«On est passés par toute la gamme des émotions»

Les bars sportifs de Montréal débordaient de supporteurs enthousiastes en cette froide matinée.
Valérian Mazataud Le Devoir Les bars sportifs de Montréal débordaient de supporteurs enthousiastes en cette froide matinée.

Les étoiles du soccer ont brillé de mille feux, dimanche, au Qatar. L’Argentine a remporté une finale de Coupe du monde éclatante aux tirs au but face à la France (3-3 après la prolongation). Un choc de titans qui a fait vibrer le coeur de milliers d’expatriés chez nous.

Les bars sportifs de Montréal débordaient de supporters enthousiastes en cette froide matinée. On était arrivé vers 5 h, 6 h ou 7 h pour se trouver une chaise et une foule. Bien vite, bien avant le coup d’envoi de 10 h, il fallait s’y résigner : faute d’espace, plusieurs ont dû écouter la finale sur des écrans à l’extérieur, à –2 °C.

« C’est l’Amérique du Sud contre l’Europe », témoignait Alejandro Arias, l’un des partisans de l’Argentine, devant le Café Conca d’Oro, repère de maillots bleu ciel et blanc dans la Petite Italie. Le Colombien a fait preuve de fraternité en ce jour fatidique. « Habituellement, les pays latinos, on est fiers et on aime gagner contre les autres. Mais aujourd’hui, on n’a jamais été autant unis. »

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir La ferveur a semblé éloigner le froid, coin Dante et de Gaspé, tant et si bien que les manteaux sont tombés, de même que les tuques et les mitaines, pour festoyer.

« Je suis nerveuse comme avant un examen », renchérissait à ses côtés Rocio Diaz, les mains tremblantes.

L’Barouf, haut lieu de la France au Québec, déversait lui aussi son trop-plein de partisans sur le trottoir. « Au moins 300 » personnes ont été recalées à la porte, selon le portier. Dans un bar voisin du quartier, dans ce que l’on pourrait rebaptiser la « Petite France », Martin Sarres raconte avoir pris congé pour l’occasion. « J’écoute le football [soccer] une fois tous les quatre ans, et c’est exactement pour ça. […] C’est plus important que l’argent ! »

Et le public en a eu pour son argent.

L’arrivée du « Messi »

Lionel Messi, affamé pour une première Coupe du monde à 35 ans, a démarré en lion. La molle tactique des Bleus a laissé beaucoup d’espace pour son talent. Une faute française dans leur zone défensive (quoique contestable) et la porte était ouverte pour un Messi qui ne rate pas ses tirs de pénalité.

Ángel Di María — un autre vétéran qui a participé sans doute à son dernier Mondial — double l’avance des siens quelques minutes plus tard.

« Messi n’a pas joué seul. Il y a 22 joueurs dans l’équipe de l’Argentine. Si Messi s’inclut dans l’équipe, ils vont gagner », avait prédit au Devoir avant la partie Luchio Gutierrez, grand admirateur argentin, devant le Café Conca d’Oro. Ce scénario semble se concrétiser.

La « Petite France » s’est tue après ce deuxième but. Des cris rauques d’irréductibles rappellent toutefois que rien n’est joué. « Allez les Bleus », crie-t-on à tue-tête rue Saint-Denis, dans Le Plateau, à la mi-temps.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Les supporters de la France au bar L’Barouf, avant le premier but de la France

Mais la deuxième demie avance, et les visages longs au Barouf et aux alentours ne semblent plus y croire. Pourtant, remporter une deuxième victoire d’affilée en Coupe du monde, après leur sacre de 2018, offrirait de la gloire pour plusieurs décennies.

L’offensive des Bleus s’allume un peu, sauf qu’à dix minutes de la fin, aucun but n’offre une consolation aux Français expatriés au Québec. Ça se gratte la tête pour trouver de l’espoir.

