Un coup d’envoi historique pour la MLS sur Apple TV

Aucune autre ligue professionnelle nord-américaine n’a jusqu’à ce jour misé aussi gros sur le numérique pour assurer son rayonnement.
Photo: Alex Gallardo Associated Press Aucune autre ligue professionnelle nord-américaine n’a jusqu’à ce jour misé aussi gros sur le numérique pour assurer son rayonnement.

Près de 2,5 milliards de dollars américains sur 10 ans. Un rayonnement international. Une qualité de diffusion digne du grand écran sur une plateforme accessible de n’importe où. La saison de la Major League Soccer (MLS) qui s’amorce samedi soir est historique pour plus d’une raison. Surtout, elle propulse la ligue à l’avant-scène du sport professionnel nord-américain.

Aucune autre ligue professionnelle nord-américaine n’a jusqu’à ce jour misé aussi gros sur le numérique pour assurer son rayonnement. L’entente conclue par la MLS avec le géant technologique Apple rend tous ses matchs accessibles en direct, en différé et en rattrapage, sans contrainte géographique, sur la plateforme Apple TV+. En anglais, en espagnol et en français (pour les équipes canadiennes). Le coût au Canada : 20 $ par mois ou 129 $ pour la saison. Les abonnés d’Apple TV+ paient un peu moins : 17 $ ou 99 $.

Des matchs seront présentés gratuitement durant la saison. Une foule de contenu a été créée au sujet de chaque équipe et de ses joueurs vedettes actuels et passés. On peut faire la visite guidée en vidéo de chacun des stades. On trouve des archives et des matchs historiques.

L’entente coûte chaque année à Apple l’équivalent de 11 heures de ventes de son iPhone. Des cacahuètes. Et pourtant, on sent qu’Apple prend la chose au sérieux. Son logo est incrusté dans l’image en tout temps et brodé sur les maillots. Cupertino s’implique activement dans les événements promotionnels de la ligue, à qui elle « prête » volontiers certains acteurs de sa série à saveur footballistique Ted Lasso.

Vitrine internationale lucrative

À Los Angeles, samedi soir devait être historique. Le premier match de la saison devait opposer le LA FC, l’équipe championne de 2022, et son plus proche rival, le prestigieux LA Galaxy. Ce duel, surnommé « el trafico », est un classique. Il devait battre le record du plus grand nombre de spectateurs, avec quelque 90 000 billets vendus.

L’orage et une pluie torrentielle, selon les normes californiennes, ont forcé l’annulation d’el trafico.

La ligue espère évidemment que ses cotes d’écoute sur Apple TV lui apporteront de meilleures nouvelles. Rien n’est moins sûr. Le baseball majeur et le football de la National Football League (NFL) — les deux ligues ont des ententes un peu plus limitées que la MLS avec des diffuseurs numériques, qui comprennent Amazon et Apple — ont vu baisser leurs cotes d’écoute de l’ordre de 20 à 25 % en numérique.

« En tout cas, les yeux de toutes les autres ligues sont rivés sur la MLS, dit le professeur de l’Université d’Ottawa et expert en stratégie média Luc Dupont. Le risque est que ça n’intéresse que les fans actuels de la ligue. D’autres pensent que la machine Apple va aider à accroître le public, notamment le marché hispanophone aux États-Unis et le marché francophone international, en Afrique et en Europe. »

« Ce sera soit une révolution totale de la diffusion du sport, soit un coup complètement raté. »

C’est certainement ambitieux. Avec sa diffusion en trois langues, la MLS rêve d’Amérique latine, d’Afrique et d’Europe. Ses équipes les plus en vue — qui logent à Los Angeles, à Miami et à New York — voudront séduire et attirer des vedettes internationales du ballon rond. Les équipes aux ambitions plus modestes — comme celle de Montréal — obtiennent une sacrée vitrine pour présenter le talent local à la planète et le vendre au plus offrant.

Vers une superligue ?

Les 250 millions $US par année d’Apple permettent à la MLS de déloger la Ligue nationale de hockey (LNH) des quatre ligues nord-américaines les plus riches. Selon le site Sportico, la NFL engrange actuellement 1,9 milliard $US annuellement en commandites. La National Basketball Association (NBA) empoche 1,6 milliard $US. Le baseball majeur, 1,2 milliard $US. La LNH a récolté 753 millions $US l’an dernier. La MLS était à 677 millions $US.

Avec ce contrat de diffusion de 10 ans et la Coupe du monde de la FIFA qui sera sur son continent en 2026, la MLS peut assurer sa pérennité, estime la spécialiste de stratégies de production et professeure à l’École des médias de l’UQAM Suzanne Lortie.

« Cette entente rehausse l’image de la ligue. Ça va aider à rehausser la qualité du jeu. Toutes les équipes y trouvent leur compte, j’en suis sûre, même celles qui ont un rôle de pépinière de talents, comme le CF Montréal. C’est une “tempête parfaite” pour que ça marche. Une bonne tempête, une éclaircie. »

N’allez pas confondre la MLS avec la Bundesliga ! Mais pour un sport qui n’a toujours pas su s’implanter professionnellement en Amérique du Nord, l’étape qui se franchit aujourd’hui est inédite.

Sortie de zone sur le Web

Le soccer en diffusion numérique n’est pas nouveau. En fait, Apple contribue à l’éclatement des plateformes qui en proposent. Les services spécialisés FuboTV et DAZN s’arrachent le soccer européen. Amazon diffuse le soccer français. Aux États-Unis, ESPN, Hulu, Peacock et d’autres encore en offrent.

Chaque abonnement coûte entre 10 $ et 25 $ par mois. C’est un buffet qui commence à être cher pour l’amateur moyen. La facture grimpe encore plus si on élargit l’assiette aux autres sports télévisés, comme le tennis et la course automobile.

Il y a trois ans, on pensait que le sport et les grands événements en direct étaient une chasse gardée qui assurerait la survie des chaînes télévisées locales. Ce n’est plus le cas. Ce qu’espèrent maintenant les télédiffuseurs traditionnels, c’est que la bulle numérique finira par éclater et que la bonne vieille télé retrouvera au moins en partie sa place.

« Ce n’est pas parce que tu achètes les droits que tu vas avoir du succès », spécifie le p.-d.g. de Québecor, Pierre Karl Péladeau. Québecor est propriétaire du Groupe TVA et de la chaîne TVA Sports, qui a perdu la diffusion des matchs du CF Montréal au profit d’Apple et de Bell Média. La rivalité avec Bell Média est déjà bien connue. Les géants numériques sont la deuxième mâchoire de l’étau qui se referme ces jours-ci sur le diffuseur sportif montréalais.

« Les diffuseurs numériques ont beaucoup d’argent, mais ils perdent aussi beaucoup d’argent, et ils ne pourront pas continuer à perdre des centaines de millions de dollars chaque année », soutient avec espoir M. Péladeau. TVA Sports est déficitaire depuis sa création. Elle le sera encore même si Bell et Québecor règlent le litige qui les oppose sur les redevances des chaînes spécialisées, dit-il. Mais elle le sera bien moins.

S’il fallait que les géants américains du numérique remportent le pari de consolider le sport en direct — on dit que la NBA serait intéressée par Apple TV —, des diffuseurs locaux comme TVA Sports pourraient être hors jeu pour de bon.

De nouvelles voix pour le CF Montréal

Plusieurs commentateurs sportifs se partageront dès samedi la tâche de décrire en français les matchs des équipes canadiennes de la MLS, y compris du CF Montréal. À RDS, le spécialiste Olivier Brett sera en poste pour 14 parties, épaulé par l’ancien joueur Wandrille Lefèvre. Claudine Douville décrira d’autres parties de la ligue pour la même chaîne.

Brett travaillera aussi pour Apple TV, où l’ancien capitaine du CF Montréal Patrice Bernier le secondera. Frédéric Lord et Vincent Destouches, qui faisaient du bon boulot pour TVA Sports, seront exclusifs à Apple TV+, tout comme un nouveau duo formé de l’ancien du service Web OneSoccer Matt Cullen et de Sébastien Le Toux, ex-joueur du Union de Philadelphie.

Enfin, Jeremy Filosa, une voix bien connue du 98,5 FM à Montréal, épaulera les trois duos d’Apple TV en compagnie du créateur de contenu pour la MLS Matthias Van Halst.



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