Douche froide à la tour

Après l'euphorie créée la veille par la victoire d'Alexandre Despatie au bassin de plongeon, les 4500 spectateurs rassemblés hier pour assister à la finale de la tour de 10 mètres chez les femmes en ont été quittes pour une grande déception, alors que la championne du monde en titre, Émilie Heymans, plutôt chambranlante tout au long de la journée, a raté le podium de quelques points, résultat de deux mauvais plongeons en finale qui ont eu chaque fois l'effet d'une douche froide dans la foule.
En temps normal, cette fraîcheur imposée aurait été fort appréciée au coeur d'une journée cuisante de soleil total. Mais la foule était là pour une chose: encourager Heymans, et la voir gagner — surtout que Myriam Boileau n'a pas réussi à faire la finale. Heymans fut donc bruyamment soutenue, assez pour que la plongeuse paraisse parfois portée par la vague. Son deuxième plongeon fut ainsi le plus réussi de toute la finale, avec trois notes de 10 et une ovation spontanée en récompense. Mais ailleurs, au début des préliminaires et sur les premier et quatrième plongeons en finale, Heymans a tout simplement raté la marche, finissant ainsi quatrième avec 546 points, quatre de moins que la toute petite Chinoise Tong Jia, seulement 15 ans et à sa première grande compétition internationale.Première, la souriante Américaine Laura Ann Wilkinson ajoute donc un championnat du monde (564 points) à son titre olympique de Sydney, tandis que l'Australienne Loudy Tourky, première mondiale dans cette discipline cette année, repart avec l'argent. La médaillée d'or d'Athènes, Chantelle Newberry, a terminé septième.
C'est d'autant plus dommage pour Heymans que la compétition était ouverte hier. Personne n'a plongé parfaitement, chaque plongeuse réalisant au moins un mauvais plongeon, et l'écart de points entre les positions de tête est resté serré tout au long de l'après-midi. À preuve: si Heymans avait récolté des notes de 5 (sur 10) lors de son quatrième plongeon, elle prenait la tête de l'épreuve. Mais l'énorme splash qui a accompagné un trois et demi renversé qu'elle avait pourtant bien réussi en préliminaires lui a plutôt valu des 3,5. Dès lors, l'affaire était entendue, la championne, détrônée. À compétition en dents de scie, résultat de même.
Dans la zone d'entrevue située sous les estrades, l'entraîneur d'Émilie Heymans, Michel Larouche, résumait en un «mot» sa déception: «Ouch!» «Ce n'est pas compliqué: l'Américaine et l'Australienne ont très bien plongé, et nous avons fait deux grosses gaffes qu'on ne peut pas se permettre. C'étaient deux plongeons manqués de façon monumentale.»
Calme et franc comme à son habitude, Larouche n'a pas paru surpris outre mesure du résultat. «À l'entraînement, c'était toujours [difficile] qu'Émilie réussisse tous ses plongeons. Elle en avait trois ou quatre sur cinq, et aujourd'hui elle a répété ça [...]. Mais pour nous c'est une déception, une mauvaise performance.» Qui s'explique selon lui par un manque de préparation. «J'aurais aimé qu'elle soit plus intense à l'entraînement, qu'il y ait plus d'agressivité. Mais ce n'était pas le cas.» Après les Jeux d'Athènes, où elle a aussi terminé quatrième, Émilie Heymans a pris quelques mois de congé pour se concentrer sur ses études. Elle n'a repris l'entraînement qu'en janvier.
La principale intéressée ne savait pas trop quoi dénoncer pour expliquer sa performance. Hier, contrairement à Athènes, pas de déclaration du type «j'ai choké»: «Je ne sais pas, j'ai simplement perdu ma concentration sur deux plongeons», disait-elle, pendant que derrière retentissait l'hymne américain pour la nouvelle championne. «Je ne pense pas que ce soit la foule. Il y a plusieurs facteurs: le stress, la fatigue, mais je ne sais pas.» Visiblement déçue, l'athlète aux yeux bleus indiquait toutefois ne pas avoir de regret d'avoir repris l'entraînement si tard. «Ça n'aurait pas nécessairement été mieux aujourd'hui.»
