Choc et inquiétudes chez les parents de jeunes joueurs de hockey d’élite

Au-delà des scandales, ce sont les structures du hockey qui ont besoin d’être renouvelées.
Photo: Adam Lazar Getty Images Au-delà des scandales, ce sont les structures du hockey qui ont besoin d’être renouvelées.

Les scandales récents en lien avec des initiations dégradantes et des viols collectifs dans le milieu du hockey, révélés dans les médias ces derniers mois, ébranlent les parents de jeunes hockeyeurs d’élite et suscitent des discussions au sein des familles.

Vendredi soir, aréna de Terrebonne. Des dizaines de parents prennent place dans les gradins, café ou bière à la main, prêts à grelotter sous leurs couvertures pendant plus d’une heure pour encourager leurs garçons sur la glace.

Les parents se saluent et échangent des nouvelles sur leurs enfants respectifs. Les joueurs arrivent sur la glace pour un échauffement. Le bruit est assourdissant, alors que des dizaines de rondelles heurtent violemment la bande et que les haut-parleurs crachent un classique : The Final Countdown. Cri de ralliement, concert de coups de bâton sur la bande, et c’est parti pour le match.

Les joueurs qui s’affrontent aujourd’hui sont les meilleurs chez les 14-15 ans. Ils jouent dans des équipes AAA Élite. À ce niveau-là, tous les espoirs sont permis.

« Mon garçon ne vit que pour le hockey, raconte Kristel Murray. Il s’entraîne, fait attention à ce qu’il mange, regarde tous les matchs, analyse les statistiques et passe tous ses temps libres à faire des lancers dans le garage. Il est conscient que ce n’est pas tout le monde qui peut se rendre dans la ligue nationale, mais il veut monter le plus haut possible. »

Un peu plus loin, Karine Bourassa profite de l’entracte pour avaler un lunch rapide. « À ce niveau-là, c’est un mode de vie », résume-t-elle. Son fils envisage de se diriger vers le hockey universitaire américain, comme son grand frère et son père. Un parcours parallèle qui obtient la faveur de sa mère. « Pour moi, l’éducation, c’est une priorité. Au junior majeur, c’est plus dur d’étudier à cause des échanges et des voyages. Mais à l’université, c’est mieux encadré sur le plan des études. »

Nouvelle génération

Les scandales des derniers mois — et plus particulièrement celui des initiations violentes et humiliantes vécues par de jeunes joueurs du junior au Canada portées devant les tribunaux — ont trouvé écho chez ces « hockey moms ».

« Je trouve ça épouvantable ! s’insurge Karine. Je ne pensais même pas que ça se pouvait, des choses comme ça, aujourd’hui. Ça fait peur. »

Karine n’est pas inquiète pour ses garçons, qui gravitent tous dans cet univers. « Ils me l’auraient dit, affirme-t-elle d’emblée. Et les parents, on est tous amis, on se parle, ça se saurait. » Mais elle a quand même questionné ses garçons pour savoir s’ils avaient vécu ou été témoin de comportements déplacés ou d’intimidation. Elle en a aussi profité pour faire un travail de sensibilisation auprès d’eux. « Quand je leur ai raconté ce qui avait été rapporté dans les journaux, ils avaient peine à y croire. »

Même son de cloche chez Kristel. « J’étais outrée quand j’ai lu ça. Je n’ai jamais entendu parler d’histoires de même pendant toutes ces années, mais j’en ai parlé à mon gars. »

Bien que certains éléments se soient produits il n’y a que quelques années, Kristel estime que la jeune génération ne tolérera plus de tels gestes.

« En cinq ans, il y a eu beaucoup de développement à ce sujet. Avec le mouvement #MeToo notamment, les jeunes sont plus conscients, ils sont plus sensibilisés à ce qui n’est pas acceptable et en parlent davantage. J’ai confiance en [mes garçons] ; s’ils subissent quelque chose, ils vont m’en parler. Mais c’est sûr que je pose plus de questions. »

Karine et Kristel font confiance au personnel de leur équipe. Elles estiment par ailleurs que le fait que leurs enfants se suivent depuis tout ce temps est un facteur de protection.

À l’étage du dessous, les joueurs sortent du vestiaire habillés en complet, comme chez les professionnels. En présence du Devoir, Christopher Medrano apostrophe son fils : « T’as pas eu ça, hein, des initiations ? » demande-t-il. « Non », répond son fils en haussant les épaules avant de s’éloigner.

La « culture du hockey »

Dimanche après-midi, à Boisbriand. Un autre aréna, deux autres équipes. Avec une différence notable : les gradins sont chauffés. Cette fois-ci, les jeunes sont un peu plus vieux, ils ont 16 ou 17 ans, et jouent eux aussi dans une équipe AAA, avec l’envie de cheminer le plus loin possible. « Je passe ma vie dans les arénas », résume Normand Demers, qui a lui-même évolué dans ce milieu quand il était plus jeune. À l’époque, il avait même fait le camp d’entraînement des Kings de Los Angeles avec Wayne Gretzky, précise-t-il avec fierté.

« Pendant toutes ces années, je n’ai jamais vécu ça », dit-il en faisant référence aux gestes rapportés dans les médias récemment. Selon lui, les initiations se résumaient généralement à se faire raser la tête ou la moustache.

« La chose qui me fatigue, c’est qu’on associe ces gestes à une “culture” du hockey, explique-t-il. La culture du hockey, ce n’est pas de violer des filles et de faire des initiations comme ça. La culture du hockey, selon moi, c’est la discipline, le travail, l’organisation et la structure. C’est des réussites et des échecs, et d’apprendre à vivre à travers ça. »

Lui non plus n’est pas inquiet pour son propre fils, qui souhaite se rendre au plus haut niveau. Il estime qu’une certaine éducation doit se faire à la maison. « On discute de ça librement et on en parle. Je veux qu’il soit sensibilisé », explique-t-il.

Mais au-delà des scandales, ce sont les structures du hockey qui ont besoin d’être renouvelées, explique-t-il. « Ce que je trouve désolant, c’est l’abus de pouvoir des responsables. Et ça, il y en a encore. »

Bien qu’il voie la nécessité d’avoir des parents bénévoles sur les équipes, il estime que ces derniers n’ont pas toujours la formation, l’indépendance ou le jugement nécessaires pour s’occuper de la sélection et de l’encadrement des joueurs. « Il faudrait que Hockey Québec mette ses culottes et engage des professionnels pour s’occuper des niveaux élites, résume-t-il. Le problème, il part de là. »

« Milieu toxique »

Sa réflexion rejoint celle d’un autre parent de joueur de haut niveau contacté par Le Devoir et qui a demandé l’anonymat par crainte de nuire à l’avancement de son fils. « On est surpris du côté dramatique de ce qui a été rapporté, mais on se dit que c’est l’ambiance générale du hockey mineur qui mène à ça. »

Celui-ci parle d’un « milieu toxique », d’un « manque de transparence », notamment dans les sélections qui semblent être faites de façon « aléatoire » par des parents bénévoles qui n’ont pas de formation spécifique en pédagogie. Il parle de la « glorification » des jeunes qui évoluent dans les niveaux les plus élevés et d’une « culture du silence », qui augmente avec le calibre.

« Quand on voit des affaires qui ne fonctionnent pas, on se ferme la gueule, parce qu’on ne veut pas bloquer les possibilités pour notre enfant », soupire-t-il.

Malgré les scandales et les problèmes qui ternissent l’image de leur sport, tous les parents rencontrés par Le Devoir sont unanimes : le hockey, c’est plus que ça. « Le hockey, c’est une école de vie, résume Normand Demers. Pour moi, ça reste le plus beau sport du monde. »

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