitraux figuratifs conçus au siècle dernier.
Dans un coin du studio, on trouve encore le vitrail commandé dans les années 1960 par la paroisse Nativité de la Sainte Vierge d’Hochelaga, illustrant la Vierge en train de vaincre les démons et de les changer en anges. Alors que l’église compte 14 verrières réalisées par Nincheri, celle-ci n’a pas été payée, donc n’a jamais été livrée non plus.
Nincheri lui-même était en train de peindre des anges à l’église Sainte-Amélie de Baie-Comeau, en 1940, lorsqu’il fut arrêté par la GRC, comme bien des artistes et des citoyens d’origine italienne au Canada, et incarcéré au camp de concentration de Petawawa.
Le Canada venait de déclarer la guerre à l’Italie et Nincheri était accusé d’avoir peint le portrait de Mussolini, à cheval, sur les murs de l’église Notre-Dame-de-la-Défense, dans la Petite Italie à Montréal.
C’est que les travaux de Nincheri pour cette église avaient commencé dès la fin des années 1920, et l’artiste, dans ses maquettes, n’y avait pas dessiné Mussolini. C’est après les accords du Latran, qui créèrent l’État du Vatican, avec la collaboration de Mussolini, que la paroisse a demandé à Nincheri d’y faire le portrait du duce.
Pour faire libérer son mari, Giulia, sa femme, brandit devant le juge les esquisses originales de Nincheri, où ne figurait pas le duce. Le juge lui donne raison et Nincheri est libéré.
D’ailleurs, l’artiste n’était pas particulièrement près des fascistes italiens. Ceux-ci, dès les années 20, avaient détruit une fresque réalisée par Nincheri en Italie pour une mutuelle d’ouvriers, à cause de ses connotations communistes… C’est après cet épisode de sa vie au Canada que Nincheri, blessé, commence à chercher davantage de travail aux États-Unis.
En tout, il a travaillé à la décoration de quelque 200 églises, de Vancouver jusqu’en Nouvelle-Angleterre. Arrivé au Canada en 1914, le Florentin a d’abord été mandaté par le Français Henri Perdriau pour faire les maquettes des verrières de la bibliothèque de l’Assemblée nationale et de l’église Saint-Viateur d’Outremont. Au début du XXe siècle, le Canada vit un boom démographique et de nombreuses églises sont en construction.
Dans les églises
Après avoir fait la connaissance des riches frères Dufresne, Guido Nincheri installe son studio boulevard Pie-IX, dans la bâtisse abritant les locaux de Dufresne construction et Dufresne engineering. L’artiste avait d’ailleurs décoré l’intérieur du château Dufresne pour obtenir une réduction de son loyer.
D’autres oeuvres profanes de Guido Nincheri ont été détruites, comme le décor du cinéma Belmont et celui du restaurant Venus Sweet, toujours à Montréal.
Le fils de Guido Nincheri, Gabriel, a déjà recensé 5000 vitraux ayant été confectionnés dans le studio montréalais.
Parallèlement à la visite de ce studio, le musée Dufresne-Nincheri suggère un parcours qui permet de contempler ses oeuvres dans différentes églises de Montréal, dont celle de Saint-Léon-de-Westmount, boulevard de Maisonneuve, ou celle du Très-Saint-Rédempteur, rue Adam, dans Hochelaga Maisonneuve.
Là, les verrières évoquent les songes du prophète Daniel et du Christ Rédempteur. M. Labonne relève qu’en pleine montée du fascisme en Italie, ces vitraux sont des allégories de la lutte entre les forces du bien et du mal.