Cela dit, la journée ne fut pas plus heureuse pour Myriam Boileau. La Québécoise, septième à Athènes l'an dernier, a en effet raté la finale hier. Une grosse déception pour Boileau, qui a dû surmonter une blessure rare au dos il y a deux ans pour revenir au plus haut niveau. La plongeuse de 27 ans a pourtant bien plongé dans l'ensemble, mais elle a complètement raté un plongeon en préliminaires.
En équilibre sur les mains, Boileau n'a pu trouver le point de stabilité et a dû poser pied avant de reprendre position. La faute commise lui a coûté deux points par juge, multiplié par le coefficient de difficulté: très dommageable. Sans cette erreur, elle aurait poursuivi son chemin. «C'était pratiquement mission impossible [d'atteindre la finale] avec l'erreur que j'ai faite en préliminaire», disait-elle quelques minutes après la fin de la demi-finale. Elle a terminé 14e.
Ce qui s'est passé, elle ne le savait pas trop. Les conditions étaient pourtant idéales. «Ça fait deux semaines que j'ai de la misère avec ce plongeon en équilibre. Je me sentais super bien en arrivant à la compétition ce matin, et ça se passait bien jusque-là, mais j'imagine que, psychologiquement, ç'a dû rester quelque part dans ma tête.» La dernière fois qu'elle se rappelle avoir raté ce type de plongeon en compétition internationale, c'était en 1999. Pas question d'arrêter pour autant: «Je n'ai pas dit mon dernier mot, c'est certain. Je ne veux pas finir avec une performance comme ça.»
Effet Despatie aux guichets?
Sur le plan extra-sportif, la quatrième journée de compétition s'est déroulée sous une température absolument parfaite. Le bleu du ciel se confondait allègrement avec celui des bassins. Conséquemment, le site fut très animé toute la journée: bien sûr, les compétitions de water-polo entre deux équipes étrangères n'attirent toujours personne, mais le plongeon reste populaire. Pour la deuxième finale de suite, les 4500 «sièges» [nous parlerons plutôt d'un espace réservé sur une banquette de métal] du bassin de plongeon avaient été vendus.
Impossible toutefois d'avoir un portrait juste de la situation: depuis samedi et le dernier chiffre officiel annoncé (80 000 billets vendus sur un objectif de 210 000), les organisateurs ont choisi de ne plus parler des retards dans les ventes. Rappelons que la Ville de Montréal compte sur les 11 millions de dollars attendus aux guichets pour éviter d'avoir à éponger un éventuel déficit. «Nous avons fait le choix de laisser toute la place aux athlètes et de ne plus parler au quotidien de la vente des billets», explique Richard Prieur, vice-président aux communications.
Mais selon M. Prieur, «l'engouement» serait bel et bien là. «Je ne pense pas qu'il faut parler d'un effet Despatie, mais plutôt d'un effet cérémonie d'ouverture, performances sportives, couverture médiatique... C'est un ensemble de facteurs. On avait beau dire que les sites étaient beaux et que ce serait une grande compétition, tant qu'on n'est pas dedans, les gens ne peuvent pas savoir. Là, on y est.»
Sur la vente «secrète» des billets, Richard Prieur dit qu'elle va bien, mais que le «gros du travail reste à faire». Car les compétitions de natation ne débutent que dimanche, et 11 000 places seront disponibles pour chaque ronde. Ça fait beaucoup, convient M. Prieur. C'est là que se jouera le succès ou l'insuccès des championnats.
En attendant, aujourd'hui, Alexandre Despatie donnera un petit coup de main en remontant sur le tremplin, cette fois au 1 mètre. Et foi de Michel Larouche, il a toutes les chances de repartir avec les plus hauts honneurs encore.