Liberté, égalité, Mbappé

Soudain, à la 80e minute du match, une clameur s’est emparée du Plateau-Mont-Royal. Kylian Mbappé, grande vedette du soccer mondial, vient d’enfiler un but sur un tir de pénalité, après que l’attaquant Randal Kolo Muani eut été déséquilibré par Nicolas Otamendi. Les amateurs au maillot frappé du coq n’ont pas terminé leurs sparages de célébration que rebelote : la star de 23 ans montre pourquoi il est tant adulé en nivelant la marque d’une reprise du pied droit au sol parfaite, après une passe par les airs de Marcus Thuram.

S’en est suivie une prolongation des plus mémorables de l’histoire. Messi finit par trouver le fond du filet. « La Puce » n’a pas déçu. Les supporters français tombent des nues. Le déni s’empare de la foule, car la séquence sur l’écran donne un instant l’impression que le ballon a été repoussé par un défenseur à la limite de la ligne de but.

Mais un nouveau miracle bénit les Bleus. À quelques minutes à peine du sifflet final, une main de l’Argentin Gonzalo Montiel dans la zone de réparation entraîne un troisième tir de punition dans ce match. C’est évidemment Mbappé qui tente le coup et réussit, encore.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir L’émotion finale ce jour-là dans la Petite Italie drapée de bleu ciel et de blanc, c’est évidemment la joie.

La 120e minute se termine. La marque de 3 à 3 garde tout le monde sur le bout de leur siège… ou plutôt la moitié du monde. La FIFA estime que 3,5 milliards des 8 milliards d’humains ont regardé la finale en 2018, et les pronostics indiquent un auditoire similaire cette année.

Dénouement décevant pour les Bleus : un arrêt du gardien Emiliano Martinez et deux mauvais tirs de barrage propulsent les Sud-Américains au sommet. Un silence triste s’empare du quartier français de Montréal. « Merci les Bleus », hurle-t-on rue Saint-Denis. Quelqu’un par une fenêtre nargue ces partisans malheureux : « Messi, Messi ! »

Festoiement

Retrouvé après le match, Lucho Gutierrez plaisante en répétant une phrase lancée plus tôt : « Est-ce qu’il y a un docteur dans la salle ? J’ai mon coeur qui va exploser. »

« On est passé par toute la gamme des émotions », laisse tomber Gaston Trias, drapeau bleu et blanc autour du cou. « C’est la consécration ! »

L’émotion finale ce jour-là dans la Petite Italie drapée de bleu ciel et de blanc, c’est évidemment la joie.

La ferveur a semblé éloigner le froid, coin Dante et de Gaspé, tant et si bien que les manteaux sont tombés, de même que les tuques et les mitaines, pour festoyer. Tambour, chants patriotiques et bien entendu des cris en l’honneur de « Messi » ont résonné dans les rues et ruelles du quartier.

Le carnaval des victorieux a décidé de marcher jusqu’au mont Royal pour admirer de plus haut le piédestal sur lequel est placée leur équipe pour les quatre prochaines années.

« Après avoir tant lutté dans ma carrière, cela m’arrive presque à la fin », a souri, depuis Doha, Lionel Messi, 35 ans (172 sélections), qui avait dit que le Qatar serait « sûrement » son dernier Mondial. « J’aime le football, j’aime ce que je fais, j’aime être dans l’équipe nationale, être avec ce groupe. Et évidemment, je veux continuer à vivre encore quelques matchs en étant champion du monde, a-t-il ajouté au micro de télévisions argentines. Je ne peux pas demander plus. Je vais presque clore ma carrière, ce sont mes dernières années. »

« Il y a eu beaucoup d’émotions, c’est pour cela que c’est cruel à la fin. On frôle quelque chose qu’on aurait pu toucher », a de son côté regretté le sélectionneur français, Didier Deschamps.

« À dans quatre ans », a-t-on répété dans la « Petite France » de Montréal.


Avec l’Agence France-Presse